J'ai lu ce livre après une lecture plombante (‘'
Orphelins 88'' de
Sarah Cohen-Scali, excellent roman historique) dans lequel j'avais été confrontée à la violence de l'Histoire. J'ajoute que cette lecture se télescope avec une difficulté croissante à vivre dans une société où prévalent de plus en plus individualisme, exhibitionnisme (télé réalité, étalage de vie intime via les portables dans les lieux publics ou via Facebook et autres réseaux sociaux), matérialisme et instantanéité.
Dans ''
L'éternité n'est pas de trop'', j'ai trouvé sérénité, poésie, subtilité, altruisme, don de soi, pudeur, spiritualité et lenteur… je ne pouvais qu'apprécier.
Pour donner un aperçu de ce roman j'emprunterai deux phrases d'un autre livre de
François Cheng : «Bien nombreux, se tapissant partout, sont les obstacles extérieurs. Mais les êtres à l'âme élevée ne se rendent pas : ils sont aptes à transmuer l'absence en présence.» (in ‘'
Quand reviennent les âmes errantes'').
Il n'y a pas d'histoire, ou plutôt, celle-ci n'est qu'une toile de fond lointaine pour cette quête spirituelle : le dépassement d'un amour charnel impossible dans une société ligotée par les traditions et les séparations de castes ; c'est la sublimation d'un immense amour intériorisé.
Mais, si poétique soit-elle, cette quête n'est pas dénuée de sensualité ni d'une lutte pour les amants contre le désir charnel : «Sans doute, avant la rencontre, leur pensée a-t-elle été frôlée par l'informulé ou l'inavoué. Sans doute Dao-Cheng a-t-il vaguement espéré, audace inouïe, une forme inouïe d'intimité. Mais toutes les velléités se sont évanouies devant cette évidence. Dans l'état présent de leurs sentiments, marqués par la pudeur millénaire et la lointaine aspiration, rapprocher leurs corps n'est pas une perspective possible encore. Pour eux, plus urgent, plus intense qu'une étreinte qui les mettrait dans la gêne, est le regard qui s'offre comme le cadeau le plus précieux.» Les fêtes religieuses qui se succèdent sont l'occasion de brèves mais intenses retrouvailles ; comme cette fête de la Lune qui inspire cette prière à Dao-cheng : « Laisse-moi pénétrer ton jardin, tel un rayon de lune. Il éclairera tout sans rien bousculer. (…) Je comprends ta nostalgie. Tu es allée bien loin. Peut-être trop loin pour moi. Mais, crois-moi, je saurai te suivre. J'aurai toute la patience exigée.
L'éternité n'est pas de trop pour que je te rejoigne.»
Cet amour, sublimé par le temps, s'inscrit dans la durée de cette vie et des suivantes : «L'essentiel est que nous sommes déjà ensemble, aussi ensemble que si nous nous voyions. En cette vie et en une autre vie, âmes liées à jamais inséparables.».
François Cheng évoque l'arrivée des premiers jésuites en Chine. Les rencontres entre Dao-cheng, moine taoïste, et l'un d'entre eux donnent lieu à d'intéressants échanges sur divers sujets dont l'amour, qui l'aideront dans sa quête.
Un conte magnifié par la plume fine et délicate de
François Cheng.
PS : Membre de l'
Académie Française,
François Cheng a été élu au siège de Jacques de
Bourbon Busset ; je ne sais pas s'il s'agit d'un hasard ou si c'est un choix délibéré. La langue française sous ces deux plumes est un pur régal ; je vous recommande ‘'
Lettre à Laurence'' de J. de
Bourbon Busset.