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EAN : 9782383980285
117 pages
éditions Lunatique (01/12/2022)
3.83/5   32 notes
Résumé :
Quarante-quatre ans après Dachau décède le grand-père de Céline Didier, Hippolyte. Elle a alors 12 1/2 ans. Elle en a 44 quand elle prend la plume et se plonge dans les souvenirs de résistant et de déporté d’Hippolyte. Ses souvenirs, il ne les a pas racontés, il les avait précieusement consignés dans un petit cahier qu’il a tenu secret et que Céline Didier découvre longtemps après. Vient alors le moment où elle est poussée par l’envie et la nécessité de remplir le d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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«  Je veux que, plus tard,
les descendants de ma famille sachent
quelle lutte continue et sournoise
nous avons menée pour libérer note beau pays
Je veux surtout que l'on sache
la vie terrible que nous avons vécue
dans les bagnes nazis »

C'était le voeu d'Hippolyte Thévenard, né en 1920, résistant et maquisard durant la Deuxième guerre mondiale, déporté à Dachau après avoir été dénoncé par un milicien. Il s'est tu durant toute sa vie, cachant à sa famille les détails de l'enfer concentrationnaire comme si parler lui aurait été trop lourd à porter.

Hippolyte était le grand-père de l'autrice. Elle a retrouvé son cahier de souvenirs ainsi qu'une quinzaine de feuilles volantes permettant de restituer son parcours de 1939 à 1945.

« Et si l'on écrivait cette histoire ? »

Céline Didier aurait pu faire de son texte un livre d'histoire à partir des archives de la Résistance de l'Ain et de Dachau. Elle a plutôt préféré de partir de son vécu de petite-fille, de ses souvenirs d'enfant, de ses réflexions d'adulte. On sent combien elle s'est imprégnée des écrits de son grand-père, heureuse d'avoir un accès direct à lui dans une version non édulcorée.

Très tendrement, elle croise son histoire personnelle avec celle d'Hippolyte. Ses mots s'entretissent avec les siens ouvrant un dialogue intergénérationnel au delà de la mort. Elle cherche des signes, des points communs, des coïncidences pour s'approprier la vie de ce grand-père qu'elle a peu connu :

« quand ces petits signes
surgissent
sans crier gare
ça donne des frissons
ça devient
comme une évidence
comme un petit clin d'oeil de la vie »

Elle a écrit sous la forme d'une longue poésie en vers libres dans une langue simple, directe et accessible qui dit l'urgence à raconter son grand-père. Comme si elle avait écrit d'une traite pour qu'on lise dans un souffle. Avec les nombreux retours à la ligne, le texte respire, insistant sur certains mots, certaines phrases, proposant ainsi un passage de témoin tout en douceur pour interroger sur le devoir de mémoire, l'engagement et la transmission au sein des familles.

PS : j'ai adoré la petite histoire à la fin des « selfies » facétieux d'Hippolyte au photomaton qui ornent la couverture.

Lu dans le cadre de la sélection 2023 des 68 Premières fois
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«Je veux que l'on sache ce que nous avons vécu dans les bagnes nazis »

À la mort de son grand-père, Céline Didier retrouve un cahier de souvenirs. C'est en vers libres qu'elle exauce le souhait de ce résistant et déporté de raconter son expérience, de dire l'indicible.

Il faut l'écrire cette histoire, l'histoire de Simone et Polyte, l'histoire des résistants, l'histoire aussi du con qui a envoyé le grand-père en camp de concentration. Même si on s'en fout un peu de sa vie de con.
Oui, il faut l'écrire car Hippolyte vient de mourir, 44 ans après être revenu de Dachau. de lui, il reste la figure du grand-père qui décide à 18 ans de s'engager et qui part pour le Maroc. de lui, il reste ce ruban rouge de la légion d'honneur «qui faisait joli». de lui, il reste un cahier avec un minaret sur la couverture où sont couchés les souvenirs, avec ces mots: «personnel et privé».
Voilà donc la petite-fille de résistants explorant cette autobiographie succincte, égrenant les dates et la vie de cet homme engagé. Jusqu'à ce retour en France, jusqu'à cet été 1944 et ces quelques mots entourés de deux dates:
«29 juin
Branle-bas de combat dans la prison Évacuation très rapide des prisonniers
avec leurs baluchons
direction la sortie.
«Minute inoubliable !
Devant le portail
des SS
Oui des boches.
Nous étions 800 et quelques résistants français
livrés à l'ennemi
par la police
soi-disant française »
Chargés dans des cars
direction Perrache
Entassés dans un train
direction l'Allemagne
2 juillet
Arrivée du convoi dans le camp de Dachau.»
Si le carnet n'en dit pas plus, il reste des notes, des brouillons pour dire les horreurs endurées, l'indicible. Et, après le choc de ces lignes insoutenables, la volonté de répondre à l'appel de son grand-père, de témoigner, de ne pas laisser son histoire sombrer dans l'oubli. de suivre le souhait émis dans la préface de ce récit sobrement intitulé Souvenirs:
«Je veux que, plus tard, les descendants de ma famille sachent quelle lutte continue et sournoise nous avons menée pour libérer notre beau pays. Je veux surtout que l'on sache la vie terrible que nous avons vécue dans les bagnes nazis».
Est-ce un hasard si Céline Didier s'est installée dans la Bretagne de Joseph Ponthus pour se lancer dans l'écriture de ce livre? Toujours est-il qu'elle s'est rapprochée du style de l'auteur des Carnets d'usine pour remplir son devoir de mémoire. Les vers libres donnent tout à la fois une dimension poétique et une fluidité de lecture à ces pages dont Hippolyte serait sans doute fier. Et c'est sans doute le plus beau compliment à faire à l'écrivaine.


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❝Le passé n'est pas ce qui a disparu, mais ce qui nous appartient.❞
Anne-Marie Garat, Dans la main du diable

❝En commençant l'écriture de ces textes
je ne savais pas encore
que j'étais en train
à ma façon
de répondre à ton souhait
à ton voeu
celui rédigé expressément
dans ton premier jet
dans une introduction intitulée
— cette fois en toutes lettres —
Préface

Ce voeu
on ne le retrouve pas
aussi bien exprimé dans ton cahier
on ne pouvait que le subodorer

Ce voeu
tu l'as en revanche clairement formulé
dans tes premières notes
dès les toutes premières lignes
tu l'as même clamé
clamé oui
comme un cri de révolte
un cri du coeur
tellement fort
qu'on ne peut qu'avoir envie
de l'exaucer
ce voeu
pour toi
et pour ceux
qui comme toi
comme Simone
ont voulu
résister
même si c'était
au péril de leur vie❞

Ce voeu était celui d'Hippolyte. Hippolyte Thévenard était le grand-père de Céline Didier, qui a décidé pour son premier ouvrage d'exaucer le voeu de raconter la vie, du moins une période de la vie, qu'Hippolyte avait inscrite dans un cahier d'écolier à l'incongrue couverture rose. Un exercice littéraire, une manière d'aller à l'homme en quelque sorte, auquel l'autrice se livre pour penser les liens à partir des écrits épars de ce grand-père qu'elle a finalement peu connu d'une part et de sa propre mémoire d'autre part, pour mettre en récit une existence dans le panorama plus large d'une époque tumultueuse et effroyable.

❝Et si on l'écrivait cette histoire
cette histoire tant de fois racontée
tant de fois évoquée
par bribes
Des bribes d'histoire
des bouts
des séquences
des anecdotes
Tellement par bribes
qu'on a du mal à l'écrire cette histoire
à la raconter d'une traite
entière❞

C'était ton voeu, ce sont des bribes d'histoire venues d'un cahier, sans date ni point final, des bribes d'histoire que la petite-fille a choisi de raconter en vers libres, courts et vierges de presque toute ponctuation. Bribes de phrases contre bribes d'une histoire, bribes d'une histoire contre bribes de l'Histoire que nous connaissons tous. de fait, n'attendez aucune révélation, l'histoire d'Hippolyte n'est pas renversante d'originalité, ne ménage aucun coup de théâtre ; elle est tristement hélas celle de beaucoup alors que gronde la Seconde Guerre mondiale et que trois mots suffisent à résumer : dénonciation, arrestation, déportation. Et pour lui, le miraculé, le résistant — à plus d'un sens—, il y aura l'inespéré retour parmi les siens alors que tant d'autres ne reviendront jamais de l'enfer.

Céline n'avait pas encore 13 ans quand Hippolyte est mort en ce 2 juillet 1989, soit 45 ans jour pour jour après son entrée à Dachau où il resta prisonnier dix mois. Quand ❝pépé est parti❞, ainsi que le scande sa grand-mère Simone, Céline était loin, occupée à remporter une première médaille avec l'équipe de gym aux championnats de France. Ce récit est peut-être pour l'adulte qu'elle est devenue une manière d'être enfin là auprès de lui, d'écrire au creux de cette présence/absence, sur ce qui reste encore quand la présence a disparu. le cahier rose s'arrête en gare de Lyon-Perrache avant que ne s'ébranle le train qui les mènera en Allemagne, au camp de concentration. Restent des brouillons, des notes, des traces, des choses vécues, des bribes là encore que Simone a donnés à sa petite-fille comme autant de fils pour reconstituer une trame et lutter contre l'oubli.

❝Alors on l'écrit cette histoire ?!

Elle en vaut la peine
je le sais
on le sait tous
il faut qu'on la mette noir sur blanc
cette histoire
pour qu'elle ne s'efface pas❞

Il est saisissant ce « on » qui écrit l'histoire d'Hippolyte à plusieurs voix, la sienne et celle de Céline, avec un rythme qui —pardonnez la formule — colle à la chose.

❝Une phrase, à mon avis, c'est beau quand ça bouge, quand ça tressaille comme la peau. Il y a des phrases, presque toutes, qui sont des phrases-trottoirs : tu marches dessus sans t'en rendre compte, tu ne fais pas attention au trottoir, n'est-ce pas ? Ça te sert à avancer, c'est pratique et puis c'est tout. Et puis tout d'un coup, tu ne t'y attends pas, et, nom de Dieu ! là, sous tes pieds, ça s'anime, ça remue, ça s'échappe, c'est un peu comme si tu marchais soudain sur de la chair, tu ne sais plus très bien où tu es, où tu vas, c'est comme une petite ivresse, tu as un peu peur, ça a l'air un peu dangereux et c'est excitant aussi.❞
Olivier Rolin, La Langue

Le phrasé ❝bouge❞, ❝tressaille comme la peau❞ et parfois martèle comme un slam dont les mots explosent avec grâce — c'est plus pour l'oreille que pour l'oeil qu'avec leurs trouées de silence ces vers sont faits, car nous sommes là dans la pure matière sonore de la phrase.

❝impossible de ne rien faire
impossible de ne pas bouger
impossible de ne pas s'engager
impossible de ne pas lutter
impossible de laisser faire
sans réagir
sans se rebeller
se rebeller, étrange ce mot
comme si défendre une vie juste
c'était être rebelle…
[…]
Il a pourtant couru à toute vitesse, paraît-il
pour les semer
pour ne pas se faire attraper
pour ne pas se faire choper
pour ne pas se faire avoir
pour ne pas se faire piéger
pour les mater
et pourtant ils l'ont bien attrapé❞

Cette biographie à la modernité peu académique, qui se lit dans un souffle, témoigne de comment la mémoire nous aide à retrouver nos vies. La parole en gras et italique de ce grand-père adoré, né en 1920, devenu ouvrier agricole avant de s'engager dans l'armée au Maroc à l'aube de ses 19 ans, est elle aussi faite de vers libres, courtes phrases avec de fréquents retours à la ligne et à la ponctuation presque tout aussi rare.

❝Je veux que, plus tard,
les descendants de ma famille sachent
quelle lutte continue et sournoise
nous avons menée pour libérer notre beau pays.
Je veux surtout que l'on sache
la vie terrible que nous avons vécue
dans les bagnes nazis.❞

C'était son voeu est un texte extrêmement fort, un devoir de mémoire et un passage de témoin où deux voix complices s'unissent, se répondent, se complètent dans un dialogue qui a priori ne va pas de soi puisqu'il doit enjamber le fossé des années pour partager l'émotion et dire le pire, la douleur et, je l'espère pour l'autrice, l'apaisement du devoir accompli.

En annexes, outre le facétieux Photomaton reproduit en couverture, on trouve deux photographies plus classiques, noir et blanc, prises le 17 mai 1945, l'une d'Hippolyte amaigri et perdu dans un costume devenu trop grand, l'autre de Simone qui lui sourit, timide, heureuse, peut-être encore incrédule qu'il soit revenu, je crois. Tous deux prennent la pose au bord d'une fontaine, le conjoint se laissant deviner à son ombre. Une manière émouvante de refermer sans le conclure tout à fait ce bel hommage à ce grand-père qui continue d'exister par les mots de sa petite-fille.

Premier roman, lu dans le cadre de la sélection 2023 des #68premieresfois

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Hippolyte Thévenard est un résistant, un combattant, un courageux, un déporté. Mais c'est aussi un grand-père aimant et aimé. de sa vie d'avant restent des écrits, des souvenirs, des mots couchés sur un cahier pour remplir les silences. Et c'est en son honneur, pour lui rendre hommage, pour lui assurer d'un impossible oubli, que sa petite-fille nous livre son histoire…

On le dit, on le répète, il ne faut pas oublier. Toute la violence, la haine, l'ignominie des camps et des déportations trouvent dans ces pages une douceur, une poésie, une quiétude troublante.

On pourrait croire que ces deux mondes ne peuvent pas cohabiter. C'est là tout le talent, porté par un amour sincère, de Céline Didier. Elle réussit avec pudeur, à mettre de la lumière jusque dans la plus petite part d'ombre de notre histoire. Elle évoque ce grand-père, sa résistance et son combat, sa vie d'avant et celle d'après, sa fiancée, ses frères et ses amis, ses morts et ses vivants.

Les vers libres défilent, rythment une lecture puissante et émouvante. Merci aux 68 premières fois pour ce cadeau…
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En vers libres. Céline Didier évoque son grand père Hippolyte.

La rencontre avec Simone l'amour d'une vie.
En 1938 Hippolyte s'engage avec l'accord des parents et ce sera la Maroc et le régiment des zouaves. La guerre éclate et c'est le retour en France dans les zones de guerre.
Travailleur prisonnier en Allemagne, il est soutien de famille et revient au pays. Puis entre dans la résistance il devient maquisard en 1943, mais est dénoncé par un ancien collègue français comme lui mais soumis à la volonté de l'occupant.
Ce sera la Déportation à Dachau et les journées de travail éreintantes où l'on se demande à quel moment on va s'écrouler, sous les coups, la faim, les crocs des chiens, l'épuisement.

Enfin de retour au pays à la libération, après des épisodes tragiques propres à cette guerre, aux camps de la mort, aux conditions dans lesquelles les Déportés étaient maintenus à peine survivants pour abattre des heures d'un travail exténuant alors qu'ils étaient affamés, malades, épuisés.

J'ai aimé lire ce court premier roman dans lequel on sent toute la tendresse et l'admiration d'une petite fille pour son grand père.

La forme tout à fait inhabituelle le rend encore plus prenant.
Les chapitres se suivent pour dire les faits, les souvenirs, les sentiments, la mort et la vie.
Une jolie surprise des 68 premières fois, et une maison d'éditions que je découvre avec cette lecture.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Et si on l’écrivait cette histoire
Et si on l’écrivait cette histoire
cette histoire tant de fois racontée
tant de fois évoquée
par bribes
Des bribes d’histoire
des bouts
des séquences
des anecdotes
Tellement par bribes
qu’on a du mal à l’écrire cette histoire
à la raconter d’une traite
entière
On n’est plus sûrs
on hésite
on ne sait plus dans quel sens cela s’est passé
on ne sait plus par quel bout la prendre
pour la restituer
au plus juste

On ne sait plus
ce qui est de l’ordre de la réalité
de l’imagination
On se demande si on ne mélange pas tout
il y a des incohérences dans notre récit
ce récit qu’on avait pourtant l’impression de maîtriser
Et si on l’écrivait cette histoire?!
Et si on remettait tout à plat
pour retrouver le sens de cette histoire
pour retranscrire la vraie histoire
celle qui s’est vraiment passée
celle qu’on n’a pas envie d’oublier
celle qui nous rend si fiers
d’appartenir à cette lignée
une lignée de résistants
d’hommes et de femmes
qui n’acceptent pas tout
qui n’ont pas envie d’accepter l’inacceptable
qui savent que ce qui est train de se passer est injuste
C’est insupportable l’injustice
Non ils n’accepteront pas
Ont-ils conscience à ce moment-là
qu’ils risquent leur vie?
Qui sait

Ce qui est sûr
c’est qu’ils y vont!
Là où leur conscience les mène
là où ils savent que c’est juste
Et ils n’hésitent pas
Ils y vont!
Advienne que pourra!
Qu’aurait-on fait à leur place?
Je me suis souvent posé cette question
moi qui ne supporte pas l’injustice
Ce n’est pas une coquetterie de ma part
de ne pas «supporter» l’injustice
comme quelqu’un qui ne «supporterait» pas le lin
et qui préférerait le coton
Non c’est viscéral
je ne supporte pas l’injustice, les injustices
ça me met hors de moi
ça me met la larme à l’œil, comme on dit
Une sacrée larme à l’œil!
C’est plutôt comme des sanglots qu’on garde en nous
on n’en fait jaillir qu’une larme
car on n’assume pas d’avoir envie de chialer
Chialer, oui, littéralement
à pleines larmes

tellement on est dégoûtés, écœurés, tristes
d’observer de telles injustices dans la vie
la vie de tous les jours
Mais on veut faire bonne figure
alors on n’autorise qu’une seule larme
à pointer le bout de son nez au coin de l’œil
comme pour réprimer notre hyperémotivité
car on se sent cons d’avoir envie de pleurer
en plein petit déjeuner
juste en entendant un «fait divers» à la radio
alors qu’on ne connaît pas la personne
qu’on n’est pas directement concernés
mais c’est plus fort que nous, les hypersensibles
ça y est on est pris aux tripes
on vit cette injustice de tout notre être
et c’est impossible, impensable
on a envie de pleurer, de se révolter
Mais on est là devant un bol de thé
et la situation ne s’y prête pas
là, à ce moment-là, on sait qu’on ne peut rien faire
on est impuissants
on ne va pas changer le cours des choses
on ne va pas changer le monde
en mangeant nos tartines
Alors on laisse juste venir cette petite larme

au coin de l’œil
comme si on s’autorisait quand même
à exprimer quelque chose
à montrer qu’on n’est pas d’accord
que c’est injuste
que la vie est parfois dure
un peu trop dure
et souvent avec les mêmes
ceux qui ne le méritent pas
Hippolyte et Simone
je ne sais pas s’ils ont eu la larme à l’œil
en voyant ce qui se passait dans leur pays
dans leurs villages
durant cette guerre
mais ce qui est sûr
c’est qu’ils n’ont pas accepté les bras ballants
cette situation
Ils y sont allés !
Où?
Là où ils savaient que c’était plus juste
pour eux
pour la société
pour nous
les suivants

les descendants
Ils étaient encore jeunes
mais je suis sûre qu’au fond
ils pensaient déjà à nous
nous, les suivants
nous à qui ils ne pouvaient pas léguer
une telle société
dans laquelle il aurait été impossible de vivre
Alors ils y sont allés !
Défendre leurs idéaux
combattre les absurdités de cette guerre
même si c’était au risque de leur vie
mais le savaient-ils seulement
Bien sûr ils le savaient
que ce n’était pas un jeu
qu’ils la risquaient leur vie
et pourtant il était impossible pour eux
impossible de ne rien faire
impossible de ne pas bouger
impossible de ne pas s’engager
impossible de ne pas lutter
impossible de laisser faire
sans réagir
sans se rebeller

se rebeller, étrange ce mot
comme si défendre une vie juste
c’était être rebelle…
Ils y sont allés !
Là où ils savaient qu’ils agiraient pour la bonne cause
là où c’était une évidence
là où Polyte se fera courser
Il a pourtant couru à toute vitesse, paraît-il
pour les semer
pour ne pas se faire attraper
pour ne pas se faire choper
pour ne pas se faire avoir
pour ne pas se faire piéger
pour les mater
et pourtant ils l’ont bien rattrapé
Dénoncé il a été
par un de ceux qui aurait pu choisir
de combattre à ses côtés
Cela aurait pourtant été logique
un gars du coin
ça se bat avec les autres gars du coin!
Qu’est-ce qu’il est allé faire avec l’ennemi celui-là?
Qu’est-ce qui pousse quelqu’un
à choisir le mauvais camp?

Le camp du méchant!
Qu’avait-il à y gagner ce gars du coin?
Ce gars qui connaissait mon grand-père
et qui l’a pourtant trahi
Pourquoi, pour quoi?
Va savoir ce qui fait prendre de telles décisions à ces
cons
ces cons qui font du mal par un simple geste
un geste tout bête
Par un acte d’aucune bravoure
ce con
il a envoyé mon grand-père aux camps !
Et là on ne parle pas de choisir son camp
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L'administration a autre chose à faire
Qu'à choisir une bonne couleur !
Peut-être
Mais cette carte de déporté
Etait-ce trop demander
De ne pas utiliser
Le premier papier
Qui tombe sous la main
Le papier
Que l'administration a en stock
En assez grande quantité
Car il a fallu en imprimer
Un paquet
De cartes de déportés
Je ne dis pas qu'elle aurait dû être
grise ou noire
Cette carte
Mais juste d'une autre couleur que ce rose

Et finalement
Ce rose
Peut-être n'est-il pas si mal choisi
Il me rappelle en effet
Celui d'un autre document
Un document qui t'est cher
Un document qui atteste lui aussi
Ton histoire de déporté et de résistant
Ce rose s'apparente beaucoup
curieusement
à celui de la couverture de ton cahier.
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Il avait les yeux dans le vide
et il s'est mis à me parler
de ce qu'il avait enduré
pendant la guerre
il était très ému
Ça m'avait impressionnée
Car c'était un très grand bonhomme
Une masse très imposante
Avec des grands yeux bleus
Des yeux
Très embués
Ce matin-là
En quelques instants seulement
Ce grand costaud
Avait laissé transparaître toute sa fragilité
Il essayait de me donner sa version
de l'histoire
De son histoire
À lui
De la guerre
Comme il l'avait vécue
Lui.
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Je veux que, plus tard, les descendants de ma famille sachent quelle lutte continue et sournoise nous avons menée pour libérer notre beau pays. Je veux surtout que l'on sache la vie terrible que nous avons vécue dans les bagnes nazis p. 108
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En découvrant
la suite de l’histoire
en lisant ces fameuses notes
que tu t’étais bien gardé de jeter
et qui heureusement ont été conservées
je ne vais pas te cacher
ma première impression
à chaud
la difficulté que j’ai eue
à encaisser
à absorber
à digérer
tout ça
ça…
ce « truc » horrible
indéfinissable
que tu as vécu
que tu as été obligé de subir
sans broncher
j’ai pris tout ça de plein fouet
Pas simple-simple d’imaginer son propre grand-père
vivre un tel calvaire
et là maintenant que faire
de toute cette matière abjecte
comment la traiter
comment la retranscrire
« le plus fidèlement possible »
comment m’y prendre à mon tour
pour poursuivre le travail que j’ai entrepris
moi aussi
pour transmettre à ma façon
ce que je retiens de ton histoire
comme un devoir de mémoire
comme un passage de témoin
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