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EAN : 9782382924129
288 pages
Bouquins (17/08/2023)
3.48/5   142 notes
Résumé :
Camille voit sa vie basculer un jeudi soir dans le métro. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital quelques mois plus tard, elle n’a plus de visage. Son agresseur a disparu sans laisser de traces.

Julien vit enfermé dans son appartement. Solitaire, il passe l’essentiel de son temps à consommer des images pornographiques et à surfer sur le darknet. Un soir, il télécharge par hasard une vidéo de l’agression. Alors qu’il s’enfonce peu à peu dans une spirale d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (46) Voir plus Ajouter une critique
3,48

sur 142 notes
Un premier roman qui est totalement déroutant , déstabilisant , terrifiant , d'une noirceur extrême. Camille se fait sauvagement agresser dans le métro, un jet d'acide est sa vie devient un véritable cauchemard. Elle si féminine, se voit défigurer à vie, après moult opérations, les chirurgiens essayent de lui rendent un visage plus au moins humain. L'auteur décrit sans tergiverser , les souffrances, le désespoir de Camille, sa descente dans les méandres de de la l'abomination , de l'impensable, elle est détruite psychologiquement et physiquement. L'auteur va au plus profond de sa psyché, nous faisons ressentir ses maux, certaines scènes qui m'ont mises mal à l'aise , développant ,en moi un coté de haine , de colère envers cet agresseur. Camille est un personnage dégageant de l'empathie, nous avons envie de lui venir en aide, lui donner la force de découvrir un nouveau monde qui sera le sien.
Julien, est un homme renfermé, qui passe ses journées sur le dark net, visionnant des choses abjectes, des choses pour assouvir ses pulsions sexuelles , un univers où la perversité est de rigueur, un univers de l'horreur et de la violence. Julien en devient addict. il tombe par le plus grand des hasard, sur une vidéo de Camille qui se fait agresser., il développe une obsession, il veut voir Camille.
Un questionnement, quel lien Se tisse autour de ces deux personnes, que tout oppose. L'auteur signe un roman anxiogène, suffocant , oppressant, inhumain. La lecture est totalement dérangeante, malsaine
L'auteur ne fait pas dans la dentelle , un langage parfois cru, une sorte de voyeurisme m'a envahit durant ma lecture.
C'est deux personnes blessés par la vie, arriveront -elles à s'en sortir. l'auteur envoute ses lecteurs de début jusqu'au final, une fin qui m'a laissé sur ma fin.
Un roman qui ne laisse pas indiffèrent, il m'a marqué, et restera ancré dans mes pensées.
Un auteur à suivre de prés.
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« Acide » nous narre l'histoire de Camille, victime d'une terrible agression gratuite à l'acide dans le métro parisien mais également celle de Julien, jeune homme vivant reclus dans son appartement et qui passe tout son temps sur le darknet à visionner d'horribles vidéos de violence et de sexe. En apparence, deux jeunes gens que tout oppose mais dont la descente aux enfers les touchera tous les deux.

C'est la première fois que je lis un livre dans lequel les sensations de douleurs, de souffrances sont décrites de façon tellement réalistes que j'ai eu l'impression de les ressentir moi-même. C'est en même temps dérangeant mais nécessaire au vu du sujet principal du livre.

Ce roman clivant est un premier roman et pourtant, il est d'une très rare intensité. La façon dont son auteur, Victor Dumiot, décrit les sentiments est puissante et redoutable. Portée par une écriture forte et étoffée, l'histoire se « vit » auprès de ses deux protagonistes.

Les chapitres consacrés à Camille sont criants de vérité et évoqués à la première personne. Ils ne laissent rien de côté, tant les blessures physiques que psychologiques. Les souffrances sont évoquées comme elles le seraient par la victime elle-même, sans ambages, ni détours. On ressent ses douleurs dans notre chair, même si c'est difficilement perceptible pour celles et ceux qui n'en ont pas été victimes. L'importance de la beauté et la symbolique du visage sont finement analysées, parfois froidement, comme chirurgicalement parlant.

Ce bouquin à l'ambiance anxiogène et oppressante ne laissera pas les lecteurs indifférents. La noirceur de l'âme humaine y est disséquée et présentée aux travers des personnages mais encore plus vis-vis de Julien, simplement dénommé « l'homme » et de son addiction au sexe, alimentée par le darknet, évoqué à la troisième personne évoquant un certain détachement à son égard.

Je pense qu'il s'agit du genre de livre qui fait ressentir beaucoup de sentiments antinomiques et dont les lecteurs en sortiront avec un coup de coeur ou alors auront été complètement rebutés ou désenchantés.

Je ne mets pas cinq étoiles car le final m'a un peu laissée sur ma faim. Mais par ce premier roman choc et incisif, Victor Dumiot a placé la barre très haut. Ce récit bouleversant poursuivra ses lecteurs certainement encore longtemps mais attention, il n'est pas à mettre entre toutes les mains…
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Une vie sans visage

Pour son premier roman Victor Dumiot frappe fort. Il raconte l'attaque à l'acide d'une jeune femme sur un quai de métro et les années qui suivent. Une horreur qui va fasciner un adepte du darknet. Âmes sensibles s'abstenir.

Camille mène une vie sans histoires. La parisienne de 27 ans s'apprête à retrouver des amis pour la soirée lorsque sa vie bascule. Sur le quai de la station de métro Jussieu un homme se dirige vers elle et l'asperge d'acide sulfurique. En quelques secondes la formule H2SO4 ravage son visage, laissant les voyageurs sidérés tandis que le coupable prend la fuite.
Quelques minutes d'horreur et de longues semaines d'hôpital s'enchaînent. La vie de Camille n'est désormais qu'un chemin de croix. Car il devient très vite évident qu'elle ne retrouvera plus jamais son visage et que ce qui est exagérément appelé reconstruction n'est en fait qu'une série d'opérations, de tâtonnements, d'essais de greffe à l'issue aléatoire et de souffrance autant physique que psychologique. Mettez-vous à sa place...
Il est dès lors impossible de ne pas compatir, de ne pas partager son mal-être et de trouver bien dérisoires tous les messages d'espoir que la famille et les médecins tentent de lui transmettre. Peut-être que les enquêteurs de la police sont les plus réalistes de ses interlocuteurs, expliquant qu'ils ne disposent que de peu d'indices et que, s'ils doutent d'avoir affaire à un acte gratuit, n'en piétinent pas moins. Eux aussi sont partis pour une enquête longue et difficile.
Le film de quelques minutes qui circule sur le darknet leur serait sans doute utile. Il montre l'agression et les secondes qui suivent, un visage en train de fondre. Mais Julien semble bien le seul à s'y intéresser. Il ne sent nullement coupable, pas plus qu'il n'a envie de confier sa trouvaille à la police. Il va même regarder en boucle cet enregistrement, fasciné par cette violence, par cette peau en déliquescence. Et chercher ensuite par tous les moyens à retrouver cette jeune femme monstrueusement défigurée, Dont à peine à écrire qu'il tombe amoureux.
En poursuivant en parallèle le récit du combat de Camille et l'obsessionnelle quête de Julien pour retrouver cette victime, Victor Dumiot ajoute de la tension à la tension, du malaise au malaise. Il choque, mais sans doute pour faire agir la catharsis. Lui qui avoue s'être nourri aux polars, à Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Franck Thilliez a aussi lu Foucault et Bataille. Acide pourrait donc être en quelque sorte la rencontre entre Les Rivières pourpres et Histoire de l'oeil.
Quoiqu'il en soit, le rédacteur en chef de la revue de Yann Moix, Année Zéro, réussit ici une entrée fracassante en littérature.


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J'ai reçu Acide dans le cadre d'un jury littéraire mais, au vu de la quatrième de couverture et du thème il me semble que j'aurais pu être tentée de le lire par ailleurs. Sujet qui me semblait intéressant et plein de promesses mais j'ai assez rapidement déchanté. Que ce soit bien clair, je n'ai rien contre les descriptions des manifestations de la violence, j'en ai lu de toutes les couleurs et de toutes les sortes, c'est malheureusement quelque chose qui fait partie de notre histoire, de nos vies, parfois de notre quotidien et il est salutaire que la littérature s'en empare. Mais, ce que j'attends d'un texte dans ce cas c'est de la matière, du fond, de quoi nourrir ma réflexion, changer mon angle de vue. Me faire plonger dans l'immonde OK mais au moins que je ressente, que je cogite, bref qu'il se passe quelque chose. Or pendant toute ma lecture j'ai eu l'impression que l'auteur me maintenait en surface, m'imposait une position de voyeur sans jamais m'emmener au fond des choses. Si je suis allée au bout c'est en partie parce que c'est plutôt bien écrit (ce qui est loin d'être le cas de tous les premiers romans) et parce que j'ai l'habitude de lire ce que je dois évaluer en participant à un jury. La fin n'a fait qu'amplifier mon sentiment et même générer une sorte de colère d'avoir dû assister à un spectacle qui m'a semblé totalement gratuit dans la façon dont il est mis en scène.
J'ai vu passer pas mal d'avis enthousiastes voire dithyrambiques sur ce texte clivant certes, mais je ne pense pas être la seule non plus à attendre autre chose d'un roman. Bref, pardon pour cette critique acide mais elle reflète mon rejet total de ce genre de texte.
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« Acide » explore l'impact psychologique de la perte du visage, expressions, traits, reflet des pensées, une partie de ce qui fait notre identité. Sans raison spécifique, on jette au visage de Camille une fiole d'« Acide ». Les effets de cet acte « gratuit » resteront longtemps figés dans sa chair. Elle se souviendra de cette agression « sans visage de son agresseur » avec une grande précision, « Je me rappelle aussi distinctement le bruit. Remontait jusqu'à mon oreille droite, le crépitement de ma chair. », de la flambée de la douleur « L'impression de me prendre à toute vitesse un mur tranchant. Comme si mon visage avait percuté des poignards, une planche cloutée, comme si je traversais le pare-brise de mon véhicule. L'impression que l'on frottait ma figure avec du verre pilé. » Sur le quai du RER, station Jussieu, elle se meurt au milieu du monde. « J'étais juste là, en train de me calciner, d'agoniser comme une idiote, tandis que tout – à commencer par mon visage – se dissolvait. Toute ma réalité, tout ce qui faisait ma vie, d'un coup englouti. »


« Car l'Acide, ce n'est pas comme un feu. Au moins, avec le feu, on sait ce que l'on peut éteindre. On sait comment. On sait où chercher. On sait à peu près ce qu'il faut faire. Les bons réflexes à adopter. Mais avec l'Acide le mal se déroule à l'intérieur. » Quels sont les dégâts psychiques d'une attaque d'une telle violence ? Victor Dumiot décrypte la symbolique du visage et tout ce qu'il représente dans votre société à la fois dans l'esprit de la personne attaquée, mais aussi dans ce qu'elle s'imagine que l'on dira d'elle. Dans les propos, avant même les différentes opérations, avant la greffe, il y a le « que pensera-t-on de moi ? Comment me verra-t-on ? » Tout au long des réflexions de Camille, on a envie de lui dire « non », chacun saura voir derrière ce visage brûlé la femme que tu étais… Or, au fur et à mesure des descriptions physiques, des engagements psychologiques, Victor Dumiot nous force à admettre que rien ne sera jamais plus comme avant, et que jamais, malgré la compassion ou l'empathie qui peut habiter certains d'entre nous, on ne verra plus l'autre Camille, celle d'avant …


Physiquement, c'est au-delà du supportable… d'une précision rare, des descriptions approfondies. Il fallait en passer par là pour donner au lecteur l'entièreté de qui est désormais Camille, la même dedans, une autre dehors. « J'avais mal jusqu'au bout des orteils, jusqu'à la pointe de mes cheveux fumants, j'avais mal jusqu'au fond des orbites. Comme si la douleur me prenait pour me jeter d'une paroi à l'autre de la station. Sur le sol glacé, j'avais l'impression de fondre. Il y avait un volcan, quelque part en moi, en pleine éruption. » Les souffrances qu'elle endure vous arrachent les tripes, et plusieurs fois vous toucherez votre visage pour vous assurer qu'il est toujours « lisse »… plusieurs fois, vous rêverez de cet « Acide » qui finit par obséder votre subconscient, hanter vos nuits et habiter vos jours. Victor Dumiot m'a crevé le coeur par la justesse des émotions qui traversent Camille : « J'aurais préféré mourir. Ce fut ma seule malchance. Je n'ai pas été tuée. », « Certains sont morts avant même de mourir, moi j'étais revenue morte parmi les vivants. », « Sans eux, je serais morte. Avec eux, je devenais un monstre. » le ton est donné : la mort plutôt que ce visage intolérable, la mort plutôt que la souffrance insoutenable. La mort, la mort, la mort. Et pourtant, il faudra vivre. Une condamnation à vie à survivre.


Durant ce laps de temps continu et interminable, Camille livre ses pensées dans l'ordre, dans le désordre, en fonction des idées qui traversent son esprit, seul survivant. le hashtag #vitriolJussieu fait la une, elle y découvre la politisation de son histoire « On trouvait les plus farfelues à droite. Selon certains, j'étais le symbole tragique de l'islamisation française. ». Devenue Marianne, elle partage sa douleur avec la France outragée, puisque c'est bien le pays entier la victime. Elle devient la Madone de toutes les féministes, elle qui n'a rien demandé et veut juste qu'on la laisse crever dans un coin. « L'Acide était une forme de dressage. Je n'avais qu'à bien me tenir ! J'aurais dû être sage, obéissante. Dans la niche. Au pied du maître. Tirer la langue. Tout accepter. Twitter, c'était l'enfer. » Victor Dumiot passe au crible les conséquences d'une telle agression dans tous les domaines : sociologiques, politiques, journalistiques. Tout y passe, des réseaux sociaux de la compassion à la hargne, aux paroles des proches (terribles…) « Tous étaient optimistes. Ça va aller, ma petite. Tu as passé le plus dur ! Faut voir les choses du bon côté. C'est dans la tête que tout se joue. Voulaient-ils me faire croire qu'un visage, après tout, ça ne servait pas à grand-chose ? On en fait tout un plat avec les visages… Mais franchement… Ce qui compte, c'est le coeur, n'est-ce pas ? La grande, la pure, l'inépuisable beauté intérieure. » de très beaux passages sont consacrés aux visages des femmes, à comment on perçoit son propre visage, à la façon dont les autres l'appréhendent, à son utilité dans la société, aux conséquences de son absence et au concept de beauté en général. « Quand on perd son visage, On se perd soi-même. C'est se perdre soi et perdre le droit d'être soi parmi les autres. La mutilation vous sort de la norme. » Victor Dumiot a saisi avec beaucoup de profondeur et de délicatesse ce qu'est une victime à perpétuité « Il n'y aurait ni rémission ni guérison. Si j'avais su… Rien ne nous prépare à devenir victime. Ça vous tombe dessus, ça vous étouffe. C'est un nouveau statut, comme une nouvelle peau. » Il y a des dizaines de phrases que j'ai relevées, terriblement émue par leur portée. « Considérez plutôt que, chaque jour, à chaque instant, vous jouez des morceaux de votre corps à la roulette russe. » A chaque seconde, il peut surgir une forme de fin…

Car soyons clairs, « Acide » dégage une douleur que j'ai rarement expérimentée en littérature. Ces brûlures sont portées par une écriture visuellement rigoureuse, et moralement minutieuse. Rarement, j'ai pu me glisser avec autant de facilité sous une peau, tant le détail des émotions et la précision des souffrances permettent la radiologie d'émotions extrêmes au plus près du tangible et du palpable. « Altérée. Atomisée. Radioactive. Humaine, moins humaine : je ne suis plus assimilable, plus reconnaissable, plus identifiable. La défiguration est le pire crime qui soit, le seul meurtre qui vous laisse en vie. On devrait inventer, pour les tribunaux de l'avenir, la notion de crime métaphysique. »


« Acide » se déroule sur plusieurs années. Camille traverse toutes les phases identiques à celle du deuil où le but ultime est de se voir enfin dans une glace. Se voir et s'accepter. Se regarder et approuver le lent travail de la cicatrisation, et celui des médecins. D'un rejet total et sans condition, il lui faut apprivoiser son visage. Les deux stades qui suivent « Ma peau guérissait mais moi, au fond, je ne guérissais pas » et les premiers frémissements d'un renouveau « Car l'autre, celle d'avant, n'avait pas disparu. Je la sentais quelque part, au travers de vieux réflexes, d'un sentiment de déjà-vu, de mes fantasmes, de mes résistances, des colères, des douloureuses colères qui tout à coup s'emparaient de mon esprit, des peines, des longues dépressions qui chevauchaient les moments d'ivresse. Quelque chose en moi résistait, c'était elle. Impossible de creuser plus avant. D'aller la dénicher dans son trou. Il fallait la laisser sortir. »


« Acide » n'est pas seulement l'histoire de Camille et de la force de sa résilience, c'est aussi une partie de celle de Julien. Que vient faire ce personnage masculin dans le roman ? N'imaginez pas que Victor Dumiot a choisi la facilité… Bien au contraire ! Il ne s'agit pas de l'homme qui l'a agressée. (Merci pour ça !) L'entrée de ce personnage sur la scène du texte a une autre utilité, une vraie pertinence qui saura rajouter un peu à votre douleur que vous pensiez à son paroxysme. C'est un homme solitaire et sombre, enfermé dans son appartement, obsédé par des vidéos en ligne de nature choquante. Mais je vous laisse le découvrir…


« Acide » est un premier roman, véritable révélation de cette rentrée littéraire. La plume y est acérée, véritable témoin de notre époque. À travers le drame d'une femme et le quotidien d'un homme, Victor Dumiot décortique avec une acuité aiguisée les obscurités de notre époque. Roman social, l'écriture tranchante met en exergue les solitudes, les drames et les vestiges des hommes qui naviguent dans une violence intrinsèque. La déshumanisation, l'insécurité, et la cruauté y sont omniprésentes, jamais à titre gratuit. La justesse des propos et la pertinence des analyses en font un récit qui s'apparente à un choc émotionnel où anxiété, empathie et intensité du ressenti se côtoient sans cesse, offrant au lecteur une valse d'émotions rare. Certainement un des meilleurs textes lus en cette rentrée littéraire, tant sur le fond que sur la forme. Il existe de petits génies dissimulés derrière leurs ordinateurs qui écrivent des romans d'une qualité exceptionnelle. Victor Dumiot est l'un d'eux, à n'en pas douter.

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critiques presse (1)
LeMonde
24 novembre 2023
"Acide" ne se distingue pas par son ­sujet – la toute-puissance de l’image et l’addiction à Internet –, mais par l’angle, extrême, par lequel il l’aborde. Ce premier roman plonge dans la psyché de deux êtres devenus des « monstres », chacun à sa façon.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
J’avais un visage, mais il me fut pris.
C’est arrivé un soir, un soir que je pensais comme les autres, que je croyais léger. Un ciel tranquille, noir, endormi s’étendait au-dessus de ma tête. J’aurais dû me méfier.
Ce soir-là, je m’étais fait belle. Je veux dire : plus belle que d’habitude. Seule, devant le grand miroir de la salle de bain, je m’étais appliquée pendant plus d’une heure avec minutie. Je connaissais bien mon visage, nous étions alliés depuis plus de vingt-sept ans. Je savais quel rouge – rouge à lèvres mat, profond et intense, qui donne cette impression de mise à nu tout en habillant – il me fallait utiliser pour rendre mes lèvres désirables. Quel fard à paupières employer pour sublimer mon regard. Quel mascara, quel fond de teint, quel blush… Des années d’expérience.
Belle, je pensais devoir l’être toujours plus. Toujours supérieurement. La beauté condamne à un effort cosmétique perpétuel.
J’avais enfilé une robe verte en satin piquée à ma mère. J’aimais cette robe pour les étranges mouvements qu’elle opérait autour de mon corps. Collant mes hanches, ma poitrine, mes fesses, puis s’en détachant tout à coup avec amplitude : on aurait dit qu’elle dansait autour d’un feu.
Ce devait être un soir d’ivresse. J’étais prête, j’allais rejoindre des amis rue Jean-Jacques-Rousseau. J’imagine que nous aurions ensuite fait la tournée des bars, en commençant par ce cabaret branché, le Lulu, que nous apprécions tant.
Quelles furent les dernières pensées de ma vie d’avant ?
Je me revois descendre la rue Monge d’un pas rapide, la tête haute, écouteurs vissés dans les oreilles – tant pour éviter d’être importunée que pour arriver joyeuse au rendez-vous –, dans la nuit mordue par l’éclairage puissant de la ville. J’étais impatiente. Je pensais, sans doute, aux verres que j’avalerais bientôt, au vin blanc qui coulerait dans ma gorge, se répandrait dans mon sang, me ferait tourner la tête, pétiller les yeux et rire en posant affectueusement la main sur l’épaule de mes amis.
Je devais penser à l’ivresse, car j’avais envie d’être ivre ce soir-là.
M’enfonçant dans la station de métro Jussieu, marchant jusqu’au quai, je ne vis rien venir.
Aucun pas suspect. Aucun homme étrange à proximité. Rien d’anormal. Le métro devait arriver, ça, je m’en souviens bien, dans les cinq minutes. Cinq minutes à attendre. Je fixai, sur l’autre quai, une publicité surprenante qui ordonnait : « Toi, là, arrête les déplacements inutiles ! Fais-toi livrer en un clic ! » Cinq minutes à attendre. Un couple se disputait à côté. Je regardais l’homme qui regardait son mec avec des airs de reproche. Dans le genre : « Tu m’avais promis, et pourtant… Tu ne tiens jamais parole. » Intérieurement, je me disais que j’étais quand même mieux toute seule. Heureuse de ne pas avoir à me justifier. Heureuse et soulagée d’éviter ce genre de regards, ces discussions lourdes qui vous serrent le cœur et vous assèchent la bouche, comme des cristaux de sel, un jeudi soir.
Quatre minutes.
Me reste en mémoire un cri, peut-être inventé. Comme si quelqu’un, au dernier moment, avait cherché à me prévenir. Trop tard. Je tournai la tête. L’homme, j’imagine que c’est un homme – cela me rassure de penser que c’est un homme, bien que je n’en sache rien, et sans doute n’en saurai-je jamais rien –, me lança de l’acide au visage. Acide sulfurique. Formule H2SO4.
Le jet me toucha en pleine face.
Trois minutes.
Au départ, je crus que c’était de l’eau, je ne comprenais pas bien – je dis au départ, mais cela ne dura que quelques secondes, une très courte éternité. J’étais confuse, je me retournai, je devais même sourire par politesse, voilà, sourire un instant, pour ne pas avoir l’air trop ridicule. Je pensai au maquillage qui devait couler, que j’allais devoir refaire, je pensai à ce verre qui s’éloignait, à mes amis, au métro d’en face dont j’entendais le bruissement métallique, le souffle et le sol trembler, qui annonçait son approche.
Très vite, la douleur me terrassa.
Je tombai d’un coup.
Deux minutes.
L’impression de me prendre à toute vitesse un mur tranchant. Comme si mon visage avait percuté des poignards, une planche cloutée. Comme si je traversais le pare-brise de mon véhicule. L’impression que l’on frottait ma figure avec du verre pilé.
Une minute.
Le choc était terrible, j’en avais le souffle coupé, les tripes retournées. J’avais si mal, là, à quatre pattes, qu’aucun mot, qu’aucune parole ne put sortir de ma bouche. Rien. J’étais juste en train d’agoniser comme une conne, tandis que tout – à commencer par mon visage – se dissolvait. Tout ce qui faisait ma vie, d’un coup englouti.
Zéro minute.
Le métro arriva. J’imagine que ses portes s’ouvrirent pour libérer une cohorte d’individus pressés. J’étais à genoux, non loin de la sortie, ne voyant plus rien que des formes s’activer de-ci de-là et, au loin, l’obscurité tenace.
J’étais là, à mourir au milieu du monde. Et le monde s’en foutait.
La douleur me fit crier encore, par saccades. Je poussais une sorte de cri qui m’était inconnu, qui vous écorche vive, un son qui ne vient pas seulement de la gorge, qui vient de plus profond, du profond des tripes, qui vient de tout en bas.
Ce fut sans doute la sidération qui empêcha les dernières personnes présentes dans la station de me porter secours immédiatement. Moi-même, je ne pouvais pas appeler à l’aide, incapable d’articuler ne fût-ce qu’un seul mot. Mes mains tremblantes se perdaient sur un visage déjà perdu, comme pour sauver encore quelque chose. Je n’y pouvais plus rien.
L’acide, ce n’est pas comme un feu. Au moins, avec le feu, on sait ce que l’on peut éteindre. On sait comment. On sait où chercher. On sait à peu près ce qu’il faut faire. Les bons gestes à adopter.
Mais avec l’acide, le mal se déroule à l’intérieur.
L’acide me pénétrait, entrait en moi, il se répandait peu à peu sous ma peau. Il asséchait tout comme une bouche assoiffée. S’enfonçant plus loin encore, il entra soudainement en réaction, faisant éclater les membranes cytoplasmiques. Ma peau se flétrissait. La nécrose alors se propagea en profondeur. Les réactions en chaîne s’amplifiaient, se répondaient. Ma peau changea de couleur, se couvrit de cloques, glabres et rougeâtres, qui se multiplièrent le long de la surface touchée, comme des petites bosses sur les feuilles d’un arbre. On pouvait suivre la trajectoire du fluide, mon corps faisant office de carte des lésions.
C’est ce que je compris plus tard.
J’avais l’impression qu’une armée entière s’acharnait sur moi, le long de mon visage, sur mon nez, mes lèvres, mon front. Une armée d’ennemis invisibles. Je les entends encore hurler : « Il faut tout retirer ! Allez-y ! Poncez, raclez, mutilez ! Qu’il ne reste plus rien. Rien que la peau sur les os. »
Je me rappelle aussi distinctement le bruit.
Remontait, jusqu’à mon oreille droite, le crépitement de ma chair. Ma peau luttait pour évacuer l’acide, impuissante. Je devenais une sans peau. Pour elle, c’était perdu d’avance. Déjà foutu. Mieux valait quitter le navire, échapper aux lambeaux.
La vie est une affaire de contrastes, n’est-ce pas ?
Quelques instants plus tôt, j’allais quelque part. On m’attendait déjà. D’une certaine façon, la soirée était jouée. Je pouvais en prévoir le déroulement et les possibles prolongations dans un bar surchauffé, imaginer nos voix tapageuses, insolentes, l’amitié en mouvement. J’ai souvent pensé à la façon dont les choses se seraient passées si rien ne m’était arrivé. J’ai revécu mille fois cette soirée, un peu par masochisme. Ce trajet en métro n’aurait dû appartenir qu’au domaine de l’utile.
Ce soir-là, si j’avais pu, je serais sortie de mon corps. Mon âme aurait glissé le long de ma langue nécrosée, comme sur ces tobogans que les avions déploient en cas d’atterrissage d’urgence. Puis elle aurait flotté entre les voies, au milieu des rails, jusqu’à arriver sur l’autre quai. Elle aurait alors sauté dans le premier être venu. J’aurais allègrement pris la place d’un autre. N’importe lequel ! Et je me serais assise sur ces fauteuils jaunes en plastique, peu confortables, et j’aurais regardé de loin ce corps arc-bouté, ce corps de femme. La pauvre. J’aurais regardé ce corps courbé, tordu, plié, déchiré, dévasté, le corps d’une étrangère.
Adios la grande cramée.
Je m’abîmais en moi-même, noyée dans ma chair boursouflée, dans mon sang et mes larmes, mutilée par l’acide qui poursuivait sa route. La douleur me prenait entre ses bras, non comme une mère, mais pour me contraindre, me déchirer, pour me réduire en miettes. J’avais mal jusqu’au bout des orteils, jusqu’à la pointe de mes cheveux fumants. J’avais mal jusqu’au fond des orbites. Comme si la douleur me prenait pour me jeter d’une paroi à l’autre de la station. Sur le sol glacé, j’avais l’impression de fondre. Il y avait un volcan, quelque part en moi.
Tandis que l’acide poursuivait son chemin dans le fond de ma gorge, je perdis connaissance. Trou noir en plein feu.

On se plaint parfois de perdre la mémoire ou d’avoir les choses d’une vie sur le bout de la langue. Mais croyez-moi, il y a des choses qu’il vaut mieux oublier. Notre mémoire nous protège par enfouissement, elle va contre le monde.
Les instants trop douloureux finissent en poussière. Tant mieux !

Il n’y a pas que mon corps qui mourut ce soir-là, mais aussi le temps. On l’avait fait flamber comme mon visage. Ce fut le début d’une longue chute, saccadée, discontinue. Le temps ne pouvait plus exister, puisque je n’existais plus moi-même. Chaque seconde qui s’écoulait sur mon corps, chaque craquelure de ma peau, chaque frisson douloureux, répétait ma mort. Je ne cessais plus de mourir. Je n’étais pas morte pour toujours, je mourais toujours, je mourais encore. Monstre dont la mort ne peut cesser. Monstre condamné à se relever pour s’abattre. Une mort sans fin, une trajectoire infinie. On m’avait éjectée hors du monde, comme la capsule d’un vaisseau spatial. Three, two, one… Ejection. Loin de
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Toutes ces robes à cocktail échancrées, rembourrées, absurdes, tous ces sourires figés, égoïstes, concentrés, toutes ces politesses ouatées, caressées, brossées pour obtenir l'approbation des pairs, toutes ces douleurs aux chevilles, aux pieds, aux orteils, ces ampoules grossières, mal soignées pour être plus grande, plus élancée, pour plaire et rivaliser, toutes ces coutures, toutes ces mesures, toutes ces dents, tous ces visages fla-shés, maquillés-recadrés, tous ces selfies entre connasses, toutes ces photos prises par des cons, tous ces verres levés dans des ambiances tamisées, technoisées, david-guettaïsées, pour louer le grand rien, le grand vide des grandes idées, toutes ces indignations branchées, tous ces grands lutteurs du n'importe quoi, du n'importe quand, du toujours et du maintenant et de l'éternité, tous ces engagements de poussières, toutes ces Palestine pleurées, toutes ces paroles baveuses, toutes ces haleines aigres mélangées au champagne et à la clope, tous ces faux-bon-sentiment, toutes ces niaiseries, toutes ces complicités de carton, tous ces ragots, ces raconteurs, tous ces racontages, toute la bassesse de tous les cœurs, toutes les envies, noyées, camouflées, libérées, tous ces faussement vivants, tous ces faussement bien portants, tous ces malades, tous ces déprimés, tous ces xanaxisés... Je vomissais la fête à laquelle je n'étais plus invitée.
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Car l’acide, ce n’est pas comme un feu. Au moins avec le feu, on sait ce que l’on peut éteindre. On sait comment. On sait où chercher. On sait à peu près ce qu’il faut faire. Les bons réflexes à adopter. Mais avec l’acide Le mal se déroule à l’intérieur…
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On pense que le visage avec lequel on naît durera toute la vie. Même si on en est plus ou moins fier, plus ou moins satisfait. (Ne faites pas semblant ! Nous cultivons tous une liste secrète des choses qu’on haït, que l’on essaie de cacher, avec un foulard, du maquillage, en tournant la tête lors des photos, de profil, plutôt de dos, en se cassant la nuque. On se laisse toujours trop contaminer par soi-même.
Moi : mon nez pâteux, mes narines grassouillettes, gonflées et arrondies. Je me disais : « Il n’est pas féminin, ce nez ! » Les mêmes narines que mon père… Le même putain de nez… Comme si on l’avait moulé à l’identique. En me voyant, les amis disaient toujours : « Toi, t’es bien la fille de ton père ! »
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S'en tenir à la surface des choses, c'est plonger à pieds joints dans un piège, celui du désir passager. Mais ce n'est pas tout, ce n'est pas l'essentiel. Peu importe, à vrai dire, que la beauté du cœur soit toujours supérieure, qualitativement supérieure. La vérité, c'est qu'on ne s'entiche jamais d'un laid. Il faudrait nous crever les yeux. On ne peut pas reprocher aux hommes ou aux femmes d'aimer la beauté. D'avoir du goût. Pas plus qu'on ne peut accuser le beau de quoi que ce soit, car c'est bien la seule chose qui n'existe pas à moitié. Qui n'a jamais ressenti un malaise en présence d'un laid, comme s'il risquait de nous contaminer? Moi, plusieurs fois. Être laid, cela se joue à peu, ce n'est pas une affaire de poids, de couleur. C'est dans le visage. Dans le regard. Là, au milieu, au fond... On naît avec. Ou pas. Rien ne l'excuse, mais tout excuse la beauté. Elle peut être injuste. Mesquine. Cruelle parfois. Un peu volage. Infidèle. Moqueuse. Elle a rendu service à tous les beaux que j'ai fréquentés. Y compris à moi. La beauté est permissive, autorise le mépris, le dédain, la légèreté, elle permet d'être désagréable, hautaine, infréquentable, rancunière, excessive, renfermée, débrayée.Elle permet aussi de prononcer ce genre de phrases: "Tu sais, le physique ne fait pas tout. Ce n'est pas grand-chose..." Ou alors, en y croyant à peine : "Je m'en fiche de ta beauté, ce qui compte, c'est ce qu'il y a au-dedans." Oui, de croire, uniquement de croire, que l'on pourrait épouser avec joie, pour le meilleur et pour le pire, Quasimodo ou le premier laideron venu. C'est faux. Ce qui n'est pas beau a tort d'exister, voilà tout. Voilà ce que dit Hugo.Je le sais à présent.
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Victor Dumiot dans l'émission Au Bonheur des Livres, animée par Guillaume Durand, pour présenter son premier roman, Acide (prix Maison Rouge 2023).
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