Le confinement m'a amené à effectuer une plongée dans les rayonnages de mes bibliothèques. Passé les premiers rangs, de vieux livres de poches attendaient en désordre que je daigne les ouvrir. Ce roman policier américain de la toute fin des années quatre vingt était là depuis pas mal de temps, en témoignent sa date d'impression et la tranche jaunissante piquetée de tâches. Sans doute l'avais-je acheté suite à la lecture de
Gorky park, le roman précédent de
Martin Cruz Smith.
Gorky park mettait en scène Arkady Renko, un inspecteur principal de la police de Moscou sur les traces d'un trafic de visons en pleine guerre froide.
Et revoilà Arkady Renko au tout début de la perestroïka. Suite à son comportement politiquement incorrect lors de
Gorky Park, il a perdu son travail, sa carte du parti et été expédié en Sibérie. Là, il est passé de boulots ingrats en boulots ingrats, jusqu'à embarquer sur le navire usine Étoile Polaire. L'Étoile Polaire doit accompagner une campagne de pêche avec des chalutiers américains en mer de Béring, et même faire une escale sur des îles des aléoutiennes en territoire américain. le début d'une coopération économique, voulue par le Kremlin, mais toujours sous le contrôle du commissaire politique du bord. Celui-ci n'a aucune raison d'apprécier l'ex-flic devenu simple ouvrier de découpe à la chaîne, dans le froid et l'humidité de la « pataugeoire ».
Mais une employée des cuisines du navire est repêchée morte à l'intérieur d'un des filets ramenés à bord. le commandant du navire demande à Arkadi de faire de rapides constatations pour rassurer la direction de la flotte à Vladivostok. Arkadi observe et conclut à un assassinat. Qui a pu tuer une jeune géorgienne délurée lors qu'un bal qui réunissait le personnel de bord et les marins des chalutiers américains ?
Le souvenir que je gardais de
Gorky park était lointain, à peine entretenu par le film (raté) de
Michael Apted. Je n'identifiais donc plus ce qui à l'époque m'avait rendu cette enquête au-delà du rideau de fer originale. La lecture de cette Étoile polaire le rappelle en deux mots : Arkady Renko.
Un flic cherchant obstinément la vérité, prenant des risqu
es au regard du contexte politique. Un individu déviant au regard des normes soviétiques. Caustique, insubordonné, provocateur… le commissaire politique du navire ne peut pas le supporter. Glasnost ou pas, l'emprise de la pensée soviétique imprègne tous les marins, dont une bonne part sont d'anciens détenus des camps.
En creusant les alibis de chacun, Arkadi Renko va dévoiler petits trafics, contrebande, espionnage et espoirs déçus.
Cette lecture bien après coup permet de constater une certaine « filiation » entre Arkady Renko et Bernie Gunter, le commissaire de la Kripo sous le régime nazi, inventé par
Philip Kerr. L'un comme l'autre mènent les enquêtes qu'on leur confie, sans prendre en compte les risques politiqu
es au devant desquels ils vont dans des régimes totalitaires. Les deux partagent aussi une forme d'insolence bravache inutile, mais réjouissante pour le lecteur. Les deux s'entêtent, s'acharnent et ne s'arrêtent pas aux apparences.
Toutefois, l'intrigue ici ralentit un peu dans la dernière partie et va trop loin dans le spectaculaire (l'auteur s'imaginait-il livrant une adaptation pour Hollywood). Cette enquête d'Arkadi Renko peut aussi plaire aux amateurs de marine et de pêche, même si il s'agit là de pêche industrielle. Les navires sont méticuleusement décrits et la logique économique derrière ces énormes navires-usine est bien expliquée.
Globalement pour un poche faisandé datant de presque trente ans tout cela passe encore fort bien.