Au gré des ciels, au gré des prières du chamane, des saisons et par la voix du chef de clan,
Chi Zijian souffle sur ce peuple nomade, les Evenks, le vent du Dernier quartier de la Lune, un chant plein de mélancolie et de secrets.
Dans ces lointaines contrées, loin du tumulte de la révolution chinoise, à l'extrême ouest de la chine, en longeant les steppes russes, en voisin de la Mongolie, la nature impose le silence aux hommes, déplie de générations en générations le respect des esprits. “tant que je vivrai dans la montagne, même si je suis la dernière, je ne me sentirai jamais seule.p14”
C'est en réalité une douloureuse épopée, que nous partageons avec
Chi Zijian. Il faut sans cesse changer d'emplacement, rechercher de la nourriture, suivre ou chasser des troupeaux de rennes, pour cette communauté d'éleveurs, l'hiver est une épreuve “Chaque année des bébés meurent de froid, j'ai une soeur ainée qui est morte ainsi, le vent violent a soulevé un bout du tipi”.p15
Ce récit d'une éni, grand mère de 90 ans, est rythmé par les naissances, les deuils les accidents, le prix à payer aux esprits est lourd, trop lourd pour Dash, pour Niro, c'est une fausse couche ou un suicide, souvenons nous quand Niro femme chamane sauve le jeune han, elle paiera aux esprits la vie de son propre enfant mâle.
Certains paierons aussi le prix fort leurs malchanceuses rencontres avec l'ourse et son ourson ou avec le loup affamé. La mort est une épreuve pour toutes les âmes de la forêt. La mort de l'ourse sera chantée d'une incantation singulière, la peur de voir les esprits se venger, la peur que les secrets douloureux se retournent sur les enfants et leur descendance. le chamane dans son costume entame la prière céleste...
Grand-mère ourse !
Tu es tombée,
Que tes rêves soient doux !
Ceux qui mangent ta chair
Sont les noirs corbeaux.
Parmi les arbres,
Nous mettrons pieusement tes yeux,
Comme une lampe aux Esprits !
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Parfois aussi quand la lune est belle, dans le silence feutré des blancs nuages, à l'abri du tipi les coeurs dansent, les amours s'embrasent, le souffle d'amour réveille les anciens comme des jeunes tourtereaux.
Cette longue marche du peuple Evenk évoque les récits des indiens cheyennes, il y a comme une parenté, de moeurs, de coutumes vestimentaires, de destin, là les massacres des bisons, ici l'abatage des arbres qui repousse inexorablement les troupeaux de rennes encore plus à l'ouest, franchissant des frontières virtuelles.
Un monde peu à peu s'essouffle, se dilue, s'estompe nous laissant cette amertume, d'avoir perdu Ladije, Valodia, Vladimir, Septembre, Victor ...
Mais le ciel est fleuri de nuages, des nuages tout laiteux pour celle qui est restée contempler par la trouée du tipi, ses étoiles, ses êtres tant aimés.
Un récit âpre, glaçant parfois et fougueux comme une bouffée de tendresse, pour ce peuple si attachant.