Stavisky les secrets du scandale

Le 8 janvier 1934, dans un chalet de Chamonix, vers 16h00, Serge Alexandre Stavisky se donne la mort alors que des policiers sont venus l'arrêter. Depuis Noël, l'escroc a fuit Paris et le Claridge où il réside à l'année dans une suite luxueuse avec femme et enfants, abandonnant sa famille pour éviter d'être mis sous les verrous dans le cadre d'une enquête sur des faux bons de caisse du Crédit Municipal de Bayonne. On parle d'une escroquerie de plusieurs centaines de millions de francs qui impliquerait le député-maire de Bayonne et des proches de Stavisky.

C'est le début d'un scandale politico-juridico-financier qui va faire trembler la IIIème République et mettre à mal le pouvoir parlementaire, la police et la justice. Entre rapports de police enterrés, multiples reports de procès ancien, celui qui se fait appeler Monsieur Alexandre pour se refaire une virginité après une arrestation en 1926 dans une villa de Marly-le-Roi pour des faits similaires, mène la grande vie. Il tient table ouverte dans les plus grands palaces et restaurants de la capitale où ses commensaux sont des ministres, des parlementaires, des journalistes, des avocats ou des membres de la magistrature. Il dépense des millions dans les cercles de jeux et les casinos de la Riviera Française et de la Côte d'Argent.

Comment ce fils de dentiste russe exilé en France au début du XXème siècle, ce brasseur d'affaires louches dans lesquelles il plaçait au conseil d'administration des personnalités respectables et décorées, a-t-il pu en quelques années, devenir ce magnat de la finance ? C'est ce que nous relatent les auteurs Jean-Michel Charlier, le scénariste belge de bande dessinée, créateur du Buck Danny et du Lieutenant Blueberry ou encore de Tanguy et Laverdure et le journaliste Marcel Montarron. En reprenant point par point les événements, les escalades d'escroquerie (Madoff n'a rien inventé), les complicités (dont Stavisky a bénéficié dans les plus hauts cercles de pouvoir et dont les protagonistes sont nommément désignés) de ce scandale qui aboutira à un procès, véritable parodie de justice fin 1935, les auteurs dressent le portrait d'un homme charismatique, au talent de persuasion affirmé, véritable mégalomane à l'esprit sans doute dérangé par une syphilis qui a laissé des séquelles physiologiques et cérébrales et dont on peut légitimement se demander s'il possédait le bagage intellectuel et les connaissances techniques nécessaires pour évoluer dans le monde extrêmement complexe de la haute finance et des banquiers d'affaires qui s'en seraient plutôt servi comme d'un homme de paille.
Ils abordent aussi avec précision les conséquences néfastes du scandale comme les émeutes du 6 février 1934 lors des manifestations antiparlementaires organisées par les ligue d'extrême-droite et qui firent plus d'une vingtaine de morts et dont Marcel Montarron fut un témoin direct ou encore l'affaire Prince, ce magistrat, conseiller à la Cour d'Appel de Paris et chef de la section financière du Parquet de Paris dont on a retrouvé, le 20 février 1934, le corps déchiqueté par un train sur la voie ferrée Paris Dijon et qui était concerné au premier plan par l'enquête sur Stavisky. L'inspecteur Bonny, de sinistre mémoire pour son comportement au sein de la Gestapo française de la rue Lauriston durant la seconde guerre mondiale, chargé de l'enquête sur cette mort mystérieuse, n'arrivera pas à démêler le vrai du faux ni à établir s'il s'agit d'un suicide ou d'un assassinat politique, allant mêle jusqu'à soupçonner l'implication de la pègre marseillaise.

Pour cet ouvrage intéressant et documenté, j'aurai apprécié néanmoins la présence d'un index des noms propres qui aurait permis de faciliter le rapprochement et la compréhension des événements racontés avec une certaine objectivité jusque dans l'analyse du protagoniste n°1 de l'affaire, ce nabab extravagant "qui aurait donné l'univers pour qu'on parle de lui alors qu'il aurait dû donner l'univers pour qu'on l'oublie".