Jack Kenu est officier de police à Auckland. Depuis le départ de sa femme Keri, il vit seul mais peine à se défaire du passé. Alors que le pays est en pleine campagne électorale entre le premier ministre Kirwan et le député maori Witkaire qui prône une « voie humaine », Jack se retrouve à enquêter sur le meurtre d'une jeune femme. Son identité est bientôt découverte : il s'agit de Sandra, la fille de Witkaire…
Les amateurs connaissent
Caryl Ferey pour ses excellents polars, baignant notamment dans la culture maorie (
Zulu,
Haka ou
Utu) ou argentine (
Mapuche). Il signe aujourd'hui sa première bande dessinée dont il est le scénariste. A ses côtés, on retrouve
Giuseppe Camuncoli au dessin qui a précédemment travaillé pour Marvel ou Vertigo.
C'est avec plaisir que l'on retrouve dans Maori l'intérêt de
Caryl Ferey pour cette culture. L'action de cette histoire prend à nouveau place en Nouvelle Zélande. L'île est alors en proie à l'effervescence électorale avec l'affrontement de deux candidats au programme fort différent. le député Witkaire prône une voie profondément humaine et anticapitaliste et souhaite mettre en place un développement qui favorise la culture maorie. Un candidat qui a ses détracteurs à commencer par son principal concurrent, Kirwan, un libéral très conservateur accro aux sondages d'opinion.
Jack Kenu, lui, reste un peu en dehors de tout ça, trop occupé par ses propres démons. Son histoire avec Keri semble être empreinte de culpabilité et une faute semble habiter la fin de leur relation et la brouille avec cette dernière et sa famille. Si Jack joue son rôle de flic à perfection le jour, il se livre la nuit à des activités beaucoup moins reluisantes, en usant de son pouvoir.
Le décès de Sandra Witkaire est dès lors l'occasion toute trouvée de manipuler sa mort. Désavouant son père et ses nouvelles idées, Sandra a quitté son école progressiste pour traîner avec des petits voyous. Alcool, drogue, politique, quelles sont leurs places et leurs implications dans ce meurtre ? Jack Kenu enquête.
Véritable polar dit « ethnique », Maori nous embarque dans les côtés noirs de la société néo-zélandaise. La politique corrompt bon nombre de ses acteurs et le capitalisme entraîne au sein de la population un véritable échec social. On retrouve l'art de
Ferey de dresser un portrait réaliste de ce pays en crise qui traîne ses difficultés dans la misère.
« Pour Witkaire, je me suis inspiré d'un chef maori rencontré au début des années 2000, explique
Caryl Férey. Les Pakehas [les non-Maoris] le décrivaient à l'époque comme un activiste dangereux : il est aujourd'hui député. Les choses avancent en Nouvelle-Zélande, même si beaucoup de jeunes Maoris sont désoeuvrés, alcooliques et paumés. La misère est toujours vecteur des mêmes dérives. »
Les relations humaines restent donc ici empreinte de violence, de non-dits et de drames qui semblent inévitables. Jack Kenu fait partie également des figures fétiches de l'écrivain : sorte de gros dur un peu rebelle, Jack cache derrière les apparences, des failles liées à une histoire amoureuse dramatique. Bien que la trame soit sans originalité, l'histoire s'appréhende progressivement.
Ferey construit son récit en ménageant suspense et rebondissement, tant dans l'enquête policière que dans l'aspect psychologique des personnages. le passé de Jack nous est offert peu à peu et on ferme cet album en ignorant encore de grands pans de son passé, dont celui qui est lié à son ex-compagne. Cela donne une histoire efficace qui dénote des qualités narratives de son scénariste et donne envie de découvrir la suite et fin de ce diptyque.
De son côté, l'italien
Giuseppe Camuncoli utilise un trait dynamique qui s'appuie fortement sur un travail des ombres. Les gros plans sur les personnages sont durs, les expressions sont sombres et torturées et donnent encore plus de poids à une atmosphère déjà bien amenée par le scénario. On retrouve également des touches de culture maorie à travers les tatouages des personnages (qui sauront, je n'en doute pas, attendrir certaines amatrices… ;) ) ou la mise en scène de
haka.
Écrit par un spécialiste du polar, Maori ne dépare pas dans la belle bibliographie de son scénariste. Si l'éditeur joue beaucoup sur ce nouveau talent mis judicieusement en avant (on notera la prédominance du nom de
Ferey sur la couverture), il n'en reste pas moins que l'album est une belle réussite pour ce nouveau duo. Maori se révèle au final un beau mélange entre polar et chronique sociale et se trouve habilement mis en scène et en images. Les amateurs de noir ne doivent le rater !
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