Les hommes ont le pouvoir de nommer, un pouvoir immense et sublime. Ce pouvoir de nommer permet aux hommes de définir l'ensemble du champ de l'expérience, de déterminer limites et valeurs, d'assigner à chaque chose son domaine et ses attributs, de décider ce qui peut et ne peut pas être exprimé, de contrôler jusqu'à la perception [...]. La suprématie masculine est fusionnée au langage, de sorte que chaque phrase la proclame et la renforce. La pensée, d'abord vécue comme langage, est imprégnée des valeurs linguistiques et perceptives créées expressément afin de subordonner les femmes. Les hommes ont défini les paramètres de chaque sujet.
Bien des gens nous ont invitées à convenir que les femmes font des progrès, à cause de notre présence visible dans ces lieux où nous n'étions pas auparavant. Et celles d'entre nous que l'on dénonce comme radicales avons répondu : "Ce n'est pas comme cela que nous mesurons le progrès. Nous comptons les viols. Nous comptons les femmes agressées par leur mari. Nous tenons le compte des enfants violés par leurs pères. Nous comptons les mortes. Et quand ces statistiques commenceront à changer de façon significative, alors nous vous dirons si l'on peut ou non mesurer des progrès.
Les différentes avancées du féminisme - pour lesquelles, soit dit en passant, on ne nous remercie pas souvent (ce pourquoi nous sommes si promptes à revendiquer tout ce que nous pouvons) - ont toujours été réalisées sinon avec la plus grande politesse, du moins avec une grande patience et une retenue extraordinaires, en ce sens que nous n'avons pas utilisé d'armes à feu.
Aucune transcendance du système masculin n'est possible tant que les hommes ont le pouvoir de nommer. Leurs noms résonnent en tout lieu habité. Comme Prométhée a volé le feu aux dieux, les féministes vont devoir voler aux hommes le pouvoir de nommer, pour en faire, espère-t-on, un meilleur usage.
La féministe est la femme qui est là non parce qu'elle est l'épouse de l'homme, mais parce qu'elle est la sœur de la femme contre qui l'homme agit comme une arme.
Dans le webinaire trimestriel de notre revue Prostitution et Société, Harmony Devillard nous parle du premier livre de la féministe radicale états-unienne Andrea Dworkin : Woman Hating, de la misogynie. Harmony a co-traduit avec Camille Chaplain cet ouvrage magistral écrit en 1974. Où l'on apprend qu'en ce qui concerne les femmes, contes de fées et pornographie racontent la même histoire : une femme bonne, c'est une femme morte...