En cette période estivale, quoi de mieux à se mettre sous les mirettes qu'un bon petit polar se déroulant en Provence, au son des cigales déchainées et à la fraicheur d'un bon verre de pastis ?
En s'engageant dans le roman de Jean Paul Démure on sent déjà le cagnard vous taper sur la nuque, les effluves de lavande et de romarin vous caresser les narines. Les images d'Epinal remontent comme des bulles d'air à la surface de la bleue Méditerranée.
C'est dans ce paysage idyllique, dans un de ces petits villages si pittoresques de cette terre aux couleurs de soleil que s'est installé Brett , un ancien militaire anglais.
Cela fait sept ou huit ans maintenant qu'il s'est porté acquéreur de la Cybelle, une villa née de l'imagination délirante d'un architecte que personne à part lui ne voulait acquérir depuis la disparition de l'ancien propriétaire. Personne, car au village il se dit que cette maison porte malheur. Mais de cela , Brett n'en a que faire.
Huit ans, c'est bien le temps qui lui aura fallu pour se faire accepter par les habitants du cru, et en particulier par les habitués du café-restaurant du village, à force de tournées généreuses et de serviabilité.
Mais pour tous, il reste le British, pas vraiment de la communauté, mais toléré et à qui parfois on fait l'honneur de solliciter son avis sur un point litigieux dans une partie de pétanque toujours capitale; celui dont on fait grâce de préférer le whisky au divin pastis et qu'on invite à partager ces moments de communion où le verre est confraternel et la cuite solidaire.
Parmi les habitués on retrouve Toine le boulanger, Gervais le pharmacien, Fernandez le maçon, Perchon le premier clerc de l'église. Parfois s'ajoute Gustin qui entretient le jardin de Brett. C'est avec cette fine équipe, au verbe haut et à la glotte insatiable que Brett observe ce petit univers refaire le monde, accoudé au comptoir de Fulbert le tenancier du lieu.
La belle vie !
Oui mais voilà, il suffit parfois d'un violent orage d'été dont la Provence garde jalousement la recette pour mettre à jour de lourds secrets. C'est à la suite d'un de ces épisodes tumultueux que Brett fait une étrange découverte. Au fond de son jardin affleure ce qui semble bien être un crâne.
Intrigué il ne le déterre pas, n'en parle à personne, mais s'interroge. Gustin qui travaille au jardin ne peut pas ne pas l'avoir remarqué. Pourtant lui aussi ne dit rien.
Il n'en faut pas plus à notre British pour commencer à s'intéresser à l'ancien propriétaire et à l'acte de vente par lequel il s'est rendu acquéreur de la propriété. Se pourrait il que ce soit lui qui soit enterré là?
Peu à peu l'atmosphère se tend au village. Si rien n'a changé dans les habitudes , la tension s'installe et devient de plus en plus pesante. Quand Bret retrouvera son chat éventré cloué à une porte, elle deviendra étouffante.
Pourtant, rien ne l' empêchera de poursuivre sa quête en faisant fi des menaces.
J'avoue que jusqu'ici je ne connaissais pas Jean Paul Démure. Sans doute certains me jetteront la pierre pour cette lacune impardonnable, d'autant que cet auteur a déjà commis bon nombre de romans, dont certains ont été couronnés de prix prestigieux ( «
Aix-abrupto » grand prix de littérature policière , «
fin de chasse » Grand prix du roman noir à Cognac.).
La lacune est donc aujourd'hui comblée, et je dirai même qu'après le lecture de ce dernier roman, «
le chant des morts », je reprendrai bien un ticket pour un nouveau tour de manège dans l'univers de l'auteur!
La magie de ce bouquin réside dans ce que l'auteur arrive à camper dans un décor de rêve, au milieu de personnages parfois pagnolesques, une atmosphère qui au fil des pages va devenir étouffante, corrodant progressivement cette vision de carte postale idyllique par laquelle le lecteur est entré avec légèreté dans le roman.
Peu à peu , derrière les éclats de convivialité, de cette bonne humeur débonnaire et joyeuse, sourdent des rancoeurs qui parcourent depuis longtemps la communauté villageoise. Dans ce lieu où tout se sait mais rien ne se dit, chacun garde jalousement sa part de vérité et malheur à celui qui s'en approcherait de trop près.
Le charme de l'endroit et de ses habitants s'effiloche ainsi au fil des pages, le vernis de cette vie douce et tranquille se craquelle, et le lecteur aperçoit alors une réalité beaucoup plus amère,où rôde une violence palpable.
Le personnage de Mohamed, alias Momo en est le meilleur révélateur. Immigré algérien parlant le français avec un accent caricatural qui ne manquera pas de faire sourire, celui ci a tout du sympathique idiot du village qui rend service à tout le monde pour peu qu'on lui remplisse son verre. Mais derrière les taquineries qui se veulent amicales quand on lui offre un coup à boire, se love un rejet lattant de sa condition humaine qui finira par s'exprimer de manière brutale.
En jouant sur les clichés traditionnels de cette terre paradisiaque pour mieux faire transpirer ensuite la noirceur de cette communauté, en restant volontairement dans un certain flou quant aux desseins et motivations des protagonistes, Jean Paul Demure donne un ton vraiment particulier à son oeuvre.
Un roman qui pour ma part m'aura séduit.