Nous sommes fatigués d’être blancs et nous sommes fatigués d’être noirs, et nous allons cesser d’être blancs et nous allons cesser dorénavant d’être noirs. Nous allons être des voix maintenant, des voix désincarnées dans le ciel bleu, des harmonies plaisantes dans les cavités de votre détresse. Et nous allons être ainsi jusqu’à ce que vous vous preniez en mains, jusqu’à ce que vos souffrances s’apaisent, et que vous puissiez croire à la parole de Dieu qui vous a dit de tant de façons de vous aimer les uns les autres, ou à tout le moins de ne pas torturer et assassiner au nom de quelque stupide idée à vomir et qui fait que Dieu se détourne de vous, en assombrissant le cosmos d’une inconcevable tristesse. Nous sommes fatigués d’être blancs et nous sommes fatigués d’être noirs, et nous allons cesser d’être blancs et nous allons cesser dorénavant d’être noirs.
Il va survenir très bientôt.
Le grand événement qui mettra fin à l’horreur.
Qui va mettre fin au malheur.
Mardi prochain, au coucher du soleil,
je vais jouer la Sonate à la lune à l’envers.
Ça va renverser les effets de la folle plongée du monde
dans la souffrance depuis les derniers
deux cents millions d’années.
Quelle jolie nuit ce sera.
Quel soupir de soulagement,
quand les rouges-gorges séniles redeviendront
rouge clair comme avant, et que les rossignols à la retraite
relèveront leurs queues poussiéreuses, et témoigneront
de la majesté de la création!
J’ai travaillé à mon travail
J’ai dormi à mon sommeil
Je suis mort à ma mort
Et maintenant je peux m’en aller
Quitter ce qui est nécessité
Et laisser ce qui est plein
Besoin en l’Esprit
Et besoin dans le trou
Amour, je suis tien
Comme je l’ai toujours été
De la moelle au pore
Du constant désir à la peau
Maintenant que ma mission
Arrive à sa fin :
Priez que je sois pardonné
Pour la vie que j’ai menée
J’ai poursuivi le Corps
Il m’a pourchassé aussi
Mon constant désir est un lieu
Mon mourir une voile
L'ÂGE DE RAISON
dans ma culture
on célébrait notre entrée
en l'âge de raison
en nous proposant
une pléthore de mystères
nous assurant
qu'ils étaient incompréhensibles
& que la raison
devait céder
devant la foi
c'est ainsi qu'à sept ans
pour ne pas perdre la raison
j'ai perdu la foi
Ces portraits sont bien au-dessous
de mon développement actuel
par exemple :
j’ai abdiqué le trône
le temporel
comme le spirituel
alors que
dans ces pages
j’ai l’air d’être
profondément
préoccupé
par une chose
ou l’autre
c’est seulement
une vieille habitude
du visage
Pascal Bouaziz en dialogue avec Gilles Tordjman
Suivi d'un concert en duo avec Lou
Le grand public connaît « Hallelujah », « Suzanne » et quelques autres chansons. Mais l'oeuvre de Leonard Cohen est bien plus vaste et variée. Poète, romancier, chanteur, mystique, homme à femmes, Juif, bouddhiste, Canadien, citoyen du monde… qui était exactement cet artiste, qui nous a quittés en novembre 2016 ?
Ce livre revient sur son parcours atypique en dix temps forts – de la publication de son premier recueil de poèmes en 1956 à sa dernière tournée et à son superbe album posthume –, prétextes à dévoiler dix facettes de sa personnalité et de son oeuvre. « Ni hagiographie, ni étude musicologique, ni enquête à charge… Mais un livre de profonde admiration », écrit Pascal Bouaziz, qui offre en conclusion de l'ouvrage une interview imaginaire avec le poète-chanteur.
À lire – Pascal Bouaziz, Leonard Cohen, Gallimard, coll. « Les Indociles – Hoëbeke », 2022.
Gilles Tordjman, Leonard Cohen, Castor Astral, 2006.
Lumière par Marta Bellini, son par Lenny Szpira
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