Encore un poète que je découvre davantage , dont je connaissais quelques textes. Et comme pour Anne Perrier, encore une coïncidence : la deuxième partie du recueil est dédiée à sa femme...Sabine, et il s'est marié au même âge que moi, exactement dix ans avant.
Mais mes digressions ne vous intéressent pas, pardon. Venons-en aux mots. Philippe Delaveau se démarque des expériences verbales, souvent hermétiques ou peu réussies ,de ses contemporains. Il renoue avec une poésie de transmission, alliant avec bonheur mythologie et modernité.
Cet aspect est surtout représenté dans la première partie, " Eucharis"( 1989), où les figures du passé interfèrent avec le présent:
" Peut-être verrons-nous, entre les oliviers,
L'ombre furtive d'Antigone.
Derrière la fontaine asséchée, l'abreuvoir
Martelé par les jambes nerveuses des chevaux. "
Cependant, c'est la deuxième partie, dont je trouve le titre très beau ," le veilleur amoureux" (1992) ,qui m'a plu surtout. La ferveur des sentiments s'associe aux beautés de la nature, les arbres , les jardins, l'eau vive sont très présents, limpidité révélatrice de l'être.
" Tes pas traversent doucement
La neige du silence et l'ombre sous les arbres.
Ô fée vêtue de fleurs.
Ta main au feu de bagues. "
Mis à part quelques poèmes un peu trop religieux ou hallucinés, l'ensemble est vraiment magnifique : élan de pureté, douce nostalgie, nature magique et apaisante, femme-fée, femme-fleur...
" J'inventerai pour toi d'autres paroles,
Singulières, des mots étranges,rien ne suffit.
Je leur ajouterai des brassées d'images. "
Le poète y est pleinement parvenu...
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À LA BELLE ENDORMIE
Maintenant que j'écris sur la page secrète
Des mots doucement ivres de ton nom,
Tu dors dans ce désordre de cheveux
Odorants et doux que je respire,
Et les volets fermés ont replié leurs ailes.
Le soleil par les fentes soyeuses d'un après-midi
Jette ses lettres sur le plancher qui flambe :
Je les ramasse, je veux les lire, je transcris
Ces mots d'amour et dans ton cou je les traduis
Contre l'oeil clos de ton oreille.
Belle endormie loin de moi, tout près de moi, ton rêve
Encore fou, rêve et s'enfuit. Dis-moi tout bas
De deux amants quel est ce doux royaume.
Et comment le soleil qui déjà fuit t'admire.
Mais tu souris et je me brûle
De tant de mots, à travers coeurs en flammes.
LES POEMES
Les poèmes vieillissent confusément,
Parlant encore de forêts, d’or et de roses. Toutefois
Quel sage aurait pu dans une seule fable
Serpentant au-dessus des hommes et des fleurs,
Dire comme la perle un peu l’attente
Qui est au creux du monde, et peut-être à la fin composer
Pour un prince las du soleil et des livres,
Un autre chant qui ne vieillirait pas,
Qui parlerait sans fin de ce qui recommence,
Au gré des libellules bleues, des armoiries de l’onde ?
Alors l’image en ce poème serait plus limpide
Que le bruit continu de l’eau, plus sombre qu’un silence
Au pied de l’arbre à qui écoute
La nuit parfaire les saisons
En quête de sagesse nébuleuse et d’ordonnance.
Le jardin -
Redescends du vieux pommier qui t'a connu
Quand tu lui demandais de te conduire sur sa monture
Jusqu'à ses frères du verger, sur l'autre rive.
Laisse l'échelle près de l'œil des lucarnes
Qui rêvent sur le flanc crépi de la maison des vignes.
Tu demeurais longtemps parmi les livres roux d'images,
Les cartons à chapeaux hantés d'abeilles mortes.
Mon amie, je t'écris de
Brazzaville, je ne sais
Quand cette lettre arrivera.
Je la confie au missionnaire
Qui rentre pour soigner son cœur malade.
Que
Dieu
Te bénisse...
Réponds-moi, parle très longuement
De notre terre aimée, des fleurs que l'on arrose
À la tombée du jour.
Le ciel est-il, là-bas, couleur de vieux pastel
Et rose, au-dessus de la
Vienne, au crépuscule?
Tu aimais les romans, les livres inutiles, allongé
Sur le parquet blanchi par la poussière, tandis qu'entre les
poutres,
Les araignées filaient de minuscules cartulaires,
Espérant de saisir une étoile tombée.
Une abeille chargée du butin des bigognes
Heurtait dans la fournaise du grenier
Les vitres sales; tu l'aidais à s'enfuir,
Vers le jardin, plus bas, tes délices, le soir,
Lorsque les arrosoirs sur la terre extasiée
Jetaient leurs arabesques.
Le temps s'enfuit, le temps
Est mort comme les feuilles des terrasses.
Ainsi de l'été qui s'étire, le crépuscule
Atteste encore, comme au-dessus de
Troie dévastée,
Hantée de ronces, l'intangible bonheur
Que le songe rappelle, mais en vain.
Redescends, puisque des mains hostiles
Ont arraché la vigne sanglante d'automne,
Tronçonné les tilleuls sur les allées.
Et le cheval à l'horizon lève sa tête immuable
Au-dessous des vaisseaux qui tanguent sur la mer
Viens rejoindre la terre d'en bas, les trottoirs brunis par la
pluie,
La ville qui déploie l'emblème des rues, allonge un peu
Le bras, voici la gloire mais si proche.
Il suffit d'un désir
Et tu seras le maître.
Il s'éloigne sur la route qui brûle
De tous les crépuscules vainement assemblés.
Dimanche, cependant,
Remonte ruisselant des eaux, chaque semaine, sable engendré
De la rivière qui dresse l'or au milieu de l'herbage
D'une lettre sacrée, delta dont le sommet
Contemple l'abîme invisible.
Enée chemine, se souvient
Du jardin d'ombre, chaque soir.
La nuit
Verse le tombereau, l'oubli s'accroît sur le rivage.
Le vieillard ouvre ses mains si vaines, mais dimanche
S'en revient, que les merles saluent dans la clameur des cerisiers;
Le sable ruisselle, et tes journées s'achèvent, tu l'ignores.
Parfois, dans les recoins du ciel qui tremble
L'imperceptible étoile se découvre; tu ne fus jamais seul,
Le savais-tu?
La neige tombe sur les quais où oscillent
De vieux navires.
La rivière a gagné l'embouchure et se meurt
Dans la gloire des sables, mêlée de sources grises.
Lorsque tu parles du jardin, personne à la fenêtre close
Ne se rappelle ton passage.
Il n'y a plus de lampe sur la table.
Et les très douces mains ne se poseront plus, Énée,
Sur ton visage.
Nous ne reviendrons plus nous promener dans le jardin
Détruit.
Où êtes-vous, voix familières
De la saison têtue, arômes colportés par le vent?
Et nous marchions encore, espérant de fléchir
Le silence que veille
Aldébaran, la ténèbre
Que la nacelle de la nuit creuse d'un souffle.
Une constante vie, mais ce désir aussi qui n'est pas le désir.
Nous avons répondu à l'appel, fondé des empires fragiles
Dont les syllabes en suspens chancellent sur l'ocre de l'été;
L'appel encore a retenti, tout proche, dans les forêts obscures
Comme la plainte d'une biche près des étangs déserts.
II
Le guetteur descend du pommier solitaire.
Toute la nuit, il a lancé la ligne infructueuse,
Troublant l'aquarelle du jour et le pinceau des feuilles,
dans
L'aube frémit; la nuit s'éloigne au pas de ses chevaux,
Abandonnant quelques étoiles dans l'herbe dure.
Quelle aurore s'agite parmi les branches?
Le vigneron
Sitôt levé taille déjà le cep.
La musique tressaille
Dans la splendeur du hêtre rouge qui compte l'aune
Pour disposer déjà la nappe blanche.
Le soir
Le jardin fraîchira.
La lune observera
Semblable et muette, sa sœur obscure
Dans l'oeil du puits où goutte l'heure sainte.
Les crépuscules uniront leurs nacres et leurs feuilles,
Les temps auront mûri comme les fruits de l'arbre.
II
Lorsque la nuit voile son front d'érèbe.
Le guetteur se précipite en criant d'allégresse,
De l'arbre traversé d'aurore.
Et le jour
Hérisse de son feu les toitures nocturnes, le
Jour,
Lorsque la mort sera défaite et le jardin ouvert.
Alors peut-être souviens-toi des vergers que la nuit
Voulut même abolir pendant les temps d'orage;
Ils tremblent quand le vent se déguise en rivière,
Dans le consentement des branches qui n'ont rien refusé,
Pour que les fleurs se pâment sur son passage
Et que soit proféré le nom par quoi l'aube commence.
LE CHANT DE LA TERRE
Voici la plus belle heure, les arbres
Sont roses dans le jour qui se lève.
Les parfums n'ont encore épuisé leurs timides
Secrets, dans le lacis des herbes, parmi les fleurs.
Alors le soleil blanc et rond quitte son écurie
Perdue dans la douceur du ciel au-dessus de la crête
Des arbres centenaires. Le lourd charroi qu'il tire
De la chaleur d'été d'où tombe le foin rouge,
S'engage sur l'ornière de la Loire jusqu'au soir des collines,
Que des merles, des hirondelles, veillent de leurs cris.
Qu'ai-je fait des heures d'été?
La nuit grandit sur les jardins, parmi les livres.
Le vent du soir est solennel.
La vie précieuse nous traverse.
Ce jour semblable aux autres jours.
Imperceptible sous les arbres.
Festival Voix Vives 2016
Entre mer et ciel : Philippe Delaveau
Images et montage : Thibault Grasset - ITC Production
#Poésie #VoixVives #PhilippeDelaveau