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EAN : 9782845978546
640 pages
Textuel (10/03/2021)
3.55/5   11 notes
Résumé :
Philippe Corcuff présente ici un vaste panorama des idées politiques en vogue dans la France contemporaine. À travers une cartographie précise et référencée des débats idéologiques actuels, il montre comment l’extrême droite parvient à imposer ses haines et ses obsessions au cœur du débat public.
L’ultraconservatisme progresse, au nom d’un peuple-nation supposé homogène, tandis que la frontière entre gauche et droite est remise en question. Contre les polaris... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Enseignant en IEP, passé par au moins huit partis et organes de gauche et d'extrême gauche qu'il a tous quittés car « confusionnistes », Philippe Corcuff coche toutes les cases du libertaire radical démolisseur de l'ordre en place.

Idéologue utopiste et néo-alchimiste qui s'ignore, Corcuff a fait un rêve, celui de trouver la pierre philosophale menant à « l'émancipation », sujet auquel il a déjà consacré plusieurs grimoires.
Sans doute aveuglé par une trop longue étude de la Lumière, il nous expose ici ses vues sur l'Obscurité, comme si alerter sur la proximité du gouffre était un autre moyen d'approcher les hauteurs.

Ainsi, cloîtré dans son laboratoire d'idéologie métaphysique, il en est sorti après trois années de réflexion avec la formule incantatoire qui décrit le mieux l'ennemi de notre temps : « l'identitarisme », courant qu'il situe surtout à « l'extrême droite », « tendance à fixer les individus et les collectivités humaines sur une identité principale, homogène et fermée », auquel il préfère les « identités hybrides, plurielles et ouvertes. »
Problème, la définition est tellement restrictive que ces caractéristiques théoriques du parfait salaud ne correspondent à aucune réalité pratique (hormis les chariatistes, mais c'est visiblement pour lui un sujet tabou).
Il est savoureux de noter au passage que le contempteur d'une supposée France moisie, repliée sur elle-même, ait pu concevoir une formulation aussi étriquée.
Mais – et c'est à la fois le grand paradoxe et la prouesse de son réquisitoire –, cela ne l'empêche pas de trouver une infinité de liens entre cette description improbable et la plupart de ses contemporains tout en paraissant le seul à se tenir à bonne distance de la menace.
Pour parvenir à un tel exploit, que seule sa science ésotérique pouvait permettre, il a su développer dans sa longue réclusion des capacités stupéfiantes : une vision extralucide, un flair de limier et une oreille bionique (autrement plus fine que celle de Super Jaimie) capables de détecter les « aimantations » suspectes, les rhétoriques « nauséabondes » et les chuchotements « complotistes » à des distances sidérales et que nul ne saurait percevoir s'il est non-initié.
Voyons comment notre sociologue à chapeau pointu exerce ses nouveaux pouvoirs…

Une des grandes fragilités de son propos est donc qu'il paraît construit sur une illusion paranoïde et mû par l'ostracisation d'un ennemi imaginaire d'autant plus facile à dénoncer qu'il le caricature et le diabolise.
Car aujourd'hui le souci des soutiens de Zemmour et le Pen est-il véritablement de fixer les individus « sur une identité principale, homogène et fermée » ?
Les sociétés qui fonctionnent le mieux ont bien une identité principale, et aucune n'est totalement homogène et fermée ; tout est question de degré. Moins ouvert ne veut pas dire fermé, et plus homogène ne veut pas dire pas pur.
Ceux qu'il juge infréquentables ne trouvent-ils pas simplement que l'hétérogénéité est devenue excessive, qu'elle est un facteur de division et de mal de vivre pour tous, et qu'en avoir moins serait un facteur d'harmonie et de paix sociale, et même d'une forme… d'émancipation ?
Au Japon, très homogène, la confiance sociale et la sécurité sont au plus haut et les portes des domiciles restent ouvertes ; au Brésil, très hétérogène, la confiance sociale et la sécurité sont au plus bas et les portes sont grillagées.
Mais, en observateur hémiplégique, Corcuff, qui voit tout, ne le voit pas et dira que le premier est un modèle de type « extrême droite » et le second de type « émancipateur ».

Lui, si rétif à l'idée de fermeture et de frontière – semblant voir dans toute limite un carcan et jamais une protection –, s'émancipe-t-il de ses portes et fenêtres en les gardant toujours grandes ouvertes, pour mieux accueillir et jouir de l'altérité ?
Or, s'il parle toujours des principes, qu'il décrit très finement jusqu'à la ratiocination, il ne parle jamais du nombre et c'est là une autre grosse faiblesse de son livre.
Ainsi, indifférent au poids des forces, il ne voit pas pourquoi il faudrait encourager un islam des Lumières plutôt qu'un protestantisme des Lumières. Il est comme l'auteur d'un livre de cuisine qui parlerait des ingrédients mais jamais de leur quantité, et qui trouverait ainsi normal d'avoir autant de sel que de légume dans une soupe et traiterait de « postfascistes » ceux qui refuseraient d'y goûter.

Dénonciateur du « confusionnisme », il fait aussi une confusion permanente entre le national et l'étranger au nom de la lutte des classes, comme si les moyens nationaux avaient une vocation universelle. Les revenus du foyer de Corcuff ont-ils vocation à être employés au profit de tout son pâté de maisons ?

Autre curiosité, comment peut-il prôner des identités hybrides, plurielles et ouvertes et s'étonner de ne rencontrer que des gens – dont il dresse une liste de plus de cent noms – à qui il est arrivé d'aborder positivement la nation, la souveraineté, le localisme, la langue, la cuisine et le mode de vie français, l'enracinement, le terroir, les traditions…? A l'écouter, seuls seraient fréquentables ceux qui restent éloignés de ces thèmes – donc pratiquement personne –, et c'est à se demander si lui-même n'est pas enfermé dans une identité émancipationniste, voire si, inconsciemment, il n'est pas « aimanté » par une forme de maccarthysme, courant lui aussi amateur de liste noire.

Paradoxal aussi le fait qu'il dénonce le souci de pureté de l'identitarisme tout en étant lui-même dans une quête éperdue de pureté émancipatoire.
Pointe avancée d'une secte dont il a édicté les dogmes, il allonge en effet à l'infini la liste des délits d'excommunication et, étant équipé d'une « boussole émancipatrice » indiquant un pôle qui n'existe que dans son imagination, se retrouve finalement seul, incapable d'entraîner des adeptes. A écouter ses interventions sur les plateaux télé et radio, on le sent très inquiet de l'accueil de son livre, assoiffé de critiques favorables qui tardent à venir et très peu assuré de la solidité de ses arguments, allant jusqu'à confesser en être réduit à une « espérance mélancolique ».
Notre alchimiste aurait-il passé la moitié de sa vie parmi ses alambics pour n'aboutir qu'à une formule foireuse ? le Torquemada des hybridations plurielles aurait-il décimé ses propres troupes par trop d'anathèmes en croyant les ramener à la vraie foi ?

Ainsi, après s'être cru abbé Sieyès, concepteur prolifique de constitutions géniales dont aucune n'a jamais fonctionné, puis soldat de l'An II, appelant à la levée en masse contre tous les oppresseurs, il finira sans doute comme Robespierre et son ramassis d'extrémistes, tombant sous la Grande Lame après en avoir tant usé…
Chevalier Jedi, armé de son épée laser émancipatrice, à l'assaut de tous les Sith tapis du « côté obscur de la force », scrutateur zélé, loupe en main, des « aimantations idéologiques » suspectes, scribe scrupuleux de tous les « amalgames essentialisants » et « adhérences confusionnistes » – allant jusqu'à soupçonner BHL de complotisme (!), il aurait fait un redoutable accusateur public en 1793.

Mais Pierre-André Taguieff le dit franchement : « l'émancipation totale du genre humain justifie les pires violences », « l'émancipationnisme est une nouvelle forme de barbarie », et met en garde contre l'émancipation érigée comme ressort et finalité du progrès sans fin qui aboutit à un totalitarisme de l'individu ex nihilo.

Et en effet, à aucun moment il ne vient à l'idée de Corcuff que son « émancipation » peut être porteuse de confusion des repères, de trouble de l'identité, de mal de vivre, de délitement et de chaos.
Car en fait, à quoi mènerait cette « émancipation » continuellement présentée comme souhaitable avec pour « horizon cosmopolite et libertaire une constellation fédérale mondiale de collectivités humaines » ?
En idéologue dépourvu de pragmatisme, il a la naïveté de croire que la culture prime sur la nature et que l'idée doit s'imposer au réel.
Pourtant, de même qu'un nuage de poussières ne peut s'émanciper des lois de la pesanteur, l'individu ne peut s'émanciper des lois de l'anthropologie et en particulier de la préférence à vivre avec ceux qui lui ressemblent.
Ainsi, augmenter l'immigration conduira, non pas à un vivre ensemble harmonieux entre populations aux identités plurielles mais à davantage de communautarisme et donc de frictions entre communautés, de sorte que le mirage émancipationniste débouchera sur une libanisation, voire une balkanisation, et fatalement sur une société plus violente.

Ce pavé – qui aurait pu s'appeler ‘Guide du routard qui tournoie dans l'impasse avant de sombrer dans l'oubliette' –, parcouru de références philosophiques, tout en phrases longues alambiquées et dont la lecture est souvent pénible tant il est jargonnant (par ailleurs précis et très bien référencé) constitue toutefois un intéressant recueil des propos les plus saillants tenus dans le débat public sur le thème de l'identité depuis vingt ans.
Il a le mérite de montrer les fragilités d'une gauche vermoulue, ses divisions, ses conflits et ses contradictions, de nous offrir le théâtre amusant de déconstructeurs radicaux qui se déconstruisent radicalement entre eux, leur aveuglement obstiné à ce qui paraît pourtant évident à beaucoup, et d'indiquer les « passerelles discursives » existant sur l'ensemble du spectre idéologique, de sorte que cette « grande confusion » apparaît plutôt comme le reflet naturel de la complexité de la pensée au point qu'on s'étonne des étonnements de l'auteur et qu'on est même porté à se réjouir de beaucoup de ce qu'il déplore.

Au final, la contre-performance est spectaculaire. Non seulement l'auteur développe une idéologie inepte propre à accélérer la déliquescence qui affecte l'Occident depuis des décennies, mais, fustigeant ses amis qui semblent négliger la distance de sécurité avec l'ennemi, il se met à dos toute la gauche et fait de ces 670 pages autant de caisses de munitions livrées sur un plateau à la droite.
Ses années de recherches auront au moins fait de lui l'inventeur inconscient d'une science nouvelle : l'anti-alchimie qui transmute l'or en plomb.
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Exhaustif, précis, hyper documenté et référencé, un travail universitaire énorme qui mérite notre attention et notre respect. C'est aussi une encyclopédie historique des 40 dernières années des idées issues de la scène politique française. Indispensable pour qui veut démêler l'écheveau des arguments échangés de part et 'autre de l'échiquier politique sur les sujets de l'identité nationale, l'immigration,l'Islam politique, le communautarisme, l'antisémitisme etc...
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critiques presse (1)
LesInrocks
29 mars 2021
Dans “La Grande Confusion”, le sociologue estime que le brouillage des repères politiques et l’érosion du clivage gauche/droite permet à l’extrême droite d’empoisonner de ses idées l’ensemble du champ politique.
Lire la critique sur le site : LesInrocks

Videos de Philippe Corcuff (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Philippe Corcuff
Face aux scores record du Rassemblement national ces dernières années et à l'approche des élections européennes en juin 2024, quel rôle la gauche a-t-elle joué dans le développement exponentiel de l'extrême droite en France ?
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique à Sciences Po Lyon et militant libertaire.
Visuel de la vignette : Hans Lucas / AFP
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