AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782903669089
202 pages
Persona (01/01/1982)
3.87/5   15 notes
Résumé :
Premier roman, paru en 1899, où un auteur, Georges Eekhoud, dans la fausse « calme Belgique », s’emploie à parler ouvertement de l’amour socratique – et son héros entend bien « demeurer jusqu’au bout fidèle à sa nature, juste, légitime ». Cela lui vaudra d’être déféré à la Cour de Bruges où, avec le soutien de nombre d’écrivains français et belges, il sera néanmoins acquitté.
Que lire après Escal-VigorVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Lexicalement méticuleux et inclinant à la plaisance du mot très exact, ce roman belge parvint à remplir mes fiches de vocabulaire à un rythme élevé, les abondant parfois en un quart d'heure : c'est qu'il faut, pour la conscience diligente d'un auteur savant, un lecteur réciproque qui, philologue et ne renonçant jamais, n'abandonne à nul hasard la compréhension d'un texte que l'écriture ne négligea à nulle approximation. C'est, quand on veut avec professionnalisme ne laisser échapper aucun terme inconnu quoique on en devine le sens, un labeur méthodique et systématique de nature à facilement épuiser ce qu'on sait des maigres et fatigables ressources d'un normal Contemporain.
… « Viveur de bas étage, il cachait, sous une rondeur de surface, et un bagout bongarçonnier, une âme rapace et trigaude. Ses façons scurriles, ses sorties peuples et pimentées…) (page 540)
Quelque chose de lointain et de las, d'intempestif et de maladif, de désespérément blasé et de languissamment valétudinaire, comme une tour claquemurant sur une haute falaise parmi les brouillards pâles et les embruns glacés, émane de ce récit de château noble sis sur une terre de serfs prosaïques et dégénérés. Henry de Kehlmark est un être fin-de-race, au sang livide et à la tête si paroxyste, en une anachronique survivance de monde à la fois ému et rance. Hoir de sensations passées dont l'écho de fragile éther vibre en quelque esprit malingre, vestige de nerfs impressionnables opposés à l'exiguïté de la face humaine, indisposable de symboles purs dont il vit et comme névrosé de tant de solitudes recherchées, obsolescent au point d'être à demi chimérique, délicat à la délitescence en dépit d'un corps galbeux, désuet jusqu'à la conscience de la terminaison d'un règne, ce comte ruiné, retiré du monde lui -même en ruine, fuit et quête simultanément à l'abri, – son homosexualité.
Escal-Vigor, au titre magnifique d'évocations et de couleurs et qui vaut certes beaucoup mieux que son original Comte de la Digue, est l'expression d'une volonté suprêmement sensible de traduire la légitimation des amours invertis dont son auteur était la tendre victime, consentant autant que pourchassé (l'État belge le poursuivit pour ce livre pourtant édité en France). Là se dessine la dichotomie de ce qui préexiste à soi contre ce qui préexiste en soi ; je veux ainsi signifier que la tradition implacable des successions humaines s'oppose à l'essence spirituelle des inclinations ; l'image simplificatrice et inique, si terrestre, superficielle et dogmatique, des élans virils proscrits, broie de son préjugé si vulgairement exhibitrice la grâce subtile des bontés platoniques, composées, raffinées, où c'est la nature supérieurement sympathique qui appelle à de profondes communions d'âmes. Sise à quelque milieu approximatif de ces pôles, l'influence comme gravitationnelle de l'hérédité joint difficultueusement, en l'être, ce qu'il est lui-même et ce qu'il se sent devoir à ce qui le précède. En Henry germe la synthèse, mais déséquilibrée, instable et insalubre, du tabou immanent de siècles réglés et de générations superposées, et de l'aboutissement d'un individu d'inaltérable et autonome transcendance : il est un produit et un progrès, créature et créateur, résultat et apostat. L'interdit lui confine au complexe, et sa liberté figure en refoulé et en latence, comme un nerf mal cautérisé : ce qui le démange souterrainement est ce qui physiologiquement n'est pas censé se ramifier. Et voici comment sourd sans gésir en paix l'intrinsèque frustration d'un être suprêmement artiste dont la haute finesse doit s'aliéner la sociabilité du vrai s'il veut l'assumer pleinement, homme de désespérance tenu au perpétuel oubli de lui-même c'est-à-dire à se surveiller sans oser se savoir ; un secret le point, chatouilleux et qu'il n'est pas supposé se connaître, et le pressentiment de cette étrangeté est un mystère et une abnégation – ô décente inutilité de la blessure ! –, Henry souffre, irrévélé, de ne pas même pouvoir s'admettre un paria et un ogre moral qu'alors il endosserait ; il n'y a ainsi pas une injure ou un cri qu'il puisse jeter au monde insensible et idiot auquel il se dissimule longtemps sa discordance, et il poursuit de la sorte une correspondance illusoire dont il ne perçoit en lui rien de sincère et d'authentique, maintenant en spectre des usages factices, représentant la lignée digne et statutaire, ne se contentant point d'incarner un noble mais la noblesse pour ne pas se considérer un homme, un homme singulier, un homme seul – un homme homosexuel.
Il étouffe bientôt sa voix intérieure dans de fascinants efforts ; sa pâleur préfère s'altérer en des vigueurs de divertissements où la faille disparaît ; il atténue son embarras interlope et son inquiétude aporétique dans des plaisirs licites d'impétueux émois : il déplace ainsi le trouble d'un aveu irrémédiable qu'il se refuse de faire et voudrait différer éternellement, et pour lequel, cependant, dans son altesse exhaussée de conventions bien respectées, il ne saurait sentir le mal. Henry est l'homosexuel spontané, amitif, impénitent, dont les prétextes atermoient et recèlent la profonde douleur de l'altérité, et dont les amours quintessenciées s'élèvent loin au-dessus des normalités basses qui jugent. Il est pur, ce coeur aristocrate et pétri de valeurs chrétiennes, mais n'assumant pas qui il est, il se fuit et se néglige, il se dissout ; partant, dans sa feinte, même involontaire, dans son leurre, il n'est pas tout à fait pur, il subsiste une tare en lui, non pas celle d'aimer les hommes bien sûr, mais celle de se contrefaire aimant des femmes, de s'octroyer une fausse vertu sociale, de s'annihiler dans la rassurante similitude morale. Il n'existe cependant qu'à quelque état parcellaire, la plénitude lui manque : il est empêché, surtout par lui-même, de se conformer à son essence, il ne surmonte pas le statut avantageux qu'il se confère, et ce serait presque davantage son hypocrisie qui l'oppresse que la société directement qui l'opprime. Il se contente la plupart de son existence – quoique mal, un pis-aller provisoire et d'illusion – d'un intermédiaire entre son titre ostensible et son incommunicable honte. Il est un sacrifice inutile et insatisfait, un renoncement qui n'est qu'une oblitération par le rôle et par le divertissement.
C'est, probablement, un trésor de compréhension fine de l'homosexualité duelle que cet Escal-Vigor qui, opérant la mixtion du séculier et du spirituel, situe fort justement son action en un cadre vaguement médiéval et saint, où les rumeurs des villages pauvres s'exercent aussi bien en pressions que les élans passionnés et christiques de l'esprit : le château est sis entre la vilenie malséante et Dieu inaccessible. de ce choix judicieux s'exprime une impasse, incarnée par la méditation recluse du héros qui, ainsi enfermé en la studieuse immutabilité d'un blason, pourrait demeurer le corps perclus et l'âme forclose, indécis à jamais de l'homosexualité qui le tenaille sans percer à la conscience ; oui, mais le temps et l'espace où s'oblige toute présence, appartenant à la roture, imposent la variation et la matérialisation d'où procèdent la tentation, le choix et l'acte, et Henry ne peut s'exiler éternellement hors du monde, parce qu'il existe et parce que le monde exige qu'il ne l'insulte pas par sa hautaine absence. Longtemps dégagé des réalités par l'étude métaphysique et les cogitations abstraites, bientôt les influences physiques et les obligations concrètes le réengagent dans la vie, le rappellent aux désirs et au corps : cette homosexualité-ci, après son refoulement dans la philosophie et les arts, devient alors un trouble contraint par l'impérieux et vivide tangible qui le réinitialise, puis une fatidique assomption, car il faut, pour la rejeter ou l'accepter, la rendre sensible et intelligible.
Ce cheminement mental douloureux, cette longue et pénible échappée hors du complexe où tabou et autocensure règnent en paradigmes diffus, détermine les choix narratifs, constitue le témoignage d'Eekhoud pour ajouter une oeuvre à la trop brève anthologie de l'individualité invertie, et l'on y discerne l'intention de réaliser une pièce de référence, un exemple impeccable et allégorique de la souffrance d'une oppression multipliée, ce qui instruit dans le roman les qualités et les défauts d'un testament et d'une hagiographie. L'intrigue, dont le style même est une subjugation un peu maniaque de termes procédant d'une volonté d'absolu et de perfection, aspire à remonter aux motivations des personnages, mêle inégalement des temporalités variées en agencements et en atermoiements peut-être inutiles, on lit tout d'abord une fête d'installation dans un château, puis une généalogie, puis des années d'étude ayant précédé, on revient alors aux mois suivants la fête, on redescend dans l'enfance d'une femme à peu près sainte, on suit des semaines de séduction floue entre Henry et un jeune homme, on focalise finalement sur une scène de dénouement qui n'est pas dessinée avec toute la minutie brave qu'il faudrait. Une sorte de perpétuel convenable s'attache ainsi à ne rien dresser de scandaleux, si bien qu'à fuir le sujet de l'homosexualité comme vérité nette et comme effets, comme réalités circonscrites plutôt que comme littérarité et symboles et pureté, on s'interroge si l'homosexualité a bien été abordée, si le lecteur ne capte pas davantage une extrapolation imagée et glorieuse, une auréole élaborée à l'attention d'une conscience et d'une postérité, une alambication quasi chevaleresque où l'objet de la quête n'est pas présenté comme devant être considéré ni perçu vraisemblable ainsi qu'un Graal qui reste un mystère avant une nécessité, un rapport et une défense fermes de la singularité des êtres et des liberté vivantes et actuelles de leurs penchants : l'auteur installe son oeuvre dans une universalité théorique dont on ne capte qu'une virtualité. En plus d'analepses appesanties et d'interpositions d'intrigues, en plus de déséquilibres entre atermoiements fades et des instants cruciaux par trop elliptiques, c'est même lexicalement qu'un maniérisme gothique d'« âmes » et de « dames » imprègne un récit qui, dans le dessein de quintessencier ses héros, les idéalise et irréalise jusqu'en vocabulaire, au point qu'une analyse méthodique prouverait probablement qu'Eekhoud, hésitant entre termes d'égale justesse, élit toujours le plus précieux pour inscrire son récit dans l'impression d'un idéal éthéré. Ce recours systématique, parfois plus propre à asseoir l'intention d'un récit parfaitement léché que le sentiment même de sa perfection, finit par pencher l'attention du lecteur vers la construction au lieu du sens, repérant par récurrence un procédé de narration ou de style, le détournant du fond au profit de la forme ; j'ai souvent, en lisant Escal-Vigor, rendu davantage de soin aux mots qu'aux situations à force à la fois d'être interrogé par tel choix inécessaire et d'être ennuyé par une intrigue aux ressorts de stéréotypes délicats et chrétiens : on n'échappe pas aisément à la dimension ostensiblement exemplaire de ce roman. Qualifier de réalisme l'oeuvre d'Eekhoud, avec son cadre onirique et ces personnages secondaires suprêmement déifiés ou avilis, me paraît une déraison et un contresens : Henry seul reflète une vraisemblance, mais tout le reste est absolue fiction sise dans l'extrapolité – et pour preuve, je demande à n'importe quel lecteur de dresser le portrait de l'amant de Kehlmark s'il parvient à trouver de quoi abonder un tel article, ce personnage n'est qu'un linéament et qu'un faire-valoir, ou plus exactement il n'est qu'une couleur vague et qu'une humeur pastel. Quant aux eaux fortes de l'intrigue dont Blandine assurément représente la plus candidement insubtile, qu'on perçoive quelle dose de manichéisme, féroce ou mièvre, il a fallu pour les établir, et qu'on appréhende combien leur représentation excessive, lorsqu'elle est fondée ainsi sur des clichés qu'une traditionnelle moralité a installés – l'abnégation sainte issue d'une innocence diaphane et virginale, ou aux antipodes l'épaisse et vicieuse conformation de la concupiscence et du lucre (comme s'il n'y avait pas de la rapine dans l'amour !) – est contraire au projet même de l'auteur, car c'est toujours selon des critères de convention et d'habitude, selon des critères de religion instituées en visions et mentalités, selon des critères d'imagerie et d'irréflexion, qu'on dénonce l'homosexualité, et celui qui lutte contre ces représentations devrait s'abstenir d'en convoquer, ou alors il use d'un moyen inapproprié à son combat, qui l'invalide et le dissout, comme tirant à la carabine contre les partisans des armes à feu.
… C'est néanmoins un récit supérieurement écrit, de la littérature enfin, de l'oeuvre et de l'ouvrage, où l'on sent l'écrivain véritable par la manière scrupuleuse dont il sélectionne le mot et la phrase : que j'y trouve de l'excès et subisse un peu trop le façonnage plutôt que l'effet ne signifie pas même que mon jugement est juste, car qui lit donc aujourd'hui tout en faisant des relevés lexicaux sur un papier avec un crayon pointu ? Peut-être enduré-je la déformation du trop professionnel pépiniériste arpentant un jardin à la française : hyperboliquement attentif à des techniques, j'y comprends bientôt l'ordre et sa logique, en jugeant l'intention à travers la réussite même, y déplorant des droites habiles et des rigides finesses, et je ne m'abandonne sans doute point comme il faudrait à la plaisance d'y marcher. Je peine pourtant à démordre de mes avis, pour ce que je me crois en la faculté de bâtir des jardins où ne se perçoit pas la volonté première de la facture et de l'exemple, et la démonstration de cette faculté, c'est que je vois les projets, et que c'est toujours par la perception que naît l'art de la dissimulation des intentions.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
Commenter  J’apprécie          10
Au château de l'Escal Vigor, fief de l'opulente île de Smaragdis, la fête bat son plein. Est de retour au pays le jeune seigneur, élevé loin de là après la mort de ses parents, deux êtres qui s'aimèrent de cette passion absolue qu'on ne trouve que dans les contes...
De la quête d'absolu, on semble loin pourtant en ce jour joyeux. Toute l'île a été conviée, notables et paysans, dignes dames et rudes marins mêlés coude à coude dans une atmosphère d'exubérante insouciance, dont beaucoup s'amusent mais dont le pasteur ne manquera pas de s'indigner. On boit, on chante, on rit... et l'énergique Claudie, fille d'un gros cultivateur du pays, déploie tous ses charmes sur monsieur le comte, persuadée de le glisser sans trop de mal dans ses filets et de se faire épouser. En apparence, Henry de Kehlmark joue admirablement son jeu, tout en prévenances et charmantes attentions - seulement, le spectateur attentif et plus subtil pourra noter que le jeune frère de Claudie, adolescent sauvage déjà à demi rejeté par les siens, intéresse beaucoup, beaucoup plus sincèrement le jeune homme.
De subtilité, Claudie n'a pas un gramme - et la seule rivale qu'elle peut s'imaginer est la mystérieuse Blandine, intendante du château qu'on dit aussi maîtresse du comte. Mais la frèle donzelle ne devrait pas faire long feu devant ses opulents appas... n'est-ce pas ?
Entre quête éperdue de soi-même, désir d'idéal, mesquineries, ambitions et jalousies exacerbées, ce qui aurait pu fonder une savoureuse comédie marque en fait le début d'un grand drame. Un drame comme on n'en trouve que dans les légendes, mêlé de sublime, de folie et de violence.

C'est un assez étonnant mélange que ce roman, teinté de réalisme et de symbolisme, de psychologie et de mystique chrétienne, fasciné par l'élan très païen de la chair, de la sève et du sang, et pourtant éperdu d'idéal. La mystique chrétienne n'étant pas vraiment ma tasse de thé, et la langue, bien que truffée de trouvailles colorées, parfois un brin pompeuse à mon goût, j'avoue avoir eu du mal à me laisser entièrement conquérir par l'aventure - malgré une indéniable fascination pour cet univers baroque, exalté, et une vive sympathie pour le personnage d'Henri de Kehlmark, de ceux que j'aime évidemment, dont la lente, douloureuse mais vigoureuse affirmation de soi face au reste du monde, est indéniablement superbe. Et diablement audacieuse pour l'époque ! Cette défense exaltée de l'homosexualité - et plus largement de l'amour posé comme idéal face à toutes les bassesses humaines - valut d'ailleurs un procès à son auteur, pour atteinte aux bonnes moeurs. Mais là, l'histoire se finit bien puisqu'avec le soutien de plusieurs auteurs français et belges, au nom de la liberté de l'artiste, Eekhoud fut acquitté.
Lien : https://ys-melmoth.livejourn..
Commenter  J’apprécie          111
Ce roman qui fit scandale et valut un procès à son auteur n'est sans doute pas celui que je préfère, parmi les décadents, même si l'écriture de Georges Eekhoud recèle de jolies trouvailles verbales, mots oubliés ou inusités qui tintent aux oreilles et réveillent l'imagination, ainsi que de beaux et mélancoliques élans :

"Certains détails du paysage contractent […] une signification poignante, presque fatidique. La nature paraît souffrir de remords. Les nuées arrêtent et accumulent leurs funèbres cortèges au-dessus d'une mare prédestinée à une noyade, à un théâtre de crime et de suicide…"

Dans ce récit flamboyant, on penche du côté du théâtre tragique : les personnages sont presque des types – Blandine a de la sainte l'abnégation poussée jusqu'au masochisme, Landrillon est un parfait coquin, Claudie une arriviste vulgaire, etc. – et l'histoire, soumise à un fatum obscur, tend vers un climax qui emprunte à la fois à la mythologie grecque et à la légende des martyrs chrétiens, selon un mélange des genres qui ne surprendra pas ceux qui connaissent un peu Eekhoud.

L'auteur peint surtout dans ce roman le portrait d'un homme supérieur (par l'esprit, les vertus et le rang social) qui a subi mille tourments intérieurs et s'est longtemps isolé en raison de son homosexualité, refoulée, refusée, reniée. Jusqu'au jour où, dans la terre farouche de Smaragdis, encore empreinte d'un vigoureux paganisme, il fait la rencontre d'un jeune paysan, éphèbe qu'il façonne, éduque, instruit tel un pédagogue grec ou renaissant. Contre ceux qui, à son époque, voient dans l'homosexualité un vice, une perversion, une anomalie, etc., Eekhoud présente un modèle d'amour parfait et noble, encore sacralisé par la fin effroyable du couple viril, livré à la frénésie meurtrière de femmes et d'hommes ravalés au rang de bêtes sauvages.

La suite de la critique est à lire sur mon blog !
Lien : https://litteraemeae.wordpre..
Commenter  J’apprécie          95
Publié en 1899, Escal-Vigor, fut le premier roman européen à traiter ouvertement l'homosexualité masculine d'un point de vue positif, ce qui entraînerait son auteur en justice. A cette époque, les relations sexuelles entre hommes étaient généralement considérées comme une perversion pathologique, alors quand Georges Eekhoud présenta ces deux héros qui non seulement n'avaient pas honte de leur homosexualité, mais qui la revendiquait avec audace, on peut d'imaginer l'impact social que cela pu causer en son temps.
Ce roman audacieux continue d'étonner aujourd'hui par la force de son postulat, sa profonde fraîcheur romantique et son style toujours agréable. L'environnement dans lequel enveloppe le lecteur est celui de la légende, puisque l'espace et le temps où se déroule l'intrigue est aussi mystérieux que le nom du château, car bien que l'on suppose qu'il se déroule au XIXe siècle, tout y évoque un temps légendaire, presque médiéval et mythique, avec ses nobles ses vassaux, ses châteaux, ses prêtres intransigeants et malfaisants, et ses méchants exécrables.
Une langue riche, charpentée, savoureuse, évocatrice, dense et sensuelle. Une oeuvre essentielle dans le parcours des luttes homosexuelles.
Ah, la beauté romantique des histoires d'amours contrariées… Certes elles finissent mal, en général. Mais quand c'est à cause de l'intolérance et de la bêtise des villageois, c'est plutôt une tragédie qu'elles ne puissent survivre à la haine. Car deux hommes qui s'aiment au 19e siècle, cela relève d'une « grave immoralité » (comme l'a appris à ses dépends Oscar Wilde…) Heureusement l'époque a changé ! Et je l'espère du moins durablement!
Commenter  J’apprécie          30
Comme ils s'aimaient ces deux-là ! Tel qu'on s'aime dans les légendes et parfois dans la vraie vie : dans le bonheur, l'adversité et jusqu'à ce que mort s'ensuive. On aurait tant voulu que la folie et la haine des hommes et des femmes n'entraînent pas leur mise à terre et à mort. Mais Georges Eekhoud (1854-1927), ce brillant écrivain flamand de langue française, n'a pas transigé avec son projet romanesque, poétique et politique, n'a pas tourné en bluette la lutte contre les préjugés sectaires qu'il a entamée après le procès d'Oscar Wilde. À son époque (et encore aujourd'hui dans certains pays, et parfois (près de) chez nous) on pouvait se retrouver en geôle ou lynché par des hordes en furie quand on vivait hors la loi sexuelle commune. Aussi Escal-Vigor ne pouvait finir moins tragiquement. Dans ce roman, plus que deux hommes, c'est l'amour et l'humanité qu'on assassine. La violence de la scène finale n'a d'égal que le sublime de l'écriture pour la raconter.

Ces-deux-là : Henry de Kehlmark, comte de la Digue, châtelain de l'Escal-Vigor, sur l'île nordique et imaginaire de Smaragdis ; Guidon Govaertz, fils d'un des principaux cultivateurs de l'endroit. Henry de Kehlmark est né d'un amour fou, fut un adolescent malheureux, mélancolique, attiré par les garçons sans oser l'exprimer – sauf quand il disparaissait des jours et des jours pour faire dieu sait quoi avec dieu sait qui. Il ne connaîtra physiquement qu'une seule femme, Blandine, sa confidente. Il lui vouera une amitié indéfectible ; elle lui sacrifiera sa vie de femme, gèrera l'intendance du château, les réceptions, sa prodigalité pour les villageois. Lors d'un festin, il tombe amoureux de Guidon Govaertz, joueur de bugle, « adolescent mieux découplé et plus élancé que les compagnons de son âge, aux reins cambrés, au teint d'ambre… ». Il en fait la conquête, devient son maître pour les arts, la musique, les lettres et le sport, vit avec lui tout le long des jours et de certaines nuits. Tous deux s'adorent réciproquement, sensuellement et secrètement. Malgré la prudence, ils sont découverts. D'odieux chantages s'ensuivent.

Histoire d'un amour absolu, ce roman est aussi une fresque de la vie des paysans, du peuple, de la jeunesse fantasque et brutale, des fêtes populaires, charnelles, des bassesses et des anathèmes des représentants de l'Église… et le combat d'un homme pour rejoindre sa véritable nature. L'accepter dans un monde hostile. Pour se réconcilier avec soi. Au risque de sa propre vie. « Demeurer fidèle jusqu'au bout à ma nature juste, légitime !… Si j'avais à revivre, c'est ainsi que je voudrais aimer, dussé-je souffrir autant et même plus que je n'ai souffert. » Depuis sa parution à la fin du dix-neuvième siècle, Escal-Vigor est régulièrement réédité. Que celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu se précipitent sur cette nouvelle édition pour le découvrir, les autres pour le relire.

Michel Zumkir - le Carnet et les Instants




Lien : https://le-carnet-et-les-ins..
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
"La nuit attendrie prête à ces pensées vagues. L'obscurité diaphane rappelle de sombres pierreries. Les ténèbres scintillent comme si, trop véhéments, les parfums dont elles sont saturées, avaient pris subitement feu. Les phosphorescences intermittentes des vers luisants s'accordent avec le cri-cri des grillons..."
Commenter  J’apprécie          251
(...) un adolescent mieux découplé et plus élancé que les compagnons de son âge, aux reins cambrés, au teint d'ambre, aux yeux de velours sous de longs cils noirs, à la bouche charnue et très rouge, aux narine dilatées par de mystérieuses sensualités olfactives, aux cheveux noirs plantés drus, avantageusement moulé dans son méchant costume qui adhérait à ses formes comme leur pelage aux membres élastiques des félins...
Commenter  J’apprécie          150
Mais non, la nature ne désavoue, ne répudie rien de ce qui nous béatifie. Ce sont les religions bibliques qui veulent que la terre nous ait enfantés pour l'abstinence et la douleur. Imposture ! L'exécrable créateur que celui qui se complairait en la torture de ses créatures ! A ce compte, le pire des sadismes serait celui d'un prétendu Dieu d'amour ! Notre supplice ferait sa volupté !...
Commenter  J’apprécie          100
- Oh pitié ! Je ne sais ce que j'éprouve, mais je te veux pour moi seul, sans partage... Pourquoi imiter les bêtes, et faire comme les autres ? Ne nous suffisons-nous point ? Penses-tu être jamais aimé comme par ton Gérard ? Suspendons, en ce qui nous concerne, la création prolifique. Ne naît-il point assez de créatures ? Vivons pour nous deux, pour nous seuls.
Commenter  J’apprécie          70
Et ses lèvres ayant repris les lèvres de l'enfant éperdument offertes aux siennes, Guidon et Henry confondirent leurs haleines dans un suprême baiser. Blandine leur ferma les yeux, à tous deux.
Commenter  J’apprécie          110

autres livres classés : belle epoqueVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (65) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11118 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..