La Pensée extrême (Denoël, 2009), du même auteur, laissa dans ma cervelle âgée, des traces importantes. Je découvrais alors, une pensée complexe, originale qui essayait de pister, avec une approche neuve, le chemin des fanatiques, J'essayais, à ce moment de mon existence, de comprendre comment on pouvait commander un einsatzgruppe, comment on pouvait le matin, se lever, prendre sa machette et aller tuer tranquillement son voisin Tutsis. Je n'y trouvais pas des réponses mais des idées au pouvoir explicatif indéniable avancées avec me semble-t-il une rigueur « scientifique ».
Avec
Apocalypse cognitive, le ressenti est très différent car le propos de
Gérald Bronner quitte le champ de la recherche, de la science pour un essai sur la « nature humaine » avec quelques saillies inappropriées pour régler des comptes ; saillies inappropriées comme celle, de plusieurs pages, sur les communautés anarchistes ardéchoises qui ne gênèrent personne. Comme
Gérald Bronner croît à la science, au progrès technique à la domination de la Nature par l'Homme, « Dans sa négociation avec cette nature, l'humanité est très progressivement passée d'un rapport de soumission à un rapport de domination : de la supplication, les hommes entendaient faire table rase pour désormais contraindre le monde à produire les effets qui leur paraissaient désirables. » (page 39), il truffe son texte de chiffres parfois désolants [« Même dans certains domaines où le bon sens se plaît à croire que les temps passés étaient meilleurs, nous découvrons, pour peu que nous fassions l'effort d'évaluer les situations par des données objectives, qu'il n'en est rien. Ainsi, la qualité de l'air que nous respirons aujourd'hui s'est beaucoup améliorée par rapport aux dernières décennies. En France, tout du moins, la disparition des centrales à charbon et les normes pesant sur l'industrie ont conduit à une réduction radicale des émissions de CO2, responsables des pluies acides qui défrayèrent la chronique dans les années 1980. On pourrait en dire autant pour le plomb ou le cadmium. On remarquera que le nombre de dépassements des normes sanitaires pour les particules fines était de 33 en 2007 que de 3 en 2016 » (page 28) CO2 au lieu de SO2, erreur de clavier, mauvaise relecture ? ; la qualité de l'air qui s'améliore, avec au moins en Europe 400 000 morts prématurées par an et une condamnation de la France le 24/10/2019 pour non respect récurrent d'une directive de 2008 sur la qualité de l'air ? « airparif » note : « L'ensemble des Franciliens sont exposés à des niveaux de pollution en ozone et en particules fines PM2,5 qui dépassent les nouveaux seuils fixés par l'OMS en 2021. C'est également le cas de 9 habitants d'Île-de-France sur 10 pour le dioxyde d'azote et de 3 sur 4 pour les particules PM10. Ce fait illustre l'importance d'aller encore plus vite et plus loin dans l'amélioration de la qualité de l'air, malgré les progrès relevés depuis plus de 20 ans en Île-de-France. » En une du journal le Monde du 13 septembre 2023 « L'exposition au plomb à l'origine de 5,5 millions de morts par an. » Je rappelle gentiment à
Gérald Bronner que l'espèce humaine est la seule espèce vivante à dégueulasser tous les lieux où elle passe même indirectement comme sur la planète Mars. Je me disais alors que
Gérald Bronner était climato-sceptique, qu'il biaisait les données alors qu'une partie de son travail consiste à dénoncer ce type de biais, non
Gérald Bronner n'est pas climato-sceptique, la suite du livre le montre, il est techno-solutionniste, c'est-à-dire un doux rêveur, un utopiste, un homme du passé, un fanatique de la raison. Je rappelle gentiment à
Gérald Bronner, également, que certaines sciences ne sont pas figées, chaque jour y apportant de nouvelles données, de nouvelles interrogations.], de références issues des neurosciences qu'il maîtrise peu et donc interprète à sa façon, d'expériences de psychologies cognitives en apesanteur. [
Stanislas Dehaene, auteur du remarquable
Les neurones de la lecture, (
Odile Jacob 2007) reçut une claque monumentale en essayant de transposer les acquis de laboratoire dans une classe]. Il faut attendre la page 347 à propos de l'expérience contestée du marshmallow pour qu'un brin de composante sociale arrive dans l'interprétation des comportements humains, vite relativisée à la page suivante car pour
Gérald Bronner « Le chemin est encore long pour atteindre le moment où la recherche pourra nous éclairer parfaitement sur les relations complexes qui existent entre le fonctionnement de notre cerveau et son environnement social. Il n'est pas douteux, en revanche, que certains cadres sont moins propices que d'autres à lui permettre de donner le meilleur. Cette perte de chances n'est pas seulement dommageable pour les individus. Elle représente une dilapidation de notre capital commun. » (page 348), ce qui importe, n'est pas l'individu simple vecteur d'un cerveau mais l'espèce et sa survie ; il convoque d'ailleurs plusieurs fois Darwin ; je pensais la sociobiologie disparue (voir Pierre Thuillier Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir ? La sociobiologie en question, Complexe, 1981),
Gérald Bronner la réactive.
La notion de temps de cerveau libre, expression qui en elle même ne veut rien dire, libre de quoi ? [il est étonnant que
Gérald Bronner qui semble avoir beaucoup lu sur les neurosciences, n'ai pas rapporté, ici, des expériences assez vertigineuses sur ce que l'on nomme le libre-arbitre] que l'auteur évalue à 5 heures quotidiennes par individu, mais immédiatement (page 64) il évoque le capital de temps de cerveau dont disposerait la France, entrant ainsi dans une logique économique de l'offre et de la demande, économie dans laquelle, bizarrement, l'argent ne semble pas être un acteur important à ses yeux.
Gérald Bronner pense que l'externalisation de processus cognitifs augmentera encore ce temps de cerveau libre, et comme ce temps, selon l'auteur, mais cela reste à démontrer, génère le « progrès » en particulier, le Monde s'améliorerait et ainsi deviendrait un quasi paradis et sa devise adoptée par l'ONU sera cette phrase du prix Nobel
Jean Perrin, que
Gérald Bronner rapporte à plusieurs reprises « Les hommes libérés par la science vivront joyeux et sains, développés jusqu'aux limites de ce que peut donner leur cerveau. » ;
Gérald Bronner s'interroge sur la deuxième partie de la phrase, moi je note la naïveté du prix Nobel « joyeux et sains ».
Deux moments très drôles :
- page 190 il nous dévoile qu'il utilise le mot apocalypse dans son sens premier quasi biblique « révélation de ce qui était caché »,
Gérald Bronner se rêve-t-il prophète en révélant ce que beaucoup de gens connaissent ?
- page 303 quand il évoque l'élection comme président de l'Ukraine d'un clown populiste,
Volodymyr Zelensky ; Poutine qui a dû lire ce livre eut envie de se bouffer une tartine avec de la confiture de clown.
Je vais utiliser le peu de temps de cerveau libre qui me reste aujourd'hui (à quand l'application pour la gestion de ce temps de cerveau libre?) pour regarder en replay le premier épisode de la saison 12 des berrichons et berrichonnes à Pétaouchnok, je kiffe trop !