Comme la plupart des peintres de la Renaissance, Géricault a fait de la sculpture. On connaît son cheval écorché, dont le moulage est dans tous les ateliers, chef-d'œuvre aussi bien par le choix des formes que par la science anatomique et la perfection du rendue C'est le plus beau cheval qui existe. Géricault a aussi sculpté sur une pierre du mur de son atelier de la rue des Martyrs, un Cheval retenu par un homme, d'un très faible relief et qui a été moulé. Il s'était mis à ce travail, d'inspiration, creusant le moellon à la grâce de Dieu, avec un ciseau de menuisier. M. Jamar, voyant son embarras, monta la rue des Martyrs, et trouva près de la barrière des tailleurs de pierre qui lui vendirent quelques outils; c'est avec ces instruments grossiers que Géricault termina cet ouvrage.
En entrant à l'atelier, Géricault avait sans doute la meilleure intention de se soumettre à la discipline sévère de son maître; mais à chaque instant sa nature fougueuse l'emportait. Sa manière de procéder déroutait complètement le méthodique et méticuleux Guérin. Il portait cependant un véritable intérêt à son bouillant élève, mais il ne comprenait rien à cette façon de voir la nature et de l'interpréter. On raconte qu'un jour Géricault lui ayant demandé l'autorisation de copier un de ses tableaux, il lui fit entendre qu'il n'était pas en état d'entreprendre un travail de cette importance, et lui expliqua même, avec tous les ménagements possibles, qu'il n'était pas né pour la peinture, et qu'il ferait mieux d'y renoncer.
Malgré les quelques beaux ouvrages qu'elle produisit encore, cette école de David, à laquelle Géricault venait demander des enseignements, n'avait plus qu'une ombre d'existence; mais avant de disparaître elle donnait les armes d'une éducation sérieuse à tous ces jeunes gens qui devaient la combattre, la vaincre et la remplacer. Cependant rien à l'extérieur n'annonçait afin prochaine. Comme un arbre qui n'a plus que l'écorce, elle gardait les apparences de la vie et de la santé. Elle régnait encore, et plus que jamais, sans conteste. Mais l'ordre et la règle n'étaient qu'au dehors. Une secrète inquiétude, une fermentation sourde travaillait la génération nouvelle.
Trois artistes cependant se distinguaient alors, par l'originalité de leurs conceptions et de leur manière, de la foule des élèves de David. L'un, Prud'hon, doit à peine être mentionné ici. Il n'appartenait à cette école ni par ses études ni par ses tendances. C'est à Raphaël, à Léonard, à Corrége surtout qu'il avait demandé des enseignements; c'est dans sa riche et délicate imagination, dans son cœur, d'une sensibilité presque maladive, qu'il puisait ces ravissants motifs d'une grâce si pénétrante, d'une vérité si élevée, d'une exquise poésie.
Pour se faire une exacte idée de l'importance de la tentative de Géricault, il faut se reporter à l'époque où, très-jeune encore, il commençait à peindre. Vers 1808, l'école de David était tombée au plus bas. Les élèves directs de ce grand maître étaient encore dans la force de l'âge, mais, à peu d'exceptions près, leurs euvres vides et froides accusaient chaque jour d'une manière plus marquée les vices du système.