Je remercie très vivement Babelio et les éditions Folio et Gallimard bien entendu pour cette merveilleuse correspondance.
Albert Camus et Maria Casarès se sont aimés en secret pendant plus de quinze ans. de 1944 à 1959, jusqu'à l'accident tragique de Camus, ils se sont déclarés, déclamés leur amour dans des centaines de lettres. Des lettres si régulières, parfois écrites plusieurs fois dans la journée (alors même que la fatigue se fait sentir, l'écriture à l'autre s'imposait), avec des messages si intenses, qu'en lisant cette correspondance, on sait avoir eu sous les yeux l'histoire d'un amour fort et si peu ordinaire.
Les sms et les mails ont supplanté depuis des décennies les cartes postales, cartes de voeux et lettres écrites à des connaissances et êtres chers. Les textos (contenant abréviations en tout genre et smiley de tout style) ont réduit en miettes les correspondances d'amoureux. Avec ces messages réduits au strict minimum et ces mails (ou autre technologie plus visuelle) il n'y a pas à dire, il y a un je-ne-sais-quoi de charme et de saveur délicate qui a disparu au fil des années.
La correspondance où nous prenions le temps d'écrire (vraiment écrire), de décrire les sentiments, de raconter dans le détail ses journées, de parler d'amour, d'oser parler d'amour, du manque, de l'absent, de l'autre aimé. Avec l'arrivée de la technologie et du ‘'toujours plus vite'', nous avons perdu cette possibilité et ce plaisir de se laisser aller, peu à peu, courrier après courrier, d'ouvrir de plus en plus son coeur et son âme, de faire entrer la poésie dans les relations, de faire entrer de la sensibilité dans les échanges, de s'informer vraiment de l'humeur de l'autre, de découvrir l'autre, et soi-même en même temps, et peut-être de s'aimer plus encore.
A l'inverse, peut-être certains pourraient penser que ces lettres avaient un goût trop « romancé », étaient parfois trop lyriques ou exaltées, avec ‘'l'autre'' grandement idéalisé et que ces correspondances étaient loin de la réalité du quotidien.
Qu'importe, en lisant la correspondance d'
Albert Camus et Maria Casarès, toutes ces réflexions sont presque balayées.
A travers celle-ci, j'ai vu deux âmes mises à nues, des aveux de sentiments forts, vibrants, des « je t'aime » à foison, de la complicité, de la sincérité. Parfois, des moments plus graves aussi, des malentendus, des jalousies, des agacements jusqu'à des crises et des ruptures. J'ai découvert Maria, actrice de cinéma et de théâtre espagnole, femme de caractère, au sang chaud, susceptible parfois et envoyant quelques piques moqueurs. J'en ai voulu quelque fois à Albert de ne jamais faire le choix de tout plaquer, de vivre leur amour pleinement, au grand jour. Pourtant, la majorité du temps, j'ai lu deux êtres attachés si fortement l'un à l'autre, le besoin réciproque de rassurer l'autre, de lui rappeler la place qu'il tenait dans son coeur, l'importance de lui répéter son amour, et même de le crier, de le pleurer, de le chanter. J'ai vu le manque constant de l'autre, leur plaisir, de la sensualité et de l'érotisme. Surtout, j'ai vu leur amour extraordinaire, intense, ardent, vivifiant.
Certes, on ne peut oublier le contexte. Il s'agit d'une relation adultère, de lettres sur un amour caché entre un homme marié avec deux enfants et de sa maîtresse. Après avoir refermé cette correspondance, on ne voit plus qu'un amour contrarié de deux êtres qui auraient dû pouvoir s'aimer librement et n'auraient pas dû souffrir autant du manque et de la distance. On ne pense plus cette relation que comme un bel amour tout simplement.
Devoir écrire ce billet en un temps restreint n'a pas été chose aisée parce que cela a demandé de lire plus de 1400 pages de courriers que, normalement, j'aurais pris le temps de savourer, longuement. Tant de déclarations que je voulais relire, citer, réciter, apprécier plus encore. Tant de belles images et d'émotions qu'on veut garder en soi… Ils osent tout se dire (ou presque) et ce ne sont pas de simples "deux ou trois mots d'amour". Lors de chaque courrier, plus qu'une simple lettre, ils ouvrent leur coeur et leur âme. Ils parlent de leur travail réciproque, Maria souvent sur les planches, à la radio et Albert à la rédaction de ses ouvrages (c'est terriblement émouvant et exaltant de lire
les mots de Camus durant l'écriture et ses réflexions), ils échangent sur leur tracas, ils se confient, ils expriment leur amour, traduisent leur émotion, leur besoin, leur manque (parfois physique, si douloureux), leur désir de l'autre de mille et une façons. Ils décrivent leurs sentiments divers, leurs émotions variables jusque dans les moindres détails, jusque dans les moindres pores de la peau. Ils sont incroyablement vivants. Ils sont incroyablement sincères et vrais.
Et cela fait un bien fou de les lire, de les suivre dans leur quotidien. Ils se sont aimés passionnément au point où, de temps en temps, j'avais l'impression qu'ils étaient seuls au monde, seuls avec leur amour ; qu'ils auraient pu se passer de nous, des autres tant leur attachement était grand, inconditionnel, indestructible. Ces fois-là, je me sentais de trop, je trouvais que c'était trop intime pour qu'on ait le droit de les lire. Ils s'aimaient et dans leurs lettres, cet amour passionné, passionnel déborde, explose, irradie… merveilleusement, luminescent.
Pour ceux qui estiment comme moi l'écrivain et philosophe
Albert Camus, l'homme de combat pour la justice et la liberté,
l'homme révolté, l'homme ami de
René Char et de Gallimard, c'est un véritable plaisir que de lire ses correspondances avec son amour Maria Casarès. J'ai retrouvé non seulement cet homme d'esprit que nous connaissons dans ses essais et romans, dans ses controverses avec
Sartre, mais en plus, par ses émotions d'homme, par le fait de le voir évoluer dans sa vie de tous les jours, par les aveux de l'homme amoureux écrivant à son amante, Camus m'a paru encore plus proche, plus réel, plus humain, encore plus homme de chair et de sang. Un homme qui aime et laisse battre son coeur. Et on l'aime plus encore et ce n'est pas peu dire…
Et malgré le contexte si particulier et si post-apocalyptique que nous vivons actuellement (ou peut-être à cause de ce contexte), lire la correspondance entre Albert et Maria m'a donné une furieuse envie d'écrire à l'être cher, d'écrire une longue lettre, des pages et des pages et de m'emballer d'amour ; d'écrire à tous ceux que j'aime parce qu'on est peut-être loin des yeux ces derniers jours et pour quelques semaines encore mais, certainement pas loin du coeur. Cela m'a donné une envie folle de (leur) écrire avec tout mon amour...