Si nous voyons Liszt, dans les Etudes où il a consigné ses expériences de virtuose, ne pas sacrifier la musique à la virtuosité même, cette virtuosité non plus n'est pas chez lui de l'art pour l'art. Il a pu la pratiquer et l'exploiter pour arracher au public des acclamations qui ne le laissaient pas insensible, mais il l'a mise à profit, pour des desseins plus élevés, dans ses transcriptions.
Il s'agit ici pour lui d'élargir le domaine du piano et d'y faire rentrer, dans la mesure du possible, la voix humaine ou les timbres de l'orchestre. C'est à sa virtuosité qu'il demandera les ressources et les secrets nécessaires.
Telle a été l'histoire de Franz Liszt : une virtuosité inouïe sur le piano lui faisait, dès l'âge de quinze ans, dans toute l'Europe, une renommée foudroyante. Gloire trop rapide et trop précoce, entretenue sa vie durant à l'état d'illustration un peu théâtrale par la ligne de sa longue silhouette, par la griffe de son profil, par ses amours aristocratiques et romanesques, plus tard enfin par sa redingote de prêtre. Sa maîtrise du clavier, nul ne la lui contestait; son talent d'interprète, nul ne le lui disputait; mais les louanges ne voulaient pas aller au delà.
Tout jeune encore, désireux de jouer du piano comme son père qu'il ne se lassait point d'écouter, le petit Franz demandait à apprendre. Peu doué pour la pédagogie, Adam Liszt se montrait moins pressé. Mais un jour l'enfant — il avait alors six ans — reproduisit de mémoire sur le piano un thème du concerto en ut dièse mineur de Ries, qu'Adam Liszt venait déjouer.