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EAN : 9782130576495
194 pages
Presses Universitaires de France (16/01/2010)
3/5   1 notes
Résumé :
Sommes-nous fondés à parler de crise structurelle de la santé ? La demande insatiable de santé tient-elle lieu, dans nos sociétés, de dérivation à l'angoisse existentielle ? Quel serait l'apport d'un concept normatif de la santé, qui soit perspectiviste et opératoire ? Un concept perspectiviste. Distribuons le concept de santé entre les perspectives différentes des trois personnes pronominales, je, tu, il : la " santé-je ", vécue parte patient, la " santé-tu ", thém... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Mark Hunyadi détonne par sa contribution qui rapproche la définition de la santé par l'OMS de la visée totalisante, sinon totalitaire, que donnait Platon dans la République d'une société qui viserait inconditionnellement le bien de ses membres. Pour "humaniser" la définition, il suggère de lui donner des pronoms personnels : la santé pour moi (santé-je), se réfère à ce que je ressens en tant que "corps-propre", la santé-tu est l'acceptation que j'ai d'instrumentaliser mon corps devant le médecin, et la santé-il est la conception de ce que la mise en communauté doit garantir de soins minimum à ses membres. Choisir l'une de ces composantes à l'exclusion des autres mène à des perversions : le corps-propre contre tous les autres ; une société qui diagnostique ses problèmes (y compris économiques, culturels, etc) sous l'égide d'une science instrumentale toute puissante ; une société objectiviste qui gère la masse, les chiffres et les statistiques mais non "la vie". On retrouve dans cette déclinaison l'influence de l'"agir communicationnel" de Ferry-Habermas.

La pensée se fait alors sociologique en évoquant deux désacralisations : celle du corps-propre remis dans l'objectivité instrumentale de la science, du médecin au XIXème siècle et depuis 50 ans, le déplacement de cette autorité objective dans l'être vivant lui-même, qui, obnibulé par sa santé et le "vivre bien", passe d'un rôle de citoyen qui vise en société un comportement juste à un rôle solipsiste de patient-médecin de soi-même qui vise un bien-être solitaire absolu. Les nouvelles technologies et l'internet contribuent à quantifier les données physiologiques et à dissocier l'être de son corps-propre.

La pensée se fait ensuite politique : quelle place pour l'individu dans une société qui aspire toute son énergie vers une pensée, une inquiétude et un comportement uniformisés autour de chiffres et de normes standardisées que la consultation ininterrompues de son iWatch entretient et même développe (j'exagère ici car la montre électronique n'est pas sortie au moment de l'édition du livre - ceci, dit, si vous tapez "iWatch" dans votre moteur de recherche, la première phrase qui vient est : "L'Apple Watch est l'alliée idéale pour une vie saine." Comme quoi, je pense que l'esprit de Hunyadi allait dans ce sens). Il conviendrait alors de se mettre d'accord ensemble sur ce qu'il est "convenable" d'appeler la santé, sous forme de santé-nous. Ensuite la pensée se fait dystopique en reprenant les promesses d'immortalité formulées par des responsables de programmes de recherche sur les biotechnologies.

Evidemment, c'est cette intervention fracassante qui suscite ensuite le plus de commentaires, mais elle a le mérite de prévenir, si on la considère non sous l'angle de la vérité, mais du risque. Jean-Louis Bourlanges reprend bien évidemment la composante politique, la "santé-nous" et insiste sur la nécessité d'une société où les questions de santé, comme les autres, ne soient pas laissées entre les mains des "spécialistes", mais soient débattues et mises dans l'espace public. La démocratie est la réponse au risque totalisant d'une santé incarnée comme modèle de vie par chaque individu pris séparément. Yves Charpak rappelle la différence entre la médecine, réponse privée à un besoin privé, et la santé publique, réponse commune à des besoins communs - ce faisant la "totalisation de la santé" est épargnée si la santé publique est agréée démocratiquement. Olivier Ihl rappelle que la santé est aussi une affaire de culture et non seulement de raison et que "se sentir bien" passe parfois par des méthodes qui laisseraient pantois ou sceptiques les médecins et la science. La légitimité de la santé n'est pas synonyme de sa rationalité. de manière très percutante, le praticien Gilles Pialoux manifeste sa difficulté à accorder la "santé-tu", celle qui repose sur l'acceptation de l'instrumentalisation de son corps devant le médecin par le patient, avec la pratique qu'il exerce auprès en particulier des patients atteints de maladies graves. Il demande qu'on réintègre la psychanalyse dans la notion de "santé" débattue lors de cette présente conférence pour analyser le sens d'une telle expression phonétique : la santé tue.

A tout cela, Jean-Marc Ferry note que "la mort de Dieu", en retirant la visée d'une vie bonne organisée sous l'égide de Dieu dans les société athées européennes, à commencer par la société française, plus athée que les autres, a déplacé les réponses à l'angoisse existentielle vers le domaine médical, ce dont serait le témoin la surconsommation d'antidépresseurs en France. La reconsidération de la notion de "religion", sans revenir sur les principes de laïcité, pourrait permettre aux individus-citoyens de se sentir libre de projeter leurs attentes existentielles vers ce que bon leur semble sans nécessairement se limiter à des principes rationnels, culpabilisés qu'ils seraient par l'"ex-communication" dans la société de la religion par la notion d'athéisme, de verser dans le religieux (en extrapolant, ça devient le bigot). Il répond aux moqueries de Maurice Godelier qui ne voit pas ce que la remise en cause de la laïcité vient faire dans une conférence sur la santé et en quoi elle devrait mener, selon l'expression de JMF qui revient à la tentative de définir ce que serait une santé publique, à une "philosophie" de l'assurance-maladie, en confirmant que la pathologie sociale consiste à ce qu'une société s'illusionne dans un principe trop ancré qui n'est plus l'objet de questionnement, et devient un dogme. Il ne s'agit nullement de revenir sur la laïcité et la séparation de la sphère publique de la sphère privée, mais de reprendre une interrogation qui se serait interrompue.

Finalement pour clore les échanges, c'est peut-être à la deuxième contribution qu'il faut revenir, celle de Caroline Guibet Lafaye, qui résume les réflexions anglophones sur la notion de santé sous forme de "capabilities" (capabilités). La santé, c'est ce qui permet d'offrir des "capabilités" à l'individu, de ne pas les réduire. La notion ne détruit pas celle de "besoins premiers", qui devrait plutôt être redéfinies par celle de "capabilités". La santé publique ne se conçoit plus alors comme une chose, un standard, une quantification, un minimum, mais une projection, presque une opportunité, ou le fait de garantir ou d'accroître les opportunités. On note, sans que ce soit dit, que la notion se décline en je, tu et il. Une telle santé publique pourrait être mise en place à l'échelle européenne.

Les contributions sont très précises et particulièrement bien écrites. Cela se lit très vite et avec plaisir.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
En guise de préambule – et c’est le premier point – j’aimerais souligner que la santé, tout comme l’éducation ou la culture, devrait faire partie – tout le monde n’en est pas convaincu, notamment les tenants d’une vision ultralibérale de la société – de ce qu’on appelle les droits humains, voire les biens dits premiers ou encore les biens publics « exclusifs ».

Il y a là la notion que la santé ne peut pas, ne doit pas être considérée comme un secteur d’activité comme un autre ou encore « une marchandise comme les autres » pour reprendre un slogan altermondialiste qui n’est pas dénué de bon sens pour autant. Cela signifie qu’une nation, soucieuse non seulement du bien-être de ses sujets mais aussi de comparatifs de modèles sociaux, se doit de garantir ce bien essentiel qu’est la santé, y compris dans ses textes fondateurs.

À cet égard, on peut regretter que la France qui, depuis 1958, a procédé à plusieurs modifications de sa Constitution (dont l’introduction de la Charte des droits de l’environnement en 2004) n’ait pas cru nécessaire d’indiquer les droits élémentaires auxquels peut prétendre chaque Français.
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... la fameuse définition que l'OMS donnait de la santé dès 1946 et qui n'a pas été modifiée depuis. Je la cite : "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité". Cette définition, malgré sa belle générosité, contient pourant en germe l'extension illimitée du bio-pouvoir conceptualisé par Foucault, un bio-pouvoir qui veut prendre en charge - médicalement en charge - tous les aspects du bien-être humain - physique, psychique et social - dont parle l'OMS. En cela la définition de l'OMS apparaît comme virtuellement(it) totalitaire, c'est-à-dire qu'elle contient en son germe cette extension possible vers une médicalisation complète des comportements humains qui était l'idéal de Platon.

Mark Hunyadi
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C'est cela, la médicalisation de la société : l'érection de normes qui ne disent plus ce qu'est un comportement juste(it) mais qui imposent un comportement sain(it), avec tout ce que cette pensée sanitaire et hygiéniste peut comporter de sournoisement répressif. Autrement dit, le diagnostic(it) des pathologies sociale est en train sous nos yeux de supplanter la bonne vieille critique(it) des injustices sociales.

Mark Hunyadi
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L'exposé de "La République" se laisse ainsi lire comme un vaste plan de santé finalisé par le bien de ceux dont elle s'occupe et requérant l'expertise de ceux qui savent. La métaphore sanitaire n'est donc pas pour Platon qu'une béquille rhétorique, elle traduit l'essence même de sa politique perfectionniste qui veut faire le bien indépendamment de ceux auxquels elle s'adresse.

Mark Hunyadi
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... la notion de santé apparaît donc comme un opérateur paradoxal : originairement liée à la subjectivité des corps, elle devient l'instrument même de leur objectivation, et de ce fait même l'outil d'un formidable contrôle où la science médicale n'est plus tant appelée à soigner les corps individuels qu'à normer le corps social.

Mark Hunyadi
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