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Chère Marguerite,

Me permettras-tu de te tutoyer Marguerite ? Quel joli prénom ! Marguerite, ô Marguerite, j'effeuille ton nom parce que je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout.
Enfant, je te voyais dans les émissions télévisées, je te trouvais austère, intellectuelle brumeuse, imperméable, indécodable. Aujourd'hui que je te relis pour la première fois depuis le lycée, je m'aperçois que certains de ces aspects se retrouvent dans ton livre mais pour autant ils ne m'apparaissent plus aussi négatifs, au contraire tu as ouvert une petite porte dans mon esprit que je croyais fermée.

Pour être honnête avec toi, au départ cette histoire de ravissement ne m'enchantait guère, mais je me devais de la découvrir pour supporter mon fils dans son effort pour te comprendre, lui qui n'a pas le choix de te lire.

J'ai d'abord cru que je ne me trompais pas. Chère Marguerite, ton écriture est ardue, presque étrangère, combien de fois ai-je dû relire certains passages pour en saisir la substance, je ne le sais plus moi-même. Ta poésie semble une bulle de savon suivant les fantaisies d'une brise d'été, virevoltante, imprévisible, arc-en-ciel humide et flamboyant, éphémère qui se meurt dans un plop éclatant de surprises. Mais je le sens Marguerite, tout est travaillé, rien n'est laissé au hasard, c'est même comme ça que tu m'as cueillie.

Non que l'histoire de Lol soit exceptionnelle, mais elle est intentionnellement floue. Car enfin Lol est-elle folle ou bien guérie ? Subjuguante, on voudrait l'atteindre, la posséder même, mais elle reste insaisissable, fuyante, absente. Enlevée à elle-même par la force de la sensualité d'une danse, elle est pourtant bien là, avec nous, raisonnante et rayonnante. Vivante d'amour et d'absolu, elle se cherche et elle nous trouve.

Tu te joues de nous Marguerite, tu casses les codes, judoka des mots tu m'as mise au tapis. Je me connais, j'aurais dû détester ce livre et pourtant… Quelle magie incantatoire as-tu utilisée pour qu'à mon tour, à l'instar du narrateur : “À sa convenance j'inventerais Dieu s'il le fallait.”, je me retrouve fascinée par Lol ? Car j'ai été ravie par “Le Ravissement de Lol V. Stein”, ravie par son mystère, par ses non-sens, ses non-dits mais aussi par sa poésie brute et insaisissable. Cette Lola, est-ce un peu de toi Marguerite ? Mystérieuse et déterminée, peut-être un peu “perchée”.

Je ne suis peut-être guère plus claire que toi Marguerite, je crains de ne pas t'avoir toujours comprise, de n'avoir pas toujours suivi les chemins de traverse que tu as tracés, mais ce qui me reste de ton roman c'est un mystère enivrant et une poésie qui, lorsqu'elle m'a atteinte, m'a ravie. Je ne sais si c'était ton désir, Marguerite, mais je voulais que tu saches qu'à force de mensonges, d'omissions, d'imprécisions, d'abstractions et de douce folie, jamais je n'oublierai Lola Valérie Stein.

De ton effeuillement je garde “à la folie”, merci Marguerite,
Sophie
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Lol V. Stein voit se produire lors d'un bal l'événement qui va la conduire au seuil de la folie. Michael Richardson, son fiancé, tombe amoureux au premier regard d'une autre femme. Un événement qui sur l'instant ne semble pas l'atteindre, ce n'est que par la suite que Lol semble payer " l'étrange omission de sa douleur pendant le bal ", passant par tous les stades de la sidération, des cris assourdissants à la prostration.

Puis, Lol se marie et devient mère de trois enfants. Elle est joyeuse, semble heureuse, on pourrait la dire guérie. C'est à ce moment, qu'après dix ans d'absence, elle vient se réinstaller avec sa famille dans la ville de sa jeunesse, celle du bal, et y retrouve Tatiana Karl, l'amie témoin de l'événement initial.

Dans ce lieu retrouvé, Lol rejoue le passé. Mais inverse les rôles. La femme trompée sera l'autre, son amie, dont elle prend l'amant. Lol passe de l'autre côté du miroir. La fin de l'amour, la minute où l'amour se sépare, dont il ne reste : " que son temps pur, d'une blancheur d'os ", c'est Tatiana qui va la connaître.

Lire Marguerite Duras me subjugue, me transporte. Je lis, relis les mots, les fulgurances, les phrases magnifiques. M'en imprègne. Quelque chose m'impressionne. Quelque chose qui est peut-être en nous comme l'amour, la sensualité, la passion, la folie qu'on reconnaît dans Le Ravissement, qui nous saisit et nous éclaire sur l'amour absolu - l'amour pour l'amour, l'amour dont l'objet serait lui-même.
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En terminant «Le Ravissement de Lol V. Stein» de Marguerite Duras, je ressens comme un soulagement, vraiment un gros soulagement, car ce livre est bien loin de nous offrir une «lecture détente ou plaisir», comme on dit...

C'est vrai que j'ai eu du mal avec ce livre, je l'ai trouvé très inégal. En fait, j'ai terminé ma lecture comme je l'ai commencée : je n'ai rien appris et j'ai l'impression d'être passée à côté de tout, je ne garde rien de cette lecture qu'un sentiment étrange, comme un échec. L'atmosphère malsaine –folie, mensonges, non-dits- m'a énormément pesé également, il est donc très difficile d'entrer dans l'histoire, de comprendre les personnages qui ne se révèlent que très peu tout au long du récit, qui restent distants, ce qui ne nous les rend pas vraiment passionnants et intéressants… le thème de l'amour absolu qui nous hante, nous bouleverse, nous fait souffrir, au-delà d'être troublant, se révèle tout aussi pesant, et je l'ai trouvé trop froidement évoqué ; j'ai eu beaucoup de mal avec cela, ainsi qu'avec l'omniprésence d'un passé qui inhibe et emprisonne l'héroïne…
Marguerite Duras donne l'impression de vouloir se rendre inaccessible, élitiste dans son écriture… et ça fonctionne. J'ai eu beaucoup de mal à suivre certains passages, là ou d'autres sont empreints d'un mystère délicieux, et d'une réelle beauté… Il faut s'arrêter pour les relire et s'en imprégner pleinement, et, bien qu'ils soient assez rares, ils sont les seuls à ne pas m'avoir fait regretter ma lecture.

Je ressors donc de cette lecture à l'image de ce qu'elle est : troublée, frustrée aussi de ne pas avoir tout compris, égarée. Je crois qu'une relecture s'impose, mais pour bien plus tard…
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Dans son excellente biographie, Laure Adler décrit "Le ravissement de Lol V. Stein" comme une oeuvre clé dans la production littéraire de Duras et explique son obsession pour le personnage de Lol V. Stein, qui reviendra ensuite dans plusieurs romans. Il n'en fallait pas plus pour me donner envie de le lire et je viens de profiter des rééditions célébrant le centenaire de la naissance de Marguerite Duras pour me le procurer.

Dans une Amérique un peu floue, l'histoire repose sur le bal du Casino municipal de T. Beach où la jeune Lola Valérie Stein se fait ravir son amoureux, le beau Michael Richardson, par une femme d'âge mûr : Anne-Marie Stretter. Comme envouté, il danse toute la nuit avec elle, sous les yeux de sa fiancée Lol V. Stein et de son amie du collège, Tatiana Karl.

Le "ravissement" symbolise à la fois le rapt de l'amoureux et l'hébétude de Lol devant cet événement qui la rend malade, d'abord prostrée, puis indifférente. Jean Bedford fait d'elle sa femme en sachant cela et l'emmène loin de S. Tahla. Il est prêt à assumer son comportement bizarre et semble ne l'en aimer que davantage. Avec ce mari musicien, trois enfants, une maison et un jardin impeccablement entretenus, la folie de Lol se cache pendant 10 ans sous une apparence de normalité.

Quand ils reviennent s'installer à S. Tahla après la mort des parents de Lol, celle-ci y retrouvre Tatiana Karl et le traumatisme du bal refait surface. Une douleur sur laquelle elle n'arrive pas à mettre un mot : « un mot-absence, un mot-trou », « le chien mort de la plage en plein midi ».

Chacun cherche alors à revivre cet épisode encore et encore, comme si l'on pouvait changer le passé. Employant une narration déstructurée, Duras reconstitue le parcours de Lol V. Stein sous les mots d'un autre : Jacques Hold, l'amant de Tatiana Karl, fasciné par Lol. Les tournures elliptiques, les phrases hachées qu'il faut parfois relire 2 fois pour comprendre, montrent l'impuissance du langage ordinaire à décrire un état mental ou à s'approcher de la vérité personnelle de chacun.

C'est un curieux roman : j'ai éprouvé à sa lecture une impression de malaise, à cause du style et de la folie larvée, du mélange d'amour et de voyeurisme. Et en même temps, j'admire la clairvoyance d'une analyse psychologique qui ne dit pas son nom et la justesse du ressenti des émotions. Ce récit a été écrit il y a 50 ans, il aurait pu l'être hier. L'indifférence de Lol ne peut laisser le lecteur indifférent.
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J'ai lu plusieurs livres d'elle, je ne connais pas bien son œuvre mais Marguerite Duras me fascine. Sa personnalité, son talent, une écriture atypique, pas forcément facile à aborder. Quand elle parle, je me sens pourtant si proche d'elle, tout semble fluide. Je sais qu'elle agace, je sais qu'elle fascine. Je pense que je ressens un peu tout cela puisque je me sens proche d'elle. J'aime son écriture qui lui ressemble. Ici l'écriture est magnifique, poétique, emporte...
Le ravissement de Lol V. Stein m'attendait. J'avais peur d'y entrer, peur de passer à côté de l'essentiel, je voulais le vivre comme une nouvelle expérience de lecture, j'avais peur pour cela, parce que c'est un récit totalement emblématique de son œuvre, difficile d'accès, je le savais, je savais tout cela et en même temps je voulais y entrer avec mes propres clefs, allégé de tout ce qui avait pu être dit ou écrit sur l'ouvrage, que ce soit par l'auteure elle-même ou par d'autres personnes, des critiques, des journalistes. Cependant, une référence à ce texte avait jusqu'alors plus particulièrement retenu mon attention, celle de Laure Adler lors d'une émission de radio sur France Inter, elle exprimait sa fascination pour ce récit...
Le titre déjà invite comme à un mystère, une énigme à résoudre, il y a tout d'abord ce mot à double sens, - ravissement - , j'avoue n'y avoir pas fait attention tout au début du roman. Je me demandais d'ailleurs tout au fil des pages : pourquoi ce titre ? C'est plus tard que cela m'est venu, à un moment précis, au milieu du roman, comme une révélation ; perdue au bord de la nuit Lol V. Stein observant depuis un champ de seigle la fenêtre éclairée de la chambre d'un hôtel où deux amants font l'amour... Lorsque j'ai compris que Lol V. Stein, dans sa folie amoureuse, non encore accomplie à ce stade, vivait dans sa trajectoire une extase quasiment au sens religieux du terme.
Et puis ce titre évoque quelqu'un dont on voudrait cacher l'identité tout en dévoilant un peu qui elle est, c'est un peu comme un jeu de piste. Il nous faut alors reconstituer sa trace, son chemin.
Il y a ici l'écriture sublime de Marguerite Duras, elle est faite de respirations, de silences, de vides aussi. C'est une écriture, me semble-t-il, qui permet de solliciter le lecteur dans ces vides. Lui permet d'exister en quelque sorte. Car le vide invite à être comblé. C'est comme une loi naturelle. Il faut le combler de mots, de paroles, d'imagination peut-être. Inventer à notre tour. J'aime Marguerite Duras pour cela. Elle a son langage, elle apporte une parole. Ce style, son style, ce n'est pas qu'un effet de style. Il sert le récit, le porte.
L'histoire de Lol V. Stein, qui s'appelle en réalité Lola Valérie Stein, débute lors d'un bal dans une station balnéaire d'Angleterre, T. Beach, où elle se rend avec son fiancé Michaël Ridcharson. La scène qui débute est forte et va écrire, figer tout le reste de l'histoire de Lol V. Stein. Lors de ce bal, elle assiste impuissante au désastre de son amour, c'est un spectacle inouï qui la sidère, la foudroie, la détruit, en même temps la fait entrer déjà dans cette sorte de ravissement : l'invitation pour une danse de son fiancé avec une femme plus âgée que lui, une femme inconnue, nommée Anne-Marie Stretter, ils vont s'éprendre dans cette danse jusqu'à l'aube, sous le regard figé de Lol V. Stein qui assiste à ce coup de foudre, à cet amour naissant, auprès de son amie Tatiana Karl, toutes deux dissimulées derrière les plantes vertes de la salle de bal.
Il est possible d'être hermétique à l’œuvre de Marguerite Duras. Il est possible de ne jamais lire ce roman tout en aimant d'autres livres de Marguerite Duras. Il est possible de l'abandonner en cours de route, il est possible de le fuir. Il est possible de l'aimer aussi, comme un ravissement.
J'y ai découvert une narration, contre toute attente. Certes Marguerite Duras casse les codes narratifs traditionnels, tous les repères auxquels le lecteur est habitué à rencontrer et à s'accrocher comme une bouée lorsqu'il perd pied sont ici abolis, elle les piétine et nous égare dans les variations des personnages, les sautes d'humeur de la conjugaison, les mensonges peut-être. Je trouve cela d'une modernité formidable. L'écriture est une promenade intérieure. Pourtant, il y a ici un cheminement, une intrigue. Un dénouement. Mais tout se joue dans la psychologie des personnages et principalement celle de Lol V. Stein.
Dans le récit, il y a cette pause de dix ans où Lol V. Stein est une épouse et mère exemplaire de trois enfants. C'est une parenthèse. Un désert où rien ne se passe. Durant ces dix ans, elle a porté en elle cet événement du bal, elle l'a porté comme quelque chose qui fait désormais partie d'elle, presque comme un enfant. Elle le porte comme quelque chose de vivant, qui a muri, et en même temps elle le porte comme une tragédie. Comment oublier ?
Brusquement, au bout de ces dix ans, une rencontre va donner sens à la folie amoureuse de Lol V. Stein qui perdure.
C'est une lecture qui m'invite à y revenir, revenir à ce livre, le relire, revenir aux personnages. J'ai l'impression d'avoir laissé des choses derrière moi. Au fur et à mesure que j'écris cette chronique, je trébuche sur mes mots, je voudrais revenir au texte initial. Jamais l'écriture d'une chronique ne m'avait autant donné envie de revenir au texte, de le relire. N'avez-vous jamais senti ce sentiment étrange, revenir sur vos pas ?
Alors, je me suis laissé porter, emporter, par le rythme, vers le ravissement, vers ce changement d'état de l'être, vers ce transport de l'âme hors d'elle-même qui conduit à l'extase.
Lol V. Stein incarne une forme de vide sidéral, terrifiant. Elle avance à chaque instant au bord de ce vide, portant jusqu'au bout cette folie amoureuse. Sans doute est-elle morte, broyée, détruite, dix ans auparavant, lors de ce fameux bal. Et pourtant elle se réveille dix ans plus tard, à la faveur d'une rencontre...
C'est alors que l'extase s'incarnera...
Sans doute est-elle un fantôme... Sans doute renaît-elle parce que j'existe, moi lecteur égaré dans ce récit, je lui donne une existence, une renaissance, un rebond, un sursaut, dans ce vide où l'auteure m'invite aussi à m'inscrire dans ce parcours. Il y a des manques, des vides où brusquement, écartant les mensonges, mettant mes pas dans les mots de l'auteur, j'existe.
Il y a des des femmes jalouses, rivales, qui s'effleurent comme contemplant une ultime fois l’effondrement de leur vie, Lov V. Stein et Tatiana Karl s'aimant d'une amitié ambiguë, d'un amour idéal jamais imaginé sauf par nous-mêmes peut-être... Elles s'aiment forcément et passent à côté de cela.
Trois femmes, trois hommes... J'aurais voulu vous parler aussi des hommes de cette histoire, il faudrait en parler, ils n'ont pas la part belle, animés par le désir. Ils paraissent si insignifiants même si Marguerite Duras offre la narration du récit à un homme. Est-ce un roman féministe ? Pourquoi pas ?
L'écriture de Marguerite Duras est peut-être militante.
Le texte est riche, immense, inépuisable, je m'en rends compte au moment où je vous écris. C'est un grand livre qui parle d'amour. Il faudrait que je le relise une ou deux fois encore.
Et dire que ce texte date de plus de cinquante ans !
Immensément moderne, transgressif, subversif... Ébouriffant de le lire, le découvrir dans notre période qui devient complètement aseptisée, normée ; Marguerite Duras, vous nous manquez !
Pour moi, c'est à ce jour le plus beau livre que j'ai lu de cette auteure.
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Lol V. Stein, Lola Valérie Stein, regarde son fiancé, Michael Richardson, danser avec Mme Stettler. Celui qu'elle doit épouser dans quelques semaines part avec cette femme à la fin du bal sous son oeil désabusé. La passion qu'elle éprouvait pour lui s'est aussitôt éteinte dès qu'elle a compris le drame qui allait se dérouler sous ses yeux. Mais Lol aime plus le malheur que le bonheur. Elle est irrésistiblement attirée par cette dépression qui envahit son esprit et l'anéantie. le désespoir est sa drogue… Un roman étourdissant...
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Ecrit en 1963 et publié en 1964, ce roman est un des plus emblématique de Marguerite Duras, considéré comme l'un de ses plus importants parmi de nombreux spécialistes, et auquel elle reviendra régulièrement, en faisant revenir le personnages principal, en particulier dans ce qu'on appelle le « cycle indien ». Envisagé dans un premier temps comme une pièce de théâtre, destinée à Peter Brook ; la trame du récit va donner lieu à d'autres tentatives, en particulier de scénarii qui ne vont jamais aboutir.

Evidemment comme souvent avec Duras, résumer le livre relève de l'exploit, c'est déjà forcément une interprétation. Lola Valérie Stein est fiancée à Michael Richardson. Mais ce dernier est saisi lors d'un bal, par la vision d'une femme, Anne-Marie Stretter. Il quitte Lol pour la suivre dans l'instant. Lol s'effondre psychiquement. Elle rencontre par la suite Jean Bedford qui elle va épouser, aller vivre ailleurs, avoir trois enfants. Revenue dans sa ville natale de S. Tahla, elle voit par hasard son amie d'enfance Tatiana avec un homme, Jacques Hold. Elle va s'attacher au couple, et Jacques va en tomber amoureux. Une étrange relation en trio va s'installer.

Une trame très mince, avec peu d'événements, et surtout très peu d'événements certains. Ce qui rend ce récit-là encore plus incertain, c'est qu'il est fait par un narrateur, Jacques Hold, qui lui-même n'a que peu de certitudes sur ce qui s'est passé : « Voici, tout au long, mêlés, à la fois, ce faux-semblant que raconte Tatiana Karl et ce que j'invente sur la nuit du Casino de T. Beach. A partir de quoi je raconterai mon histoire de Lol V Stein. » En se basant sur le récit qu'il considère comme peu fiable de sa maîtresse, Jacques Hold revendique d'inventer pour raconter son histoire de Lol. Au final, on peut considérer que c'est ce que fait un écrivain, à partir de tel ou tel élément, dont la véridicité n'a rien de certain, il construit un récit, des personnages, entretient des liens particuliers avec eux, comme Jacques Hold avec Lol, qui l'a ravi. Tenter avec les mots approcher l'intime d'une personnage, sans n'arriver qu'à une fiction, qui fait sens pour la personne qui la raconte. Donner des mots à quelqu'un qui n'en a pas, et c'est très fortement le cas de Lol dans ce livre, c'est forcément inventer, on peut se demander si ce n'est pas forcément mentir. La parole fige, donne une interprétation définitive, alors qu'elle n'est pas à même de saisir tout l'intime d'un personnage. C'est un autre qui parle à la place de Lol qui n'a pas de mots, Jacques Hold ou Marguerite Duras. Qui d'ailleurs dans ses interviews soutenait qu'elle ne comprenait pas Lol, qu'elle lui échappait.

Tout est incertain chez Lol : la folie, et de quelle sorte, la nature de ses sentiments, de ses ressentis. C'est un peu comme si elle n'en avait pas, et que l'absence de l'expression de sa douleur après l'abandon de Michael Richardson, l'enfermait dans l'instant dans lequel son regard s'est posé sur le couple qu'il formait avec Anne-Marie Stretter. Et qu'elle va tenter de retrouver cet instant en regardant Tatiana et Jacques Hold. Ce qui la pousse à une sorte de voyeurisme, elle n'existe que par le regard qu'elle porte sur le couple. Ce qui rend les choses plus complexes, est que Jacques à partir d'un certain moment sait que ce regard existe, et que sa relation avec Tatiana est modifiée par ce regard qu'il sait présent, et que probablement Tatiana en pressent quelque chose.

Objet étrange et fascinant, dont on ressort frustré, devant tout ce qui nous échappe, mais en même temps étrangement heureux, d'avoir essayé, tenté, c'est sans conteste une des plus grandes réussites de Marguerite Duras.
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« Je ne vous aime pas cependant je vous aime, vous me comprenez. »

Quelle découverte que ce roman. J'aime Marguerite Duras, elle m'embarque à chaque fois dans un univers où je ne suis sûre ...de rien. Je n'arrivais pas à savoir comment cette histoire allait se terminer. Jusqu'à la dernière ligne je tanguais.
Rencontrer Lola Valérie Stein doit être comme rencontrer un être par son ombre. « Elle qui ne se voit pas, on la voit ainsi, dans les autres. C'est là la toute-puissance de cette matière dont elle est faite, sans port d'attache singulier. » On ne voit rien d'elle car elle n'est pas présente dans ce même temps que vous. Elle ne vit que pour la tombée du soir, attendant l'aube, le moment où les amants se détournent vers un ailleurs. Elle aime l'amour qui l'a détruite à cet instant précis où il disparaît de son regard, mais pas complètement disparu.

« Elle voit, et c'est là sa pensée véritable à la même place, dans cette fin, toujours, au centre d'une triangulation dont l'aurore et eux deux sont les termes éternels : elle vient d'apercevoir cette aurore alors qu'eux ne l'ont pas encore remarquée. Elle, sait, eux pas encore. »

Elle recherche depuis des années cet amour qui lui appartient parce qu'il est propriété d'un autre couple. Une approche du voyeurisme qui n'a rien de commun avec ce que je pouvais imaginer. Lol est donc en attente et va découvrir le narrateur, amant de Tatiana, qui « n'est entier que dans un lit d'hôtel. » Entre eux, une danse commence, ou plutôt recommence comme au bal de T. Beach, des années plus tôt. Elle l'enlève dans l'extase.

Quel ravissement..!
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« Je ne peux pas aller plus loin dans ma lucidité. Dans les autres livres je trichais un petit peu ».M.D.1964.

Duras est « sevrée » pour écrire l'histoire de Lola Valérie Stein. Sevrée et donc forcément en état de manque permanent.

C'est la peur qui la tient lorsqu'elle commence l'écriture. La peur d'écrire n'importe quoi. Elle écrit, sans armure, sans anesthésie. Et elle y parvient. Elle y parvient à cette limite de lucidité, à à cette frontière où le basculement peut se produire. Au bord de sa propre falaise. Elle y mènera son écrit en suivant l'histoire de cette femme.

Cette histoire dépasse l'entendement. On ne peut pas entendre l'histoire de Lol. Insupportable pour certains , incompréhensible pour d'autres. Mais Eternelle pour tous.

Lol a vu. Elle a vu l'amour. C'est dans l' instant que tout va se jouer. le moment où l'amour qu'elle porte à un homme la quitte parce que cette homme se met à en aimer une autre.

Elle ne souffre pas de cette désaffection. le sourire qu'elle adresse à son fiancé, dans l'instant qui précède la séparation l'indique.
Lola acquiesce. Elle sait que cela ne lui appartient plus. Elle ne peut maîtriser ce qui la dépasse. Elle sourit non pas devant son renoncement mais à cet acquiescement.
Elle laisse aller la valse. Elle ne combat pas. Elle sait son impuissance.

Ce pourrait il qu' 'il y ait chez elle il une « région du sentiment », différente?
Est elle folle, est elle lucide ?

Elle n'est pas dans le désespoir de l'amour. Elle a vu cet amour la quitter et se porter en une autre,. C'est un éblouissement, une révélation, un état d'extase.

Revoir, revivre donc, « ce temps pur, d'une blancheur d'os ». Voir à en rester « en cendres ». C'est l'enfer post- traumatique.
L'horreur et le bonheur ont en commun la re-souvenance, l'éternité de leur bal.

L'amour ne lui est pas arraché avec violence, l'amour en se transplantant la transporte hors d'elle même.
Les êtres sont les vecteurs de l'amour ils n'en sont pas les géniteurs.
L'amour existe, elle l'a vu, elle ne sera jamais plus Lola. « Elle n'est pas Dieu, elle est personne ». Elle est humaine.

L'amour dépersonnifie, dépersonnalise ceux qu'il quitte tout autant que ceux qu'il habite.
L'amour en possédant dépossède.

C'est instant là que Lola a vu et veut revivre. Peu importe les êtres qu'empruntent l'amour, alors revoir ça. « Elle est née pour le voir. D'autres sont nés pour mourir. »

Dix ans de silence , c'est l'espace qui sépare la révélation de la confirmation. Lola se tait. L'amour l'a désertée.
Innommable, imprononçable, ce mot. « mot trou », « mot-absence ».
Le temps s'écoule.
Lola s'abstrait.
Lola se tait.
Lola mensonge au yeux du monde.
Lola attend.
Et puis un jour.
« Puis un jour ce corps infirme remue dans le ventre de Dieu ».

Lola est amoureuse de l'Amour. Elle aime sans raison. C'est la folie de Lola. Aimer l'amour.

« Je voudrais vous parler une peu du bonheur que j'éprouve à vous aimer ».

C'est ça le ravissement de Lol. L'amour est Un et non unique. « Je ne vous aime pas et cependant je vous aime ».

C'est ça la folie de Lol : La possible universalité de l'amour.
L'amour peut se passer de nous, mais nous ne pouvons nous passer de l'amour.
L'amour est la plus grande des addictions humaines.
L'armure anesthésiante la plus sûre. On ne se sevre pas de l'amour. Jamais, surtout lorsqu'il a été révélé.
L'amour réunit, n'unit pas. C'est le sens de son partage. L'amour nous conçoit. Nous pouvons le voir mais nous le concevons pas.

L'abstraction du sentiment.
C'est ce qui pour Duras rend Lol désirable.
Comment ne pas penser Lol sans penser se perdre et se dissoudre.
C'est là le bout de la jetée. le lieu du basculement, de la transcendance.
La minute de lucidité.

« La réalité de ne se laisse pas exprimer par le langage de l'abstraction. L'abstraction ne peut se rendre maîtresse de la réalité qu'en l'abolissant, mais l'abolir signifie justement la transformer en possibilité».Kierkegaard.

Astrid SHRIQUI GARAIN
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Toujours cette langue étrange, disjonctée, initiatrice d'une atmosphère faite de langueur et de sensualité : l'écriture subtile de Marguerite Duras.

Toujours l'amour, l'amour difficile, cru et à la fois fantasque de galanterie, amour impossible mais si profondément vécu et ressenti.

Toujours cette chair si palpable alors que les corps ne font que s'effleurer.

Du Marguerite Duras en plein, à ne pas s'y tromper. Cela me séduit-il autant que lorsque j'avais vingt ans ? Assurément.

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