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Anne-Claire Defossez (Autre)Didier Fassin (Autre)
EAN : 9782021549690
448 pages
Seuil (05/01/2024)
5/5   3 notes
Résumé :
Anthropologue et médecin, Didier Fassin est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Questions morales et enjeux politiques dans les sociétés contemporaines, et directeur d’études à l’EHESS. Anne-Claire Defossez est sociologue, chercheure à l’Institute for Advanced Study de Princeton.

Fuyant les violences politiques, les persécutions religieuses ou la pauvreté, des hommes, des femmes, des enfants d’Afghanistan, d’Iran, du Maghreb et d’A... >Voir plus
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Le double sommet du Mont Janus (j'imagine que c'est lui) émerge d'une brume laiteuse. le sable du Sahara, porté par le vent, a coloré de rose-orangé le ciel et la neige des Hautes-Alpes. Cette photographie de couverture est une splendeur et une sombre allégorie.
Il m'arrive de m'échapper de la banlieue lyonnaise pour rejoindre Montgenèvre et le Briançonnais. Pendant quelques jours, quelques semaines, j'abandonne Babelio et mes routines. Dans ce billet, une fois n'est pas coutume, je serai juge et partie.

Anne-Claire Deffossez est sociologue, chercheuse à Princeton. Elle a écrit « L'Exil, toujours recommencé » avec Didier Fassin, professeur au Collège de France, médecin, anthropologue et sociologue. Ils ont bénéficié d'une résidence à la prestigieuse Villa Médicis et leur recherche a été menée pendant cinq ans (de 2017 à 2023), été comme hiver, à la frontière entre l'Italie et la France. À Montgenèvre.
Vous l'avez compris, ce ne sont pas des rigolos, leur expertise est indéniable, leurs recherches méticuleuses et quasi-exhaustives.

Ce livre est donc précieux et édifiant et, même s'il fait un peu plus de 400 pages, il se lit comme un roman.
Les auteurs commencent évidemment par expliciter leur démarche et leurs protocoles mais on rentre très vite dans le vif du sujet.
La frontière briançonnaise n'existait pas avant 1713 ( pays des Escartons) et a été franchie pendant des dizaines d'années par de nombreuses migrations : italiennes, espagnoles, hongroises, polonaises etc. le briançonnais a toujours été une terre de tolérance et d'accueil .
Ce n'est, tenez-vous bien, qu'à partir de 2015 (période des attentas) que la France demande une dérogation à la convention de Schengen et rentre dans un processus de militarisation de la frontière.
Montgenèvre, c'est le paradis des touristes le jour ( 5e domaine skiable au monde: La Voie Lactée !) et l'enfer des exilés la nuits. Les auteurs préfèrent ce terme (exilé) à celui de migrant ou de réfugié, car plus juste ontologiquement.
J'y suis allé en février et j'ai croisé: la police aux frontières, la police nationale, la police municipale, la gendarmerie nationale, les unités des divisions Sentinelle et Limes, les brigades mobiles de la gendarmerie, les pelotons de CRS et de gendarmerie de haute-montagne…
Tout ce petit monde évolue dans un ruban montagneux de dix kilomètres à partir du poste frontière qui était au XIXe siècle…un hospice d'accueil !!!

« L'Exil, toujours recommencé » est donc la chronique de cette frontière.
Les auteurs vont s'intéresser successivement à :
L'histoire des flux migratoires . La frontière est aujourd'hui traversée par 4000 personnes/ an qui réussissent toujours à passer après plusieurs tentatives, malgré le froid terrible, le danger des barres rocheuses et donc les morts, les blessés graves, les courses-poursuites etc.. Ils sont le plus souvent afghans, syriens, africains. Un chapitre détaillé fait le schéma de ces exils lointains et en précise les chronologies.

Les causes de l'exil : politiques, économiques, familiales, climatiques, situations de guerre. Les auteurs insistent sur la différence entre le temps long ( l'Afrique post-coloniale par exemple) et le temps courts ( guerre en Somalie par exemple)
On ne s'étonnera pas qu'il y ait 80 % d'hommes mais aussi beaucoup de mineurs et de plus en plus de familles entières ( j'ai croisé l'autre jour une famille afghane avec 4 générations !)

-Les routes de l'exil : c'est le chapitre le plus poignant. Defossez et Fassin détaillent les parcours terribles (impossible de ne pas être ému aux larmes) des exilés sur la route des Balkans ou celle du Sahara, la traversée des fleuves, des mers et des déserts. Dépouillés, torturés, violés, réduits en esclavage, ceux qui survivent font preuve d'une invraisemblance résilience.

-Le passage de la frontière elle-même: ces histoires-là peuvent faire l'objet d'un livre à part avec les différents acteurs, forces de l'ordre et du désordre, passeurs, maraudeurs, habitants, touristes etc. Et son lots de mort comme cette femme noyée dans la Durance alors qu'elle était traquée dans ce qu'il convient d'appeler « une chasse à l'homme »

-L'exercice de la force publique : c'est la surenchère avec l'arrivée de nouvelles brigades anti-criminalité ou de réservistes appelés sur réquisition …Et ça coûte une fortune au contribuable pour une efficacité nulle (en espérant qu'elle le reste) puisque tous, oui tous, finissent par passer.

-Le dernier chapitre raconte en détail l'histoire de ces femmes et ces hommes qui se sont mobilisés en Italie et en France pour venir au secours des exilés, les accueillir et prendre soin d'eux. Beaucoup de gens du coin avant le COVID réunis ou non en collectifs et en associations dont TousMigrants, peut-être la plus connues. Puis l'usure et la désillusion,le harcèlement des forces de l'ordre, la répression judiciaire, les conflits internes, l'hostilité de certains habitants de Briançon, l'engorgement chronique des refuges, le changement de maire, de préfet, tout cela a abouti à une crise de l'accueil et à sa restructuration .
Aujourd'hui les Terrasses solidaires organisent une prise en charge globalisante pour ceux et celles qui ont eu la chance d'y parvenir. C'est grâce au terreau associatif de Briançon que cette structure a vu le jour avec en particulier La Croix-Rouge, Les Restos du coeur, le Secours Populaire, le Secours catholique, Artisans du monde, la Cimade etc…

Mais je suis beaucoup trop long et j'entends déjà les questions genre « Oui mais après qu'est-ce qu'ils deviennent », « Les gens qui aident, c'est parce qu'ils s'aident eux-même non ? », « Tout ça, pour ça en fait ?».
Il y a des réponses dans le bouquin. Pas à toutes les questions évidemment mais il y a aussi des liens, une imposante bibliographie…
Et pour ceux qui sont intéressés et qui ont la flemme, écoutez le podcast:
L'heure Philo du 23 février 2024.

« C'est une autre exode vers je ne sais où.

Mille flèches m'ont serré la taille

Pour me pousser vers l'avant

Rien ne nous brisera »
Mahmoud Darwich, Éloge de l'ombre
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« L'exil, toujours recommencé » Chronique de la frontière est un outil sociologique et politique qui devrait se trouver au fronton des républiques du coeur.
C'est une enquête complète et légitime qui expose les faits et pointe du doigt l'ubuesque de notre société et du monde en faillite d'humanité.
Un binôme : Didier Fassin est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire : Questions morales en enjeux politiques dans les sociétés contemporaines et directeur d'études à l'EHESS. Anne-Claire Defossez est sociologue, chercheuse à l'Institute for Advanced Study de Princeton.
Neuf chapitres, telle une mise en lumière du : Passage, aux périples, aux frontières, au pouvoir de la force publique, la solidarité, l'entraide, les migrants…
Ce documentaire est une immersion dans la vérité, au plus près de l'emblème de l'exil.
Nous suivons pas à pas, le fil rouge de la frontière italo-française, entre le Val di Susa et le Briançonnais.
« C'est la quatrième fois qu'ils essaient de passer la frontière. »
Originaires de Shiray, l'Iran menaçante, ils sont partis, pour un non-retour. Un périple de faim, de coups et de traques.
Ils vont être sauvés, dans un refuge Babel, les bénévoles comme l'étoile du Sud.
L'expérience des exilés est transcrite ici, et interpelle, fait baisser les yeux.
Rien n'est simple, juste et possible au pays des Droits de L'Homme. Tout est armures, frontières et blessures. Cartes d'identité, passeports, et empreintes digitales.
La frontière emblématique, la chasse à l'homme. le piège, la lampe frontale dans la nuit glacée. L'enfant qui pleure de froid et de peur. Les cris perçants, les Alpes sont un point fixe. le détail dans le monde de l'exil. La honte en vérité. Mais c'est sans compter sur les aidants, les sauveurs, ceux qui affrontent les lois pour tout simplement sauver son frère ou sa soeur en humanité.
Fuyant les violences des guerres, les oppressions, les persécutions religieuses, la faim et la vulnérabilité.
Périples de barbelés, d'humiliations, et de souffrances. L'exil est l'ultime survie.
Didier Fassin et Anne-Claire Defossez rassemblent l'épars. Les catastrophes humanitaires, les parcours et les soubresauts. Les forces de l'ordre manichéennes, parfois arrogantes et racistes, parfois pétris d'humanité.
Creuser un fossé, séparer les exilés d'avec le monde d'en-bas, celui de la vallée. Et pourtant, un refuge Alcazar berce la cause des exilés. Un village où une lumière est le halo de la justice. Les périls Géricault, les droits des migrants, les passeurs criminels, les colères d'un vivre-ensemble à feu et à sang. Cinq ans d'enquête, cinq ans de mémoire, de paroles et de preuves. Une immersion dans la neige véritable des douleurs intestines. Tout dire, tout rapporter comme trace indélébile. Comprendre et apprendre, ce livre est le pain pour la faim et l'eau pour la soif. Un rapport d'enquête profondément sincère.
« Ethnographes de la frontière, nous sommes, nous aussi, à notre façon des passeurs, passeurs de savoirs sur ce qui s'y joue, dans cet intervalle incertain entre répression et solidarité, entre souffrance et espoir. Savoirs fragiles dont nous croyons qu'ils sont pourtant essentiels à la compréhension d'un monde que les passions politiques et les simplifications médiatiques rendent opaque. »
L'immersion dans un livre qui brusque les a priori, pourvoit à la rectitude d'un devoir de parole. Cinq années d'un corps à corps avec ces hommes et femmes et enfants du Maghreb et d'Afrique subsaharienne, d'Afghanistan et du monde entier. Comme une pièce à conviction, une conférence à ciel ouvert, pour comprendre, tout.
Cet essai ne juge pas. Il est le droit et l'équité. « L'exil toujours recommencé », d'aucuns ici, sont un maillon de cette chaîne des migrations. D'aucuns ici, sont un pas de moins, une main tendue.
Journalistique, l'anthropologie des migrations en lumière, ce livre est un enjeu d'utilité publique. Un documentaire, jour après jour, dans une grandeur géopolitique des Savoirs.
« Tout mystérieux retournement du monde a ses déshérités, tels que ce qui était ne leur appartient plus, et pas encore, ce qui s'approche. » Rainer Maria Rilke.
« La couleur des idées ». Publié par les majeures Éditions du Seuil.

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