« Je ne peux pas aller plus loin dans ma lucidité. Dans les autres livres je trichais un petit peu ».M.D.1964.
Duras est « sevrée » pour
écrire l'histoire de Lola Valérie Stein. Sevrée et donc forcément en état de manque permanent.
C'est la peur qui la tient lorsqu'elle commence l'écriture. La peur d'
écrire n'importe quoi. Elle écrit, sans armure, sans anesthésie. Et elle y parvient. Elle y parvient à cette limite de lucidité, à à cette frontière où le basculement peut se produire. Au bord de sa propre falaise. Elle y mènera son écrit en suivant l'histoire de cette femme.
Cette histoire dépasse l'entendement. On ne peut pas entendre l'histoire de Lol. Insupportable pour certains , incompréhensible pour d'autres. Mais Eternelle pour tous.
Lol a vu. Elle a vu
l'amour. C'est dans l' instant que tout va se jouer. le moment où
l'amour qu'elle porte à un homme la quitte parce que cette homme se met à en aimer une autre.
Elle ne souffre pas de cette désaffection. le sourire qu'elle adresse à son fiancé, dans l'instant qui précède la séparation l'indique.
Lola acquiesce. Elle sait que cela ne lui appartient plus. Elle ne peut maîtriser ce qui la dépasse. Elle sourit non pas devant son renoncement mais à cet acquiescement.
Elle laisse aller la valse. Elle ne combat pas. Elle sait son impuissance.
Ce pourrait il qu' 'il y ait chez elle il une « région du sentiment », différente?
Est elle folle, est elle lucide ?
Elle n'est pas dans le désespoir de
l'amour. Elle a vu cet amour la quitter et se porter en une autre,. C'est un éblouissement, une révélation, un état d'extase.
Revoir, revivre donc, « ce temps pur, d'une blancheur d'os ». Voir à en rester « en cendres ». C'est l'enfer post- traumatique.
L'horreur et le bonheur ont en commun la re-souvenance, l'éternité de leur bal.
L'amour ne lui est pas arraché avec violence,
l'amour en se transplantant la transporte hors d'elle même.
Les êtres sont les vecteurs de
l'amour ils n'en sont pas les géniteurs.
L'amour existe, elle l'a vu, elle ne sera jamais plus Lola. « Elle n'est pas Dieu, elle est personne ». Elle est humaine.
L'amour dépersonnifie, dépersonnalise ceux qu'il quitte tout autant que ceux qu'il habite.
L'amour en possédant dépossède.
C'est instant là que Lola a vu et veut revivre. Peu importe les êtres qu'empruntent
l'amour, alors revoir ça. « Elle est née pour le voir. D'autres sont nés pour mourir. »
Dix ans de silence , c'est l'espace qui sépare la révélation de la confirmation. Lola se tait.
L'amour l'a désertée.
Innommable, imprononçable, ce mot. « mot trou », « mot-absence ».
Le temps s'écoule.
Lola s'abstrait.
Lola se tait.
Lola mensonge au yeux du monde.
Lola attend.
Et puis un jour.
« Puis un jour ce corps infirme remue dans le ventre de Dieu ».
Lola est amoureuse de
l'Amour. Elle aime sans raison. C'est la folie de Lola. Aimer
l'amour.
« Je voudrais vous parler une peu du bonheur que j'éprouve à vous aimer ».
C'est ça le ravissement de Lol.
L'amour est Un et non unique. « Je ne vous aime pas et cependant je vous aime ».
C'est ça la folie de Lol : La possible universalité de
l'amour.
L'amour peut se passer de nous, mais nous ne pouvons nous passer de
l'amour.
L'amour est la plus grande des addictions humaines.
L'armure anesthésiante la plus sûre. On ne se sevre pas de
l'amour. Jamais, surtout lorsqu'il a été révélé.
L'amour réunit, n'unit pas. C'est le sens de son partage.
L'amour nous conçoit. Nous pouvons le voir mais nous le concevons pas.
L'abstraction du sentiment.
C'est ce qui pour
Duras rend Lol désirable.
Comment ne pas penser Lol sans penser se perdre et se dissoudre.
C'est là le bout de la jetée. le lieu du basculement, de la transcendance.
La minute de lucidité.
« La réalité de ne se laisse pas exprimer par le langage de l'abstraction. L'abstraction ne peut se rendre maîtresse de la réalité qu'en l'abolissant, mais l'abolir signifie justement la transformer en possibilité».Kierkegaard.
Astrid SHRIQUI GARAIN