Les forêts brûlaient
et eux
se nouaient les bras au cou
comme des bouquets de roses
les gens couraient aux abris
il disait des cheveux de sa femme
qu'on pouvait s'y cacher
Que sera-ce
quand les mains
tomberont des poèmes
Quand à d'autres montagnes
je boirai l'eau sèche
Les larmes des choses tombent
sur la terre outragée
Zbigniew Herbert
- textes cités en exergue ARARAT -
Pour être digne de toi
Femme aux cheveux noués
Digne de défaire tes cheveux
Il faudra que j'aille
Dans cette neige où sont nos frères
Et si je n'en reviens
Batée de chagrin tu monteras
Te coucher dans cette neige.
p.13
Le printemps leur fait croire à la paix et
à la guérison des rages. Les mains des fem-
mes ont fait le pain. Les mains des hommes
ont roulé du tabac. Des enfants jouent, et
leurs chemises sont des buissons en fleurs
de ces pentes dénudées.
Sous les arbres, les enfants de la guerre
poussent la balançoire où depuis toujours
leur peur oscille avec leur joie.
p.40
Un homme, une femme, debout dans
la nuit du monde, renversent la tête et
regardent le ciel de toutes leurs questions,
étrangement légères, étoiles devenues, si
haut montées que le cœur s'en soulève.
A cette heure où plus rien n'est à faire pour
que le souffle se mesure à la nuit, leurs
mains rendues s'ouvrent, et la distance,
par-dessus les montagnes légères et noires,
les mers lourdes et noires, la distance les
comble.
Orion décline, car c'est le même ciel
dans cette nuit d'avril qui tend sa toile à
ces deux-là. L'Ararat tient ouvert son beau
livre de neige.
p.55
J'ai pris par amour
Une part de notre enfer
J'ai connu dans mes bras
Le poids d'un enfant mort
Sa tiédeur apaisait
Un tremblement sans larmes
Je l'ai tourné vers la montagne
Où bougeaient les coquelicots
Je l'ai rendu à sa mère
― Si j'avais su prier ! ―
Ses deux bras et les miens
Ont refait un berceau
Qu'il nous a fallu rompre
Voici qu'il est pour elle
Ce creux dans la poitrine
Que tu seras pour moi.
p.36