Ce recueil d'observations du milieu gay et de la vie qu'on y menait a bien sûr une valeur de document historique aujourd'hui, mais présente un intérêt littéraire indépendant des époques. D'abord parce que
Renaud Camus écrit bien, ce qui veut dire qu'il ne cherche pas à ajouter des grâces et des élégances, des enjolivures à sa prose, mais au contraire, qu'il la purifie de tout ce qui pourrait l'encombrer : aucune concession à la langue et au style du temps, et esthétique de la sobriété. L'autre intérêt de ce livre, c'est qu'il est le seul, ou l'un des rares dans la littérature consacrée à l'homosexualité masculine, à se refuser au tragique et au pathos : ou le tragique et le pathos intrinsèques (l'homosexuel est malheureux parce qu'il est homosexuel, même et justement quand il le revendique haut et fort, trop haut, trop fort pour qu'il n'y ait pas quelque problème) ; ou le tragique et le pathos, dirais-je, extrinsèques : les livres de
Renaud Camus, contemporains de l'épidémie de sida, n'en portent presque pas la trace, au sens lyrique et tragique du terme en tous cas. Nul n'est plus étranger à la lamentation et au tragique que lui. L'acuité de l'observation sociale, linguistique, humaine, implique une certaine distance par rapport à soi qui inhibe toute expression un peu lyrique de soi. C'est bien reposant, quand on sort de Guibert, Chéreau et autres.