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EAN : 9782385530044
240 pages
La manufacture de livres (24/08/2023)
3.49/5   97 notes
Résumé :
Un portrait de femme moderne, active, rebelle, qui fait bouger les lignes, voilà ce que cherchent tous les éditeurs pour la prochaine rentrée littéraire. Et parmi eux, Delafeuille a intérêt, s’il veut garder son poste, à dénicher le livre qui sera au centre de l’attention en septembre. Mais contre toute logique commerciale, le roman qui l’attire vraiment est celui de Luc, auteur un rien misogyne auquel il est depuis longtemps lié. L’écrivain a décidé de consacrer so... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
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°°° Rentrée littéraire 2023 #7 °°°

Delafeuille, éditeur parisien, est sommé par sa directrice commerciale de trouver LE livre de la rentrée, « un bon texte est un texte qui se vend » lui dit-elle. Il se met alors en quête de dénicher la perle rare, celle qui sera compétitive et saura se démarquer de la mêlée. Jusqu'à passer quelques jours chez un écrivain misogyne qu'il suit depuis longtemps et lui propose son dernier roman centré sur sa femme Delphine, pas du tout dans l'air du temps post MeToo, mais qui l'attire contre toute logique commerciale … tout autant que Delphine le fascine au point d'en tomber amoureux.

Ceux qui connaissent l'auteur seront enchantés de retrouver son héros récurrent Delafeuille, après L'Espion qui venait du livre et le Dernier thriller norvégien. Les autres découvriront un auteur d'une grande facétie qui joue de façon jubilatoire avec le lecteur tout en le faisant réfléchir sans prise de tête.

Un écrivain qui porte le même prénom que lui, Luc, et dont les romans portent les mêmes titres que ceux de Chomarat. Des fausses maisons d'édition parfaitement identifiables. Une fausse autofiction qui, par sa folie douce, fait penser au film Dans la tête de John Malkovitch. Par une mise en abyme malicieuse en diable et un procédé du livre dans le livre astucieusement utilisé, l'auteur alterne ou superpose plan fictionnel et plan réel pour construire un roman gigogne dans lequel tout se mélange jusqu'à fusionner en une joyeuse métafiction.

C'est déstabilisant au départ parce qu'on sent bien que quelque chose cloche, mais une fois entré pleinement en lecture, on se marre beaucoup et on se laisse charmer par l'absurde et le ton décalé du récit. Les scènes sur le monde éditorial sont croustillantes d'ironie, entre les piques sur les attentes supposés des lecteurs, la tambouille business des maisons d'édition très éloignée de toute prétention qualitative ou encore les écrivaillons de confinement qui se prennent pour des génies ( « tous ces gens qui écrivaient et qui ne lisaient pas. le peer to peer, on y était presque. Un lecteur par auteur. » )

On se marre, oui, mais sans pour autant que Luc Chomarat ne verse dans le cynisme gratuit. Mais derrière cette désinvolture apparente, se dessine une réflexion tous azimuts sur le processus créatif. Par exemple, comment écrire sur une femme quand on est un écrivain homme ? Comment se mettre dans sa peau en évitant le male gaze et de se laisser aller à une « masculinité débridée » … surtout si on appartient à une génération pour laquelle comprendre les transformations de son époque dans le domaine relations hommes-femmes ne va pas de soi ?

Et puis il y a un très bel hommage à la littérature, celle qui fait voyager chaque lecteur dans sa propre imagination avec son magie enivrante donnant l'impression que tout est possible, avec notamment le personnage de Delphine « une femme unique comme on n'en rencontre qu'une seule fois dans une vie, ou, ainsi qu'il l'avait précisé, comme il n'en existe qu'en littérature , « une femme dont on tombe amoureux dès l'enfance » ( j'adore cette phrase ! ).

Un exercice de style effervescent mené avec intelligence et tendresse.

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C'est toute chiffonnée que j'écris ma bafouille, après avoir longuement hésité à le faire.
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Par souci d'honnêteté, je vais commencer par préciser que je me suis emparée de ce livre après avoir lu les retours plus qu'enthousiaste de mes babelpotes, et je dois reconnaître qu'il y a sans aucun doute dans ce roman tout ce qu'ils y ont vu.
Mais moi je suis passée complètement à côté, mais alors très très loin, d'où ma déception, et ce n'est pas la faute de l'auteur.
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L'histoire démarrait très bien, j'ai embarqué de suite.
Un éditeur est sommé par la maison d'édition pour laquelle il travaille de dénicher le livre de la rentrée.
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Nous faisons sa connaissance alors qu'il prend quelques jours de vacances chez un ami auteur.
La nature, les zoizos, le chien, le gamin, la forêt et la nature tout autour, voyez le tableau, c'est idyllique.
Seulement voilà, le mec tombe raide dingue amoureux de la femme de son pote.
S'en suivent moult pages consacrées à la fameuse Delphine.
Je me suis ennuyée, j'ai mis un temps fou à venir à bout de ce roman.
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Sauf qu'il y avait davantage à comprendre... mais j'aurais dû aller relire les critiques de mes amis avant de me plonger dans le livre, peut-être que j'aurais mieux appréhendé l'intrigue.
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Voilà, je suis désolée de vous doucher dès l'aube ou presque, mais ne laissez pas ce livre de côté à cause de mon retour, que j'ai essentiellement écrit pour ceux qui comme moi, seraient déçus par leur lecture.
Non, vous n'êtes pas seuls ! :)
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Mais allez plutôt lire les autres critiques avant de rejeter le récit d'emblée.
Bonne lecture.
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Le pitch, pour faire simple (en attendant que beaucoup de choses se dédoublent) : Luc l'écrivain (le double de Luc Chomarat), invite Delafeuille son éditeur (qui ne se souvient plus de son prénom) pour un week-end de repos dans le Sud-Ouest, à Farsac. Et il en a bien besoin Delafeuille, la rentrée littéraire approche et la directrice commerciale lui met la pression pour mettre la maison Mirage au premier plan. Il a bien un roman (« de la merde » selon lui-même) à proposer et à propulser, mais bon. Toujours est-il que Delafeuille tombe sous le charme de Delphine, la compagne de Luc. Ça tombe bien, Luc est en train de consacrer son nouveau roman à Delphine. Oui mais voilà, Luc, un brin macho sur les bords (voire plus), un homme resté scotché au 20ème siècle, ringard aux entournures, peut-il cadrer son texte avec les standards metoo ? D'autant que Delphine non plus n'est pas vraiment à l'image de la femme héroïque que le monde de l'édition et les lectrices (on ne parle pas beaucoup de lecteurs par ici, stats obligent) attendent aujourd'hui.

On pense à Ferri et Larcenet dans leur mise en abyme du « Retour à la terre », Fabcaro peut-être pour l'humour déjanté. Mais ici en plus du dédoublement des personnages et de celui des livres (celui qu'on lit et le manuscrit que Luc est en train d'écrire), il y aura aussi les lignes de la fiction qui seront franchies voire bousculées sans hésiter. Il ne faudra pas être surpris par un Delafeuille intervenant en direct par texto dans une scène du livre écrit par Luc – pas à son goût –, ou des voisins qui se présenteront comme personnages secondaires. le lecteur sera invité à naviguer dans des situations formelles cocasses en regard de la littérature traditionnelle, voire des temporalités embrouillées entre imagination et réel. Tout cela pourrait paraître compliqué. Mais pas de panique, ça reste lisible, l'écriture sobre de Luc Chomarat bienvenue dans l'imbroglio. Et puis c'est souvent drôle. Et intéressant. D'autant que le roman évoque la littérature, dévoile aussi un monde de l'édition et du livre étrangement proche de ce que l'on peut imaginer de sa version sombre en en étant éloigné, entre diktats économiques (« les commerciaux font la loi dans le livre ») et diktats idéaux pour l'économie : «Bon, vous savez comme moi ce qui marche. le capitalisme c'est pas bien, et ça il faut le dire, il faut avoir le courage de le signifier courageusement. Quoi d'autre ? La planète est en péril, d'après ce que j'ai entendu dire.... Et puis les femmes, oubliez ce que j'ai dit, les femmes qui en ont marre, c'est toujours une bonne idée. Et la maladie, le malheur sous toutes ses formes. Un peu de cul. du cul féministe, évidemment, je ne vais pas vous apprendre le métier ».

Voilà en tout cas un livre qui balance entre roman formel et diatribe d'un milieu, un méta-roman en mise en abyme assez barré, intelligent et fin aussi, iconoclaste, le plus souvent drôle dans son détournement de la littérature, corrosif dans sa description du milieu de l'édition. Il interroge à sa manière transgressive réalité et fiction, avec beaucoup d'humour. N'empêche... En cette période de prix automnaux, ne cherchez plus « le livre de la rentrée » (avec les guillemets)
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Luc Chomarat a-t-il vraiment écrit le livre de la rentrée ?

Ce serait plutôt cocasse car l'auteur, plutôt facétieux, se livre ici à une caricature à peine voilée du monde de l'édition.
Dans ce récit, il engage une nouvelle fois Delafeuille, un personnage de fiction déjà présent dans d'autres romans, pour partir à la recherche du roman idéal de la rentrée littéraire, le roman qui se vendra bien.
Sous la pression de sa directrice commerciale, il se doit de trouver la perle rare. Il se rend chez Luc un ami écrivain alors en plein travail d'écriture, sur un portrait de femme fortement inspiré par son épouse. Mais ses idées et son comportement trop rétrogrades ne sont pas vraiment en phase avec les tendances du moment...

Luc Chomarat nous invite ici à réfléchir, souvent de façon ludique, au livre et à la création littéraire sous de nombreux aspects. Les sujets tendances, sensibles ("le male gaze"), le marketing, la commercialisation, rien n'échappe à la plume vivace de l'auteur qui n'hésite pas à faire des clins d'oeils à de nombreux auteurs...dont lui même...
Il se livre en effet à un bel exercice de métafiction où la fiction et la réalité vont s'entrechoquer, parfois nous perdre un peu, mais sans jamais sombrer dans la prise de tête. Les maîtres du genre comme Cervantes ou Italo Calvino auraient apprécié.







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« Vous savez, tout le monde veut sortir le livre de la rentrée. » ● Un éditeur parisien vieillissant, Delafeuille, doit trouver le livre de la rentrée s'il souhaite conserver son poste. Sinon, la directrice commerciale ne le ratera pas (« C'était une femme intelligente, méchante, brune. D'une plastique intéressante, en même temps repoussante, comme ces magnifiques couteaux de cuisine avec lesquels on sait qu'on va se blesser. »). Pour ce faire, il va passer une semaine chez un écrivain dont les conceptions des relations femme/homme sont plutôt dépassées et ringardes et qui porte le même prénom que l'auteur, Luc. Pourtant, sa femme Delphine est aussi belle que rayonnante et intelligente. D'ailleurs Delafeuille ne sera pas insensible à ses charmes, frustré qu'une femme aussi pleine de qualités échoie à un macho comme Luc. ● J'avais lu le Polar de l'été de Luc Chomarat, qui ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable. ● Son dernier opus, le Livre de la rentrée, commence bien et on se régale de la mise en abyme et des jeux entre la réalité et la fiction. Delafeuille est à la fois un personnage de ce roman et en est « l'éditeur de fiction », discutant de ce qu'il vient de vivre comme s'il venait de le lire. Cela crée bien sûr un décalage amusant, comme un défaut de perspective, comme dans un tableau de Picasso. ● A cela s'associe la thématique de l'édition germanopratine, du diktat commercial, des auteurs créés de toutes pièces dans l'espoir d'un coup – même si leur livre « c'est de la merde » – , du copinage et du népotisme (cet auteur qu'on édite parce que c'est le neveu d'une des directrices et à propos de qui il faut absolument dire qu'on a reçu son manuscrit par la poste…)… La satire du milieu est amusante et malheureusement sans doute à peine caricaturale. « Un bon texte est un texte qui se vend. […] Bon, vous savez comme moi ce qui marche. le capitalisme c'est pas bien, et ça il faut le dire, il faut avoir le courage de le signifier courageusement. Quoi d'autre ? La planète est en péril, d'après ce que j'ai entendu dire… Et puis les femmes, oubliez ce que j'ai dit, les femmes qui en ont marre, c'est toujours une bonne idée… Et la maladie, le malheur sous toutes ses formes. Un peu de cul. du cul féministe, évidemment. Je ne vais pas vous apprendre le métier. […] Ce sont les vieilles qui lisent des livres. Les vieilles. Bientôt elles seront toutes mortes. Les teenagers, non. […] Fais comme les autres, fais croire que t'es progressiste, que tu votes à gauche. » ● Une autre dimension du récit est constituée par les rapports femmes/hommes, la vigilance de tous les instants qu'il faut observer dans l'ère post-MeToo, et alors même que tous les machos n'ont pas disparu, y compris parmi les auteurs. Que dire d'un homme écrivant sur une femme ? Quid du « male gaze » dans ce cas ? « Publier un livre est devenu compliqué. Il y a tant de mots qu'on ne peut plus employer. Tant de thèmes qu'on ne peut plus aborder. » ● Malheureusement le procédé de la mise en abyme, utilisé jusqu'à la corde, finit par être lassant, d'autant qu'il ne peut mener qu'à une aporie. le dernier quart du livre m'a paru à cet égard bien longuet…
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critiques presse (1)
Bibliobs
29 septembre 2023
Avec « le Livre de la rentrée », roman drôle et réjouissant, l’auteur de polars offre une satire bien sentie du milieu littéraire.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Delafeuille tomba immédiatement sous le charme de Delphine. Sa haute silhouette, son élégance, la vivacité de sa démarche, une
certaine gaucherie préservée, ce sourire solaire et désarmant, elle était bien telle que Luc l’avait décrite: une femme unique, comme on n’en rencontre qu’une seule fois dans une vie, ou, ainsi qu’il l’avait précisé, comme il n’en existe qu’en littérature.
– Bonjour. Je suis Delphine.
– Oui, j’avais deviné.
Malgré lui il s’inclina légèrement. Depuis l’arrivée du Covid en Occident on n’avait plus à poser la question de rigueur: «On s’embrasse?» On ne s’embrassait plus. On ne se serrait plus la
main, et quant à singer ces gestes des jeunes générations, il n’en était pas question.
– Luc est en plein travail. Vous le connaissez, il est hors d’atteinte dans ces moments-là. J’ai proposé de venir vous chercher. Il ne l’aurait pas demandé, mais j’ai bien vu qu’il était soulagé.
Il rit avec elle. Il se sentit immédiatement à l’aise, et remercia le ciel de cette aubaine. Il n’était en général pas à l’aise avec les femmes, et moins encore avec les femmes des autres. Surtout, combien de fois avait-il perdu un ami, parce que celui-ci avait décidé de convoler avec une créature objectivement insupportable?
– Je suis garée là-bas. Voulez-vous que je vous aide?
– Non, ça va, dit Delafeuille en balançant son sac sur son épaule.
Je suis un vieux monsieur, mais pas encore tout à fait impotent.
– Je vous ai vexé.
– Pas du tout. Nous avons le même âge, Luc et moi, vous savez. Ou vous aurait-il menti sur ce point? À nouveau, il rit avec elle. Ils sortirent de la gare. Le soleil était encore haut, c’était presque l’été indien, ici dans le Sud-Ouest. La
petite valise à roulettes de Delafeuille faisait un bruit infernal sur le bitume, qui lui fit prendre conscience du silence qui régnait à Farsac. Que disait encore son guide? Mille cinq cents habitants, quelque chose comme ça. 1275 âmes. Elle tendit le bras et deux lumières brèves ponctuées d’un étrange bruit de baiser indiquèrent que c’était là sa voiture, une petite BMW électrique. Comme beaucoup de vrais Parisiens, Delafeuille n’y connaissait rien en automobiles, sujet qui ne l’intéressait absolument pas, mais il ne comprenait pas très bien l’utilité de ce genre de voiture, évidemment pensée pour la ville, dans un lieu aussi isolé. Il se garda bien d’en faire la remarque, ne sachant comment elle le prendrait.
Elle l’invita à poser ses bagages sur la banquette arrière, le coffre étant «encombré de tout un tas de choses pour les animaux».
La voiture démarra dans un silence total, qui le prit au dépourvu. Il n’était pas habitué aux voitures électriques.
– Ah, c’est étonnant. Alors, vous y croyez?
– Quoi donc?
– La transition écologique, tout ce dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années.
– Oh, Luc et mon fils ont eu cette discussion interminable sur l’impact réel de…
– Oui?
– Vous en parlerez avec eux, si vous voulez. (Elle rit à nouveau, un rire joyeux, clair, enfantin, si différent des ricanements mondains auxquels il était habitué.) Vous connaissez Luc, c’est une
encyclopédie vivante. Il paraît qu’un expert avait prévu la fin des énergies fossiles pour 2015. Et il n’y a jamais eu autant d’essence à disposition, semble-t-il. Mais je la trouve très mignonne, cette voiture. Et puis c’est tellement agréable à conduire.
Ils traversèrent le petit village de Farsac, que Delphine qualifia d’adorable, et qui l’était effectivement, avec ses maisons de pierre
ocre aux tuiles carmin. C’était peut-être un peu trop propre à son goût à lui, il trouva que ça avait un petit côté Disneyland. Elle lui montra au passage la cour de l’école, sur laquelle on avait une vue plongeante depuis la petite rue qu’elle emprunta, le village étant sur une butte.
– C’est Tommy, là-bas. L’anorak rouge. Vous le verrez ce soir.
Delafeuille hocha la tête. Il était difficile d’imaginer cette femme avec des enfants, il n’aurait su dire pourquoi. Peut-être parce qu’elle semblait si jeune. En contrebas coulait la Garonne, et au-delà s’étendaient les champs de vigne, à perte de vue dans la lumière dorée de cette matinée, et Delafeuille fut frappé de l’impression de plénitude qui émanait du décor. Décidément il avait eu raison d’accepter l’invitation de Luc. Il se demanda si lui aussi n’allait pas quitter Paris, un de ces jours.
– Là, c’est mon coiffeur, dit Delphine en montrant une petite boutique blanche et nette comme une clinique, encastrée entre deux maisons en pierre. Un homme très demandé. Il n’y en a pas d’autre dans un rayon de vingt kilomètres.
Delafeuille était fasciné par ses mains, ses gestes aristocratiques tandis qu’elle désignait tour à tour l’église, le restaurant gastronomique et le club du troisième âge.
– Nous irons bientôt, dit-elle en riant. Je veux dire, au restaurant.
Delafeuille rit aussi, cette fois par politesse. Il n’aimait pas trop penser à son âge.
Moins d’un kilomètre après la sortie du village, elle engagea la voiture dans une route étroite qui indiquait la direction d’un lieu-dit: les Trois Ormes. Quelques propriétés distantes et ombragées se succédèrent. La cinquième était celle de Luc. Delphine prit un bip sur la console centrale et le portail de fer forgé s’écarta à l’approche de la BMW.
– Nous y sommes, dit-elle.
Elle se gara à l’ombre d’un grand arbre qu’il renonça à identifier, à côté d’une autre voiture, un gros pick-up aux marche-pieds chromés comme on en voyait dans les films américains.
Devant eux des VTT étaient alignés sous un petit abri en bois.
Il mit pied à terre. Il ne découvrait pas vraiment la maison, dont Luc lui avait envoyé des photos par courriel. Mais elle était là dans son contexte, baignée de l’odeur des pins et du chant des oiseaux : une vieille maison de pierre avec un étage, flanquée d’un conduit de cheminée extérieur et d’une extension au design
moderniste, mélange savamment orchestré de grandes baies vitrées et de poutres de chêne. Une pelouse soigneusement entretenue, des massifs de fleurs, des cyprès. «Écoute, ce n’est pas la mafia russe, avait dit Luc au téléphone, mais c’est quand même une jolie petite maison avec piscine. Tu auras ta chambre, et même une entrée indépendante.»
Il chercha la piscine des yeux, ne la vit nulle part, en conclut qu’elle devait être derrière la maison et qu’il y avait donc encore du terrain. Luc faisait partie de ces rares privilégiés qui arrivent à vivre de leur plume, et semblait-il, à en vivre très bien. Rien d’étonnant. Par curiosité, Delafeuille avait regardé où en étaient ses ventes avant de venir. De ce côté-là, tout allait bien, les GfK étaient bons. Il se sentit flatté de faire partie de ses amis, et même d’être suffisamment intime pour qu’on l’invite à passer quelques jours avant l’arrivée de l’automne.
– Je vais vous montrer votre chambre. Luc s’est enfermé dans son cabanon. Il a dit qu’il nous rejoindrait pour l’apéritif. Donc, je ne sais pas, si vous voulez d’abord vous rafraîchir…
Il la suivit à l’intérieur de la maison. Comme il s’y attendait, c’était décoré avec goût. Le salon et la cuisine américaine, meublés avec précision, semblaient tout droit sortis d’un film des années
cinquante.
La chambre d’amis était à l’étage, au fond du couloir, à côté de la salle de bains.
– C’est le seul problème, il n’y a qu’une salle de bains. Elle est très grande, très agréable, mais voilà. Nous devons nous la partager. J’ai mis une serviette sur votre lit.
– C’est très aimable. Merci de m’accueillir chez vous.
– C’est un honneur. Donc, c’est bien vous. Il la regarda, un peu surpris.
– Delafeuille, dit-elle. L’éditeur de fiction. Il mit un moment à comprendre, puis se détendit soudain.
– Ah, oui. Oui, bien sûr, c’est moi. J’avais oublié cette histoire.
Elle lui sourit.
– Bon. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis sur la terrasse. Derrière la maison, précisa-t-elle.
Elle virevolta sur elle-même et descendit l’escalier en sautillant, à la manière d’une adolescente. Troublé, Delafeuille posa ses
bagages, s’assit sur le lit et, sans trop se rendre compte de ce qu’il faisait, déplia la grande serviette éponge sur ses genoux. Il soupira. L’éditeur de fiction.
Il n’avait pas envie de vivre ça à nouveau.

Il regarda autour de lui. La chambre, comme le reste de la maison, était élégante et sobre, dans les tons pastel. On avait l’impression de se déplacer à l’intérieur d’une estampe japonaise.
Par la fenêtre entrouverte lui parvenaient le silencieux mouvement des arbres et, de loin en loin, le chant étrange et strident d’un oiseau isolé. L’Oiseau à ressort, pensa-t-il. Il haussa les épaules.
«Est-ce que tu peux arrêter cinq minutes de penser à des livres? Tu es en vacances… Ou presque.»
Oui, il avait eu raison d’accepter l’invitation. Les derniers mois à Paris avec le port du masque avaient été éprouvants, en tout cas pour lui, et il espérait trouver ici le calme et la verdure, et ma foi, c’est bien ainsi que les choses se présentaient. C’était calme et c’était vert. Et Delphine était charmante.
Pourtant, quelque chose le mettait mal à l’aise.
Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. C’était absurde. À nouveau, il haussa les épaules. Tout va bien, se dit-il. Ce n’est que moi. Je n’ai pas l’habitude que les choses aillent bien. Cela
doit m’angoisser, d’une certaine façon.
La serviette toujours en main, il se dirigea vers la fenêtre, l’ouvrit en grand. La chambre donnait sur l’arrière de la maison: un petit toit de tuiles qui devait surplomber la terrasse, au-delà la piscine, plus de dix mètres de long semblait-il, le tour en bois de teck brillant comme du métal, plus loin du vert et des arbres, et dans le fond de la propriété, un petit local en pierres apparentes,
au toit visiblement refait à neuf, qui ressemblait à un modèle réduit de l’habitation principale et qu’il devina être «le cabanon».
«Les auteurs à succès se ressemblent tous, pensa-t-il. Une jeune et jolie femme, de d
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– Il m'est apparu que les protagonistes sont invariablement des personnages de fiction qui se fantasment comme des personnes réelles, ce qui revient pour eux à prendre en charge le processus même de lecture, le travail du lecteur, ce qu'il a d’unique et de passionnant: croire à l'existence d’un être sur la foi de simples signes typographiques, élaborer son physique, sa psychologie, sa présence et même son absence, et pose une question annexe et troublante. Est-ce aussi notre cas à nous? En termes philosophiques, est-ce le papillon qui rêve de moi à présent ?
— Ah oui, Tchouang-Tseu, intervint Raoul.
— Gnagnagna, marmonna Delafeuille.
— Il est néanmoins intéressant de tisser des liens entre les trois livres, voir comment ils se répondent, comment les mêmes figures se répètent, sur le plan formel. Et notamment le passage à la première personne, présenté comme logique et pourtant immédiatement résorbé. Et sur le plan narratif, par exemple dans ces scènes où les personnages se retrouvent confrontés à la dimension métadiégétique du texte tout en veillant à la préparation d'un bon repas... p. 209
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Très vite, les marionnettes créées par le romancier vivent leur propre vie, vont parfois jusqu'à contredire l'intrigue, disent leur propre texte.
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- Je suppose que tu n'as pas de romans Star Wars?
- J'ai plein de romans Star Wars. Tu cherches un titre en particulier ?
- Évidemment non. Je n'y connais rien. Est-ce que j'ai une tête à lire des romans Star Wars ?
- C'est un bon investissement. Ceux qui étaient au Fleuve avant sont presque tous épuisés, on les trouve sur le web à des prix hallucinants, des cent euros et plus.
- C'est pour un môme qui ne lit que ça.
- Ken Liu en a écrit un. Et je crois que je l'ai.
- Qui ça ?
- Ken Liu. Ne me dis pas que tu n'as pas lu Ken Liu.
- J'ai lu tout À la recherche du temps perdu. Et toute La Comédie humaine. Je ne peux pas tout faire.
- Tu mens, Delafeuille.
- Bon d'accord. Récemment j'ai surtout lu des conneries. Ce qui sort, quoi.
- Qu'est-ce que je suis bien au rayon polar et science-fiction ! Mais qu'est-ce que je suis bien! Suis-moi.
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"Il faut bien que les gens continuent de rêver. Si on veut qu'ils achètent des livres. Surtout maintenant qu'ils sont tous ecrivains."
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Vidéo de Luc Chomarat
Luc Chomarat vous présente son ouvrage "Le livre de la rentrée" aux éditions La Manufacture de livres. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2886498/luc-chomarat-le-livre-de-la-rentree
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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