Corps perdu
…Alors la vie j’imagine me baignerait tout entier
mieux je la sentirais qui me palpe ou me mord
couché je verrais venir à moi les odeurs enfin libres
comme des mains secourables
qui se feraient passage en moi
pour y balancer de longs cheveux
plus longs que ce passé que je ne peux atteindre.
Choses écartez-vous faites place entre vous
place à mon repos qui porte en vague
ma terrible crête de racines ancreuses
qui cherchent où se pendre
Choses je sonde je sonde
moi le porte-faix je suis porte racines
et je pèse et je force et j'arcane
j'omphale
Ah qui vers les harpons me ramène
je suis très faible
je siffle oui je siffle des choses très anciennes
de serpents de choses caverneuses
Je or vent paix-là
et contre mon museau instable et frais
pose contre ma face érodée
ta froide face de rire défait.
Le vent hélas je l'entendrai encore
nègre nègre nègre depuis le fond
du ciel immémorial
un peu moins fort qu'aujourd'hui
mais trop fort cependant
et ce fou hurlement de chiens et de chevaux
qu'il pousse à notre poursuite toujours marronne
mais à mon tour dans l’air
je me lèverai un cri et si violent
que tout entier j’éclabousserai le ciel
et par mes branches déchiquetées
et par le jet insolent de mon fût blessé et solennel
je commanderai aux îles d’exister
p.46-47
Corps perdu
Moi qui Krakatoa
moi qui tout mieux que mousson
moi qui poitrine ouverte
moi qui laïlape
moi qui bêle mieux que cloaque
moi qui hors de gamme
moi qui Zambèze ou frénétique ou rhombe ou
cannibale
je voudrais être de plus en plus humble et plus bas
toujours plus grave sans vertige ni vestige
jusqu’à me perdre tomber
dans la vivante semoule d’une terre bien ouverte.
Dehors une belle brume au lieu d'atmosphère serait
point sale
chaque goutte d'eau y faisant un soleil
dont le nom le même pour toutes choses
serait RENCONTRE BIEN TOTALE
si bien que l'on ne serait plus qui passe
ou d'une étoile ou d'un espoir
ou d'un pétale de l'arbre flamboyant
ou d'une retraite sous-marine
courue par les flambeaux des méduses-aurélies
…
p.46
Ton portrait
je dis fleuve, corrosif
baiser d'entrailles,
fleuve, entaille, énorme étreinte
dans les moindres marais
eau forcée forcement aux vertelles
car avec les larmes neuves
je t'ai construite en fleuve
vénéneux
saccadé
triomphant
qui vers les rives en fleurs de la mer
lance en balafre ma route mancenillière
Je dis fleuve
comme qui dirait patient crocodile royal
prompt à sortir du rêve
fleuve
comme anaconda royal
l'inventeur du sursaut
fleuve
jet seul comme du fond du cauchemar
les montagnes les plus Pelées.
Fleuve
à qui tout est permis
surtout emporte mes rives
élargis-moi
à ausculter oreille le nouveau cœur corallien des marées
et que tout l'horizon de plus en plus vaste
devant moi
et à partir de ton groin s'aventure
désormais
remous
et liquide.
p.48
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Il y a des mots qui font scandale aujourd'hui et qui ne choquaient pas hier. le mot nègre, par exemple. Tiens, savez-vous quel écrivain a réussi à en ruiner le caractère insultant pour le faire sien, fièrement?
« Cahier d'un retour au pays natal », d'Aimé Césaire – C'est à lire aux Editions Présence africaine.
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