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J'adore la politique du petit éditeur Callidor de sortir de l'oubli des oeuvres fantasy méconnues ou inconnues, initialement parues à une époque où le mot fantasy n'existait pas encore... Ici, il s'attaque à un gros morceau avec "Le Serpent Ouroboros" d'Eric Rücker Eddison publié dans la langue de Shakespeare en 1922 et mis sur un piédestal par des auteurs tels que H.P. Lovecraft, Fritz Leiber, J.R.R. Tolkien, C.S. Lewis, L. Sprague de Camp, Ursula K. le Guin, Robert Silverberg, Neil Gaiman, Mary Gentle, Ellen Kushner... Nous sommes sur Mercure divisés en royaumes médiévaux-fantastiques, gastes terres et terres de légende. Les Sorciers de Sorcerie, dont l'emblème est le crabe, veulent devenir les maîtres du monde, mais ils trouvent à qui parler avec les Démons de Démonie, dont l'emblème est l'hippogriffe. Bien évidemment, les premiers essaient de faire passer les deuxièmes pour un Rogue State (stratégie vieille comme le monde, encore utilisé actuellement par les prétendus « gendarmes du monde » et autres « leaders du monde libre »). Mais on ne démarre pas au premier épisode de leur rivalité, puisqu'on nous raconte que lors de la croisade contre les Goules les Sorciers ont fuit le champ de bataille final en laissant à leurs rivaux Démons le soin de subir l'essentiel des combats donc des pertes. le roi Goricé XI s'en prend donc à une Démonie à l'armée et aux défenses affaiblies et provoque ses rivaux pour lui fournir le prétexte qu'il souhaite à une guerre qu'il est sûr de gagner... Sauf que les Démons retourne la provocation contre lui, et l'arroseur se retrouve arrosé quand on le somme de prouver sa valeur dans un duel de force, un combat de lutte entre lui et Goldry Bluszco le champion de Démonie... Et malgré moult fourberies dans et en dehors du combat, la Démonie finit une fois de plus à l'emporter sur la Sorcerie. Sauf que tout est à refaire, puisque comme les Seigneurs du Temps de Gallifrey le roi Goricé possède 12 vies, qu'à chaque mort il renaît avec ses souvenirs intacts mais une nouvelle personnalité, et qu'une prophétie dit que sa 12e incarnation parviendra enfin à assouvir ses ambitions... Si Goricé X était un maître de l'épée, et Goricé XI un maître de la lutte, Goricé XII est lui un maître en sorcellerie, plus intelligent et plus rusé que Goricé VII tué par ses propres invocations démoniaques... le nouveau souverain lâche les forces de la nuit sur ses ennemis, et Goldry Bluszco est emporté par un démon : le roi Juss et ses alliés partent alors en quête de leur ami, ce qui les amène dans les griffes de Sorcerie avant de les amener au bout du monde, au delà de la Moruna, au sommet de la Koshtra Belorn qui marque la frontière avec l'inconnu... Nous sommes face à un texte fondateur de la High Fantasy, qui mélange épopée chevaleresque, chanson de geste, et intrigues de cours. Mais on est aussi d'abord et surtout dans la Fantasy Optimates, donc malgré les qualités du texte et la beauté de son style j'ai tiqué à plusieurs reprises et j'ai fini pas lire en diagonale : - Gro le gobelin apatride, âme damnée des rois Goricé, est le personnage le plus ambivalent donc peut-être le plus intéressant mais il porte sur lui tous les clichés antisémites d'un époque qu'on espère définitivement révolue - On est dans un soap nobiliaire écrit à une époque où les préjugés de castes sont encore vivaces, en s'inspirant entièrement de récits aristocratiques écrits à une époque où les préjugés de castes étaient force de loi... Donc on a une galerie de personnages qui sont plus dans le paraître que dans l'être (ce qui n'est pas forcément gênant, tant on peut retrouver les sensations du jdr "Pendragon"), mais surtout qui se fichent éperdument de ceux qui ne sont pas de leur rang, et on meurt en masse en leur nom dans leur plus parfaite indifférence... Faut pas s'étonner après cela des boucheries des guerres mondiales ! Le pompom c'est le destin de Mivarsch… le lutin guide le roi Juss et le champion Brandoch Daha a travers les gastes terres vers la Koshtra Belorn (remember Frodo, Sam, Gollum, le Marais des Morts et le Mordor), et quand ils tombent face à une Manticore c'est lui qui les arrache aux griffes de la mort en faisant preuve d'une héroïsme qui n'aurait jamais dû être sien. Et pourtant en tentant d'échapper au sort qui lui avait été prédit, il meurt comme une merde et les deux personnages donc l'auteur en ont rien à secouer ! C'est un roturier, c'est un manant, c'est un vilain donc sa mort ne compte pas... Soupirs - Les défauts de narration... L'auteur introduit le récit en nous le faisant voir par les yeux du petit bourgeois anglais Lessingham transporté sur Mercure par une puissance invisible, et ce narrateur disparaît sans crier gare dès le chapitre 2... Dans le chapitre 7 déboule de nulle part le chevalier errant de Koboldie La Férize qui combat les méchants et délivre les gentils avant de repartir vers nulle part : dans le genre grosse ficelle et deus ex machina il se pose bien, et on est encore au début de l'histoire... Je n'ai rien compris à l'histoire des généraux fantômes des collines de Salapante, je n'ai rien compris à l'histoire de la châtelaine vampire, et je ne pas compris pourquoi les Démons retrouvaient leurs vieux ennemis de Sorcerie au milieu de nulle part et pourquoi après combats, tractations, négociations, tentatives de trahison et grands dialogues shakespearienne le roi et son champion prenaient la poudre d'escampette en plein milieu de la bataille pour laisser leurs compagnons d'armes en plan pour ne pas dire en fort mauvaise posture (et on n'entendra plus parler des uns et des autres par la suite : malédiction de l'auteur jardinier plus préoccupé de développer son style de de raconter son histoire ?)... ça et les rêves, et les augures et les prophéties qui servent systématiquement d'éléments déclencheurs... - le style... C'est une question de goûts et de couleurs, mais aussi de dosage : pas assez et c'est insipide, trop et c'est indigeste ! L'auteur s'éclate avec des poèmes shakespeariens, des scènes tirées du théâtre élisabéthain, des incipits en vieil anglais tiré de la littérature jacobéenne et des descriptions balzaco-proustiennes truffés de mots rares qui obligent à prendre un dictionnaire (et que celui qui sait ce que sont des cymophanes me jette la première pierre). C'est littérairement et intellectuellement brillant, ces enchaînements d'exercices stylistiques de haute volée, d'autant plus que c'est traduit par l'immense Patrick Marcel qui s'éclate également. Au début c'est capiteux, mais passé un cap c'est saoulant car cela devient d'autant plus mécanique qu'on voit bien que l'auteur ne met pas la même résolution à bien construire et raconter son histoire... « Il alla se coucher (insérez une description qui n'en finit plus truffée de mots rares). Il fit un rêve (insérez une description qui n'en finit plus truffée de mots rares). Quand le rêve pris fin le soleil se leva (insérez une description qui n'en finit plus truffée de mots rares), et il jeta un regard sur de son balcon (insérez une description qui n'en finit plus truffée de mots rares). » Et ainsi de suite... Pour moi cette lecture a été plus intéressante que plaisante, car j'y vu les prémisses de Sauron, du Mordor et de la Montagne du Destin chez J.R.R. Tolkien, la rivalité entre la Démonie et la Sorcerie annonce la rivalité entre Melniboné et Pang Tang chez Michael Moorcock, le soap nobiliaire deviendra sous la plume de Roger Zelazny le Dallas Fantasy, et caetera... (liste à compléter au fur et mesure de mon exploration des genres de l'imaginaire, quête sans fin que je vous léguerais un jour amis lecteurs et amies lectrices) En Fantasy on voit bien, voire de plus en plus, la ligne de fracture entre Optimates qui voient dans les origines de la Fantasy classiques anciens, haute littérature et jongleurs de mots, et Populares qui voient dans les origines de la Fantasy récits populaires intemporels, romans-feuilletons et conteurs de bonnes histoires. Dans "The Evolution of Modern Fantasy: From Antiquarianism to the Ballantine Adult Fantasy Series", Jamie Williamson reprend l'Histoire de la Fantasy telle qu'on peut la retrouver dans à peu près tous les MOOC du monde, sauf qu'il sème plein de petits cailloux blancs pour aboutir à la conclusion que les commissaires littéraires ont sciemment ignoré tous les évolutions apportées au genre par les médias autres que la littérature, ce qui n'a absolument aucun sens à partir du XXe siècle, et qu'au sein de la littérature ils ont sciemment ignoré tout ce qui ne trouvait pas grâce à leurs yeux, à savoir tous les auteurs qui n'ont pas la carte et pas la côte parce qu'ils n'appartiennent pas aux milieux sociaux autorisés ou parce qu'ils n'ont pas les diplômes qu'il faut en littérature moderne... Sa collection de citations est autant croustillante que révélatrice d'une mentalité affreusement élitiste, qu' elle soit consciente ou inconsciente, du coup je ne reprend que celle de Katherine Kurtz : « "Le Cycle des Épées" de Fritz Leiber est très mauvais, la preuve en est que Fahrd et le Souricier ne sont mêmes pas fichus de s'exprimer correctement, comme le font les personnages de Shakespeare »... Mais bien sûr, dans un monde médiéval fantastique le bas peuple, les truands et les soudards seraient obligés de s'exprimer en vers pour satisfaire les caprices des commissaires littéraires : je serais mort de rire si ce n'était pas aussi pathétique ! Toujours finir par une note positive : retenez bien le nom de l'illustratrice Emily C. Martin, un grand destin l'attend tant ses dessins sont du bonbon pour les yeux... Elle a tout compris à la Fantasy, et si Arthur Rackham et Barry Windor Smith se seraient associés pour officier ici, pas sûr qu'ils auraient fait mieux !!! Challenge défis de l'imaginaire (SFFF) 2018 + Lire la suite |