Les "gueules cassées".
Nous connaissons tous ce qui se cache derrière cette expression. Nous avons vu des images difficilement soutenables dans des livres d'histoire.
Mais, a-t-on pensé à ces hommes, à leurs souffrances physiques et psychologiques, à la façon dont ils ont pu vivre après la guerre ?
Dans
La chambre des officiers,
Marc Dugain nous invite à la réflexion.
À travers le personnage d'Adrien, directement inspiré de son grand-père, et les autres protagonistes, il nous fait revivre le chemin de croix de ces soldats.
La blessure, l'arrivée à l'hôpital, le refus ou l'acceptation, l'envie de se battre ou de baisser les bras, le retour à la vie "normale" : chaque cheminement est unique mais de nombreuses difficultés sont communes.
Comment accepter son nouveau visage qui n'en est plus un ? Comment admettre l'idée que l'on ne retrouvera plus jamais son apparence ? Comment supporter le regard des autres ?
Comment imaginer reprendre ou trouver un travail, se présenter devant des gens, alors que l'on est soi-même horrifié par le reflet que renvoie le miroir ?
Comment imaginer se marier, avoir des enfants ? Peut-on espérer qu'une femme voudra de vous ?
Où trouver la force de vivre malgré tout, de refuser de rester caché pour le restant de ses jours ?
Dans un premier temps auprès du personnel de l'hôpital, admirable et dévoué. Auprès de médecins qui font naître un espoir fou, celui de reconstruire votre gueule cassée.
Alors les blessés, confiants, subissent des opérations à la chaîne, avec à chaque fois le rêve insensé de retrouver son visage d'avant. Jusqu'à la déception finale et l'obligation de finir par accepter ce qui était au départ inacceptable : il est des destructions irréversibles, et ce visage qui leur fait horreur est le leur jusqu'à la fin de leurs jours.
Grâce à Adrien et ses camarades d'infortune, nous comprenons mieux ce qu'ont vécu ces hommes partis la fleur au fusil et revenus la gueule cassée.
Nous pouvons imaginer leur parcours et nous représenter leurs souffrances.
Par-delà les années, nous ressentons de l'empathie pour eux.
Une blessure grave au visage n'est pas une blessure comme les autres. Outre les problèmes fonctionnels qu'elle engendre (comment parler quand on a eu la mâchoire et le palais fracassés ?), elle change complètement la perception que les autres ont de vous, et votre propre perception.
Un visage ne peut pas se cacher, c'est là tout le problème.
On peut camoufler un bras blessé, on peut dissimuler une jambe manquante par le port d'une prothèse, mais le visage est la première partie de soi que l'on montre, il est l'élément majeur sur lequel se fonde la première impression que les autres ont de vous.
Comment des hommes jeunes, ainsi atteints, ont-ils poursuivi leur vie après la guerre ?
Ce premier roman de
Marc Dugain est bouleversant et mérite complètement les nombreux prix qui lui ont été attribués.
Fin et délicat, profondément humain, il est d'une grande force et contient la juste dose d'humour nécessaire pour rendre le récit supportable.
La solidarité entre les blessés est très émouvante mais également infiniment triste car elle révèle chez eux une terrible angoisse : pareillement atteints, ils se comprennent parfaitement, mais les personnes extérieures vont-elles pouvoir en faire autant ?
La chambre des officiers est un roman magnifique. Un formidable hommage au grand-père de l'auteur et à toutes les gueules cassées.
À l'heure où notre pays traverse une crise profonde, au moment où notre société est menacée par certains qui voudraient détruire notre civilisation, nous devons plus que jamais nous sentir reconnaissants envers ces soldats qui se sont battus pour la France et ont payé un prix si fort.
Plus d'un siècle plus tard, honorons leur mémoire en résistant à notre tour.