Sur les rives du Fleuve, l'Humanité toute entière semble ressusciter, des premiers pithécanthropes aux derniers Hommes, disparus à la suite d'une mystérieuse catastrophe survenue au début du XXIème siècle. Ils renaissent nus, sans aucune pilosité, et n'ayant rien d'autre à faire que de se nourrir de ce que leur offre gracieusement le Fleuve par l'intermédiaire de leur graal, un tube métallique strictement personnel qui, placé, sur un champignon rocheux, dispense à heures fixes tout ce qui est nécessaire à la survie, et bien plus encore.
Mais l'Homme est ainsi fait qu'il ne peut s'empêcher de laisser très vite libre cours à ses instincts les plus primitifs. C'est d'abord pour la conquête de la femme, voire des femmes de son choix. C'est ensuite pour la conquête d'un territoire, et in fine du pouvoir le plus absolu possible. C'est ainsi que ce qui pouvait être présenté comme une seconde chance pour l'Humanité, se transforme très vite en un recommencement, les plus forts soumettant inévitablement les plus faibles.
Pourtant, certains Hommes se distinguent en essayant de savoir où ils se trouvent précisément, et surtout de comprendre pourquoi et comment ils se trouvent sur les rives de ce Fleuve. Ils vont alors remonter son cours et trouver, peut-être, des réponses à ces trois questions fondamentales.
Voilà pour le fond du cycle du Fleuve. Concernant sa forme, dans la présente édition, il se compose de cinq romans et six nouvelles.
Dans le premier roman du cycle, nous embarquons avec
Richard Burton sur le bateau qu'il a construit pour remonter le cours du Fleuve.
Le personnage est librement inspiré de Sir
Richard Francis Burton, aventurier anglais du XIXème siècle dont la vie est pour le moins romanesque. Il a découvert le lac Tanganyika et les premiers vestiges de la civilisation hittite ; il a également traduit, de manière sulfureuse pour l'époque, Les Mille et Une Nuits.
Mais il a également un côté plus obscur : il est l'auteur de prises de positions antisémites, il a été spolié de la plus importante découverte de sa vie (les sources du Nil) par l'un de ses amis, qui se suicida après sa trahison, sans parler de ses amours malheureux.
Les deux faces du personnage sont très bien exploitées par
Philip José Farmer, et donnent à son récit une crédibilité rarement rencontrée dans les littératures de l'imaginaire. Malheureusement, les rencontres que fait Burton sur les rives du Fleuve sont un peu trop faciles et atténuent quelque peu cette impression d'authenticité.
Il y croise des personnages de toutes époques et de toutes cultures, qui parlent diverses langues et pratiquent différentes religions. Il va notamment être confronté à quelques personnages singuliers tels qu'Hermann Goering, créateur de la Gestapo, et une certaine Alice Hargreaves, née Liddell, que les amateurs de
Lewis Carroll reconnaîtront sans peine.
Avec le bateau fabuleux,
Philip José Farmer aborde le même thème que dans le Monde du Fleuve, et s'appuie sur la même technique narrative. Cette fois-ci, la résurrection est personnifiée principalement par Samuel Langhorne Clemens, plus connu sous le pseudonyme de
Mark Twain. A l'instar de
Richard Burton, il s'agit d'un personnage dont la vie comporte deux facettes : le début est plutôt aventureux et ses personnages romanesques Tom Sawyer et Huckleberry Finn propulsent l'auteur au rang d'humoriste national aux Etats-Unis ; la fin est bien plus douloureuse, se succédant désastre financier, mort de sa femme, puis d'une de ses filles.
Encore une fois, Farmer exploite joliment les deux faces du personnage et, comme Burton, Clemens rencontre de nombreux personnages singuliers, tels Jean-Sans-Terre,
Cyrano de Bergerac, Mozart ou Ulysse, avec lesquels il est confronté à un problème prégnant à l'époque de sa vie terrestre : le racisme. Quelques autres personnages sont communs avec ceux croisés dans le Monde du Fleuve, et le dernier chapitre nous laisse supposer que les quêtes de Burton et de Clemens se rejoindront tôt ou tard…
On peut toutefois regretter le manque de nouveauté par rapport au premier volume du cycle, même si, à la décharge de Farmer, il faut savoir que les deux tomes ont été écrits au même moment, qu'ils ont chacun été publié en deux parties dans des revues américaines, puis dans Galaxie en France (entre 1968 et 1972), et que les éditions Robert Laffont avaient eu la bonne idée de les réunir dans sa collection Ailleurs et Demain Classiques en 1979, sous le titre
le Fleuve de l'éternité.
Les personnages des deux premiers volumes évoluent toujours en parallèle mais se rejoignent dans le fil narratif du Noir dessein. Quelques nouveaux se joignent également à l'intrigue, et
Philip José Farmer s'étend un peu plus sur certains personnages ayant joué un rôle secondaire dans le début du cycle. C'est tout particulièrement le cas d'un certain Peter Jairus Frigate, dont les initiales ne sont pas sans rappeler celles de l'auteur lui-même.
Et pour cause, Peter Frigate est un romancier du XXème siècle dont la vie, racontée épisodiquement dans le roman, est manifestement inspirée de celle de Farmer. Il y a même un passage où Frigate se met à parler de la définition impossible de la Science Fiction avec
Richard Burton. Bref, le noir dessein a beau être la suite du cycle du Fleuve, il est également un roman autobiographique.
L'intrigue du cycle suit donc son cours, mais elle est également agrémentée de longs passages qui ne la servent pas forcément. On en veut déjà pour indice la taille du roman, deux fois plus épais que les deux premiers volumes. En outre, on peut également regretter un manque de renouvellement de l'histoire dans laquelle les protagonistes tentent, envers et contre tout, de remonter aux sources du Fleuve, seuls les moyens d'y parvenir changeant à chaque roman.