Grâce soit rendue au confinement, il m'a permis d'avoir le temps d'aborder quelques monuments de la littérature, laissés en rade depuis longtemps! (Ceci dit, je n'arriverais sans doute pas à terminer À la Recherche du Temps Perdu! Je ne suis qu'au début de A L'ombre des jeunes filles en fleur!).
Je sors bouleversé, émerveillé, ému, de la lecture de ce roman, un récit qui mêle fantastique et réalité, dans cette tradition russe unique, héritée de
Pouchkine et de
Gogol.
Il est difficile de résumer cette histoire assez complexe, avec un récit principal et un récit secondaire que l'on découvrira comme le roman du Maître consacré à Pilate. Un récit où interviennent de nombreux personnages, avec des "petits rôles" savoureux, telle cette Annouchka, surnommée "la peste".
Il y a une portée symbolique forte à ce roman que
Boulgakov débuta en 1928 termina en 1940 quelques semaines avant sa mort, et qui ne fut publié que bien plus tard...Mais, comme le dit Satan-Woland, dans une phrase prophétique "les manuscrits ne brûlent pas" .
Boulgakov y règle, de façon burlesque et fantastique, ses comptes avec le monde du théâtre qui lui fera toute sa vie des tracasseries puisque, sauf une, ses pièces seront refusées par la censure. Cette tyrannie des "autorités littéraires" sera aussi moquée dans son livre inachevé,
le Roman Théâtral.
Dans ce roman, Satan, le diable vient à Moscou. Satan c'est Woland, accompagné de ses extravagants acolytes, une drôle de trinité formée par deux lascars: le grand échalas Koroviev et le petit gros Azazzelo, et un énorme chat qui parle, Behemoth. Satan n'est pas ici celui qui apporte le mal, mais plutôt une sorte de justicier impitoyable qui va dévoiler et punir la laideur et les mensonges de tout ce monde du Théâtre des Variétés de Moscou.
Wolan et ses acolytes, par leurs pouvoirs magiques vont chambouler complètement la vie de tout ce petit monde littéraire et théâtral (l'incroyable description burlesque du spectacle de Woland et compagnie au Théâtre, celles non moins savoureuses au restaurant des auteurs littéraires), et apporter la folie ou la mort à certains des membres de cette confrérie.
Et puis au milieu de ce roman d'une magnifique construction, apparaissent les héros,
le Maitre et Marguerite.
Le Maitre, (est-ce
Boulgakov?) est un auteur tourmenté et pessimiste, qui n'a pas confiance en lui, qui a choisi, par désespoir, d'être enfermé dans une clinique psychiatrique.
Marguerite, son amante, c'est le personnage solaire, merveilleux du roman. Une héroïne positive, charismatique, dont l'amour pour le Maitre bousculera tout. Oui, pour
Boulgakov, on peut dire que la femme est l'avenir de l'homme!
A l'inverse de la Marguerite du
Faust de
Goethe, c'est elle qui va pactiser avec Woland-Satan, et les deux amants,
le Maitre et Marguerite, dans la mort, quitteront la terre et sa médiocrité pour la contrée du bonheur.
Et inséré dans le roman, il y a le récit écrit par le Maître sur l'histoire de Pilate et son remords éternel lié à sa lâcheté à n'avoir pas gracié Yeshoua, un Jésus décrit plutôt comme une sorte de "hippie", de moine bouddhiste, que comme le Fils du Dieu des chrétiens. Quel sens prend ce récit dans le roman? Faut il y voir, un sens autobiographique? On sait que
Boulgakov a obtenu de façon totalement inattendue, l'aide de Staline pour qu'une de ses pièces de théâtres puisse être jouée, après lui avoir écrit, en substance "soit vous m'aidez à ce que ma pièce puisse être jouée, soit je me suicide". Et donc ce fait d'avoir été "protégé" par Staline (même si, au demeurant, les censeurs vont quand même lui mettre sans arrêt des bâtons dans les roues) et que donc il a échappé au Goulag, ce qui n'a pas été le cas de beaucoup d'autres écrivains de son époque, a sans doute été perçu par lui comme de la lâcheté, qualifiée de la pire des fautes par Yeshoua. Mais c'est peut être aussi une allégorie de la lâcheté de tous ceux qui, dans l'Union Soviétique des années 30, se sont tus devant la répression de milliers d'innocents.
En conclusion, c'est un roman merveilleux, magnifiquement construit et écrit, avec une dimension magique et subversive, dont je n'ai sans doute pas compris toute la richesse, les références littéraires, les symboles tels que les thèmes de la lune, de l'orage, de la nuit...
Et on y rit et on y pleure.
On pleure d'émotion dans le dernier chapitre, quand Marguerite et le Maître s'en vont sur leurs chevaux, libérés de la "boue" de la terre, quand le Maître redonne sa liberté à Pilate, quand
le Maitre et Marguerite arrivent à leur maison éternelle.
Et on rit quand, dans l'épilogue, l'auteur raconte de façon désopilante, les dernières conclusions de l'enquête sur les événements qui se sont produits à Moscou, un vrai sommet d'humour slave...
Il y a aussi en arrière plan, je trouve, toute une réflexion sur la vérité et le mensonge, cette vérité fabriquée omniprésente à l'ère soviétique. Mais finalement, à notre époque contaminée par les fake-news propagées sur les réseaux sociaux, les contre-vérités de toutes sortes utilisées comme des armes, avons nous vraiment progressé?