Publié à Beyrouth en 1994 et sorti en France en 2009, c'est un roman étrange, quelque peu labyrinthique. Chaque chapitre commence par « Voici comment l'histoire a commencé", à la manière d'un conte. Mais de quelle histoire au juste il s'agit ? On se perd entre des nombreux personnages, les époques, les points de vue.
Le premier chapitre commence par une mort, suivie par une autre mort, celle d'Ibrahim, qui pourrait être le point de départ, ou l'aboutissement, tout dépend où l'on se place. Ibrahim était l'amant de Norma, qu'il a promis d'épouser, ce qu'il n'a jamais fait. Il faut dire que Norma était aussi la maîtresse d'Hanna, ami d'Ibrahim. Dont nous apprenons qu'il a failli être exécuté pour meurtre. Au final pas celui d'Ibrahim, ce que l'auteur nous a laissé pensé un petit moment. Sauvé in extremis, Hanna change radicalement de vie, tout au moins pour un temps. Quand à Ibrahim, il rêve d'immigrer, quitter ce Liban qui n'arrête pas de se déchirer. Simplement une nouvelle guerre l'empêche d'aller chercher un trésor mythique qui aurait été caché dans le village des origines, et qui aurait pu permettre un départ, quelque part ailleurs. Commencer une autre histoire, sans passé, sans fardeau.
Cela semble complexe et l'est certainement un peu, le lecteur ne comprend pas tout, l'auteur l'égare avec malice et habileté. Mais une fois que l'on a compris cela et accepté ce parti-pris, on prend beaucoup de plaisir à se laisser balader, de personnage en personnage, de péripétie en péripétie, de souvenir en souvenir, de rêve en rêve. Tous les hasards et les incertitudes des vies humaines sont là, les mensonges que l'on se raconte aussi. En arrière fond, le contexte de ce Liban en proie à la violence, tellement séculaire, que les moments d'accalmie en deviennent presque inquiétants, tout au moins annonciateurs d'autres violences, un peu plus tard. Les personnages font ce qu'ils peuvent, dans les interstices que leur laisse l'histoire. Même pas en espérant d'être heureux, mais juste essayer d'attraper un petit moment acceptable, un espace pour rêver. Ainsi Ibrahim se prend de passion pour les courses de chevaux, jusqu'à ce que le jockey surdoué dont il était devenu proche, et s'en doute un peu amoureux, ne meurt dans des conditions qui interrogent. Et malgré les promesses réitérées de l'auteur, nous ne saurons pas la vérité sur la mort d'Ibrahim.
Elias Khoury arrive à maîtriser tout cela, avec un talent de conteur, un peu désenchanté, dans un monde qui ne laisse pas la possibilité de tisser une histoire jusqu'au bout. Mais cela n'empêche pas le lecteur de s'attacher à ces personnages, de vivre un moment avec eux, partager peut-être leurs rêves, vouloir en savoir plus, jusqu'à ce l'auteur malicieux ne le frustre un peu, en s'abstenant de donner la solution, qu'il ne reste plus qu'à inventer.