Dans les dunes en retrait d'une plage battue par les vents, un couple de scientifiques cinquantenaires gît à demi nu, sauvagement assassiné par un prédateur venu les dépouiller. Autour de cet instantané tragique Jim Grace tisse sa toile spatio-temporelle pour élaborer avec une maestria époustouflante son récit.
Avec la froideur et la rigueur scientifique que n'aurai pas renié les victimes, l'auteur décrit de manière circonstanciée leur agonie, les premières transformations post mortem, les outrages du temps et la prise en charge des corps par la faune environnante. Le récit a recourt avec brio à l'analepse pour nous plonger dans l'ultime journée du couple, ce qui les a conduit sur cette plage, lieu de leur rencontre près de trente ans auparavant, naguère théâtre déjà d'une tragédie; on y découvre le meurtrier quelque minutes avant son forfait et le modus operandi de son meurtre; on partage l'incompréhension des collègues et collaborateurs du couple face à leur absence et leurs silence inusités; on suit l'épreuve de leur fille, son inquiétude, puis sa détresse sur les lieux du crime. le prestige de la prose de Jim Grace fonctionne à plein, la narration d'un réalisme glacial fait preuve d'un détachement allant même jusqu'à l'humour macabre. Cet opus revisite le thème des liens indissolubles entre amour et mort, mort et vie dans le continuel brassage de la nature pour poursuivre son éternel cycle. L'étreinte du poisson illustre aussi le passage du temps amenuisant les corps, racornissant les âmes, enregistrant les stupides outrages que l'homme fait endurer à la nature à des fins mercantiles.
La quatrième de couverture rapproche, à juste titre, le nom de Jim Grace d'un Ian Mc Ewan : j'en ai retrouvé l'humour, l'intelligence et la maîtrise dans le récit et l'incroyable faculté à nous plonger dans son histoire. Magistral et jubilatoire, à lire absolument!
Commenter  J’apprécie         60
Un peu déroutée au début, je l'avoue, par les descriptions de la mort, puis de la décomposition des cadavres de ces deux scientifiques plus très jeunes , surpris en plein ébat amoureux. Non je ne dévoile rien, il ne s'agit aucunement d'un polar, mais bien d'un roman...d'amour? Car ils se sont aimés, ces deux -là, et ils ont travaillé, découvert, eu une fille ensemble . Finalement, je me suis laissée envoûter par cette belle écriture, et par cette histoire singulière, dans laquelle le réalisme poussé à l'extrême devient poésie.
Commenter  J’apprécie         70
Mais maintenant il lui suffisait de plonger les mains dans la mer et de pêcher les algues. C'était là un monde d’une petitesse rassurante. La zoologie est une compagne bien plus douce que la cosmologie. Il était bien plus réjouissant de préparer et d’exécuter la capture d’une mouche vésiculaire, comme un grand dieu, que d’observer les immenses et lointaines striures dans le ciel. Il est bien plus grand que la mort des étoiles, cet univers humide, avec ses grains de sable et ses pellicule liquides, ses miettes et ses vers trop petits pour qu’on les voie mais qui nagent, mangent, meurent, respirent en miniature massive.
Il ne s'arrêta pas pour regarder Joseph ou Célice. Leur âge et leur nudité l'embarrassaient.Il ne les aurait peut-être pas autant punis s'ils avaient été habillés.Ils étaient responsables de leur malheur.
Même la mort était aqueuse. « Nous l’appelons Poisson », écrivit-il. « Il nage, disons nous, prédateur silencieux et implacable qui , la nuit, sort de la mer et se précipite dans l’humidité moins profonde et résistante des rues. Poisson vient , il prend votre père et votre mère dans leur lit. Et tout ce qu’on entend, quand les âmes s’en vont et forment leur spirale de déplacement dans l’air confiné, c’est un frémissement de nageoire ».
C'était comme si la vie de ses parents, qui paraissait jusque là cachée et pâle, si peu illuminée en surface, au mieux une silhouette, n’avait attendu que la torche de la mort pour faire sortir les couleurs et la passion. Sa lumière les avait maintenant captés et fixés. Leur histoire était certaine. Plus rien n’arriverait. Rien à ajouter. Leurs dates étaient inscrites à l’encre indélébile. Rien ne pourrait être changé ni amélioré, sinon par les sentiments et mythes de ceux qui n’étaient pas mort. C'est le seul jour du Jugement qui existe. Les bénéfices de la réflexion après-coup. Les morts eux-mêmes en sont privés. On ne leur demande pas de donner un sens à leur mort.
Elle pouvait en profiter. C'est là l’ambiguité embarrassante de la mort et, en particulier, des morts spectaculaires telles que celle-ci. Les plus proches parents, les êtres les plus touchés, sont bizarrement contents d’eux-mêmes, et agités. Leur cœur — et les convenances — peut exiger des frénésies de désespoir, une ululante épilepsie, l’effondrement, l’hystérie, mais au lieu de cela leur cerveau distille un cocktail de substances euphorisantes pour les soutenir contre le choc et la colère. L’adrénaline ne peut faire de distinctions. Les pompes stimulantes et tranquillisantes usurpent les élans du cœur. Ils donnent à la mort quelque chose de revigorant et d’érotique.