Un trésor de pudeur et de poésie d'un homme qui a perdu la compagne d'une grande partie de sa vie et la mère de ses trois enfants…
Il se sent amputé, abasourdi, perdu, anesthésié comme tout être en souffrance, en deuil…
Maurice Chappaz reprend le quotidien, les souvenirs, les questionnements violents que provoque la mort d'un être cher…pour poursuivre « seul » le chemin…
“Le millième portrait
Quelqu'un part pour toujours, sa chambre se fige. Comment oser déplacer un objet ? Des lettres attendent sur la table, à l'une un début de réponse en train de sécher ou de vous interroger, et vous savez les lettres, chaque mois j'en reçois à son nom. Des amis perdus, innocemment font signe, des inconnus s'informent. (...) Sortir d'une maison, y rentrer: le passé et l'avenir condamné tâtonnent. (...)”
Un livre que j'ai emprunté à ma médiathèque depuis déjà un bon moment…Toutefois c'est le genre d'ouvrage que l'on ne lit pas d'une traite…qu'on lit peu à peu : Un hommage d'un écrivain- poète , Maurice Chapaz à la femme de sa vie,auteure elle-même, qui vient de mourir. La compagne aimée de toute une existence commune; leurs deux vies, dédiées l'une et l'autre à l'écriture.
« Louange
Tous les pas s'éloignent sur la route.
Rien à dire :
J'ai perdu- sans le connaître? - une être qui était la merveille de ma vie.
Je devrais maudire.
Or une louange monte, souffle. (...)
Notre monde est une aventure.
Le disparu est en moi.
La louange inconnue, qui d'ailleurs me nie, me traverse.
(p. 17)”
Un très, très beau livre qui se passe de commentaires, ne pouvant être que des « verbiages »…tant le style de Chappaz est ciselé, élégant, une petite musique précieuse…
Je rajoute simplement un extrait de la postface de
Jean Starobinski : «(...) « Comme certains veufs, accroupi devant la soupe qu'elle faisait (je revois tous ces gestes pour soulever le couvercle, remuer, prendre une branchette de sapin, mon Dieu ! elle est là courbée devant moi, de dos, avec sa jupe sombre, elle va me servir) , je sens un vide terrible en même temps : la faute de celui qui reste, vertigineuse dans les plus petits détails [...] Je tisonne. Je tire de la marmite, pour moi, la soupe dans un bol. Je n'ose presque plus faire les gestes qu'elle faisait.
Plus personne.
Je tombe en larmes."
Nous le voyons bien: ce n'est pas de la tristesse qui donne le ton. Au contraire, c'est l'acuité augmentée, qui fait percevoir plus finement, penser avec plus d'insistance, remémorer de façon plus intense. (...)
le Livre de C. n'est pas un livre de mélancolie, même si elle y fait irruption à de certains moments. (...) D'une présence perdue, d'une relation ininterrompue, il résulte que toutes les présences doivent être à nouveau interrogées, toutes les relations réexplorées. En tout sens: avec d'autres disparus, avec les lieux habités, avec le moment présent. Alors peut subvenir la sensation de la vie déserte et, presque aussitôt, un goût de plénitude. Ainsi au début du "chant" intitulé "Le Passage" :
"Le rouge-gorge plaintif siffle mais ce n'est que pour mémoire. On est toujours entre l'hiver et le printemps." (p. 150)
Très beau livre : contenu et forme: papier crème de belle texture, texte enrichi de deux portraits [de Corinna Bille et
Maurice Chappaz ] dessinés par
Gérard de Palézieux