Le sujet, c'est la femme de mon auteur
Luc Chomarat met en scène un éditeur, un auteur et un libraire dans son Livre de la rentrée. Une façon subtile de nous plonger dans le milieu littéraire autour d'une quête amoureuse. Et de nous rappeler combien la littérature peut être envoûtante.
Et si je choisissais, pour l'une de mes premières chroniques de la
rentrée littéraire, de vous présenter
le Livre de la rentrée? Rien de plus logique me direz-vous, soulignant par-là que
Luc Chomarat avait déjà marqué un bon point avec son choix de titre. Imaginez en effet un lecteur un peu perdu face à la montagne d'ouvrages qui paraissent ces jours. Il se tourne alors vers son libraire et lui demander s'il peut lui conseiller
LE livre de la rentrée. Ce dernier n'aura alors qu'à lui tendre ce nouveau roman avec l'assurance de répondre sans hésiter à la question. Ce faisant, il n'a du reste pas à avouer que sa capacité de lecture et d'analyse ne lui ont pas permis d'être exhaustif sur le sujet. Peut-être se souviendra-t-il que l'an passé Éric
Neuhoff avait déjà tenté le coup avec
Rentrée littéraire.
Et au-delà de l'anecdote, ce choix n'est pas aussi gratuit qu'il en a l'air. Car l'auteur est un habitué de ce jeu subtil avec le lecteur. Passé par le polar avec
L'Espion qui venait du livre et
Un trou dans la toile, il a aussi produit quelques essais improbables avec le Zen de nos grands-mères ou encore Les 10 meilleurs films de tous les temps. Ayant ensuite fait le choix de passer à la littérature blanche, il était donc tout à fait logique de faire suivre
le Polar de l'été par
le Livre de la rentrée, subtil jeu de miroirs et de réflexions sur le milieu littéraire. Ses plus fidèles lecteurs y retrouveront aussi un personnage récurrent, l'éditeur Delafeuille, pris cette fois entre son métier et ses pulsions amoureuses.
Au centre de cette vraie-fausse intrigue, pleine de subtilité et de chausse-trapes, il y a donc ce métier d'éditeur et cette quête toujours renouvelée du manuscrit qui permettra de remporter un prix prestigieux, de renflouer les finances, voire d'assurer gloire et succès à l'auteur et à celui qui a cru en lui. Mais les manuscrits ont beau s'accumuler, la perle rare reste bien enfouie pour l'instant. Même si avec l'arrogance du débutant qui n'a peur de rien, un jeune plumitif se fait fort de lui offrir le roman qui rassemble tous les ingrédients marketing qui lui assureront des nuits paisibles. Un roman épistolaire qu'il présente ainsi: « Voilà, c'est quelqu'un qui est amoureux de quelqu'un d'autre et qui lui envoie des SMS. Et l'autre il répond par des SMS. En fait c'est que des SMS, tout le bouquin jusqu'à la fin. (…) c'est moderne. Y a zéro description et un vrai langage d'aujourd'hui. La forme, c'est vachement important. » Pas la peine non plus de mette un correcteur, car le texte «est plein de fautes comme les vrais SMS. Ça donne un côté vécu vrai.»
Pourtant Delafeuille mise plutôt sur un auteur déjà publié, sur un livre qui s'éloigne bien de ces fameux critères, celui de Luc. Il lui propose une autofiction mettant en scène son couple, mais centré sur son épouse Delphine.
Très vite, on se rend compte que le choix de Delafeuille n'est pas littéraire, car il a croisé le regard de Delphine et s'est senti attiré par cette femme désormais objet de tous ses fantasmes. Alors quand Luc lui propose de les accompagner dans le
Sud-Ouest pour tenir compagnie à son épouse pendant qu'il travaille à son manuscrit, il accepte volontiers. Et profite de chaque opportunité pour parfaire le portrait qu'il se fait de cette femme. Par exemple, quand au petit matin, il l'accompagne dans sa promenade avec son chien. « Ils quittaient la maison silencieuse, au milieu des brumes matinales. On n'y voyait rien, ou presque rien. La forêt semblait se refermer derrière eux comme un piège. On était dans
le Seigneur des anneaux. Ou ce qu'il en imaginait, il n'avait pas lu
Tolkien. le brouillard, les arbres qui ressemblaient à des sorciers aux bras multiples. Delphine elle-même avait quelque chose de gothique, dans le long manteau noir qui lui prenait la taille et ses hautes bottes à lacets. »
Voilà la magie de la littérature. Et voilà comment
Luc Chomarat est grand. Il nous fait «croire à l'existence d'un être sur la foi de simples signes typographiques, élaborer son physique, sa psychologie, sa présence et même son absence, et pose une question annexe et troublante. Est-ce aussi notre cas à nous?» Non, la littérature n'a pas fini de nous envoûter,
le livre de la rentrée nous le confirme une fois de plus.
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