L'éthique reconstructive est une posture intellectuelle qui vise à réviser la prétention des discours à la vérité par l'insinuation de la souffrance et de l'humiliation exprimées ou elle-mêmes reconstruites de ceux dont la parole a été négligée.
Ces discours sont narratifs (récit de ce qu'il s'est passé, de ce que l'on a ressenti), interprétatifs (ce que le récit singulier évoque comme généralité, comme sens dépassant le cas singulier), et argumentatifs (ils tiennent compte d'éléments contradictoires qui renforcent la validité de la thèse élaborée). La reconstruction est susceptible de modifier la forme de ces discours en les structurant par une argumentation, elle-même soutenue par le principe de reconnaissance. Autrement dit, les arguments ne sont pas de nature philosophique, car la philosophie ne s'inscrirait que dans le droit et le juste, domaines froids et fonctionnalistes. Au contraire, la prise en compte de l'offense, de l'humiliation, implique de se référer à un domaine qui décline le chaud, la substance, le bon et que JMF nomme la religion.
On ne peut plus donc plus, dans le cadre de la reconstruction, continuer à séparer la philosophie de la religion. le risque est alors de dégrader le récit argumentatif et critique en récits narratif ou interprétatif, acritiques et subjectifs. Mais un principe procédural essentiellement argumentatif n'est pas de toute façon sans présupposés moraux, il retire de l'espace public tout ce qui ne relève pas de la raison rationnelle, et même exclut des intérêts de la discussion ceux qui n'accèdent pas à cette forme d'expression (planète). Enfin, il ne permet pas de répondre aux questions éthiques mises dans l'espace public. La reconstruction est donc un principe particulièrement bienvenu à l'époque contemporaine qui requiert une communication des identités par-delà les histoires nationales et les vécus singuliers et un accès à une forme d'universel qui s'énonce par-delà les langues.
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Le concept d’une éthique procédurale de la discussion a été essentiellement développé dans le contexte allemand récent, notamment par l’école d’Erlangen, avec Lorenzen et Schwemmer, et par la (nouvelle) école de Francfort, avec Apel et Habermas.
Ce sont là des fautes ordinaires, propres à susciter le ressentiment. Omissions mensongères, dans la narration ; déformations malveillantes, dans l'interprétation ; conclusions répressives, dans l'argumentation - ces injustices routinières, qui constituent autant d'atteintes imperceptibles à la reconnaissance réciproque, autant de blessures et d'obstacles à l'entente, l'éthique de la reconstruction les envisage alors, thématiquement, dans la perspective pratique de négations déterminées.
... c’est à l’époque contemporaine que la reconstruction est devenue elle-même un style. Cela vaut pour la littérature, avec le roman moderne, mais aussi en philosophie, avec la phénoménologie, et encore, dans les sciences humaines, avec l’herméneutique des traditions. Plus généralement dans les différents domaines de la culture, jusque dans les pratiques institutionnelles, comme la justice, l’éducation, les actions sociales de réinsertion, les prises en charges psychothérapeutiques, sans oublier les stratégies plus politiques de restitution des mémoires nationales ou de restauration d’identités culturelles menacées, le principe reconstructif se manifeste par la recherche d’éléments proprement historiques dont la récollection permet aux identités personnelles, individuelles ou collectives, de s’assurer face aux autres une structure cohérente et significative.
... le déplacement éventuel des positions, comme le ralliement à des normes candidates à l'adoption, ainsi que le rejet éventuel de ces normes, cela ne se fait, suivant l'éthique, que sur le motif des raisons jugées meilleures, et non pas sur des motifs empiriques résultant d'intimidations, de manipulations, de résistances psychologiques et autre enjeux stratégiques.
Ainsi advient la norme. Loin de régler les intérêts qui s'affrontent, la norme exprime ici ce qui résulte d'une confrontation, toujours argumentative des intérêts. C'est la procédure argumentative qui autorise le passage de l'intérêt exprimé à l'intérêt fondé, du fait au droit, c'est-à-dire la transformation des intérêts en normes.
Suite à la sortie de son ouvrage aux éditions du Cerf, Métaphysiques. le sens commun au défi du réel, le Collège des Bernardins invite le philosophe Jean-Marc Ferry à dialoguer autour de son livre avec la psychologue, Magali Croset-Calisto et le théologien, P. Olric de Gélis.