Un jeune intellectuel raconte son expérience d'objecteur de conscience dans un centre de la croix rouge italienne, ramassant des corps plus ou moins morts sur l'autoroute, accompagnant des impotents à l'hôpital pour leur dialyse bihebdomadaire, portant secours à des petits vieux au coeur aléatoire, livrant de l'aide alimentaire sur le perron de maisons dont les occupants ne manquent manifestement de rien. Avec des collègues étranges, parfois brutaux, souvent stupides, chasseurs, organisateurs de combats de chiens, trafiquant pour d'obscures raisons les compteurs kilométriques de leur véhicule de fonction. Les bonnes soeurs ont l'allure mauvaise ; l'une d'entre elles ne serait-elle pas à l'origine du traumatisme inexpliqué qui laissa brutalement un enfant de 10 ans aveugle, sourd et muet au pied d'une balançoire ? Même cette superbe infirmière qu'il arrive à séduire semble animée de perversions étonnantes. Pourquoi ne réagit-il pas ? Et puis il y a ces rêves poisseux peuplés de gros lapins noirs dont les blanches incisives luisent la nuit tombée, sur le bord de l'autoroute...
Quel curieux texte que celui-ci. La frontière qui sépare la lugubre réalité des fantasmes toujours plus prégnants du narrateur se dissout dans le flou de la raison qui vacille. Etrangement, jamais la panique ne se déclare, comme si la monstruosité était attendue, n'aspirant qu'à devenir normale, acceptée de tous. Voilà qui justifie pleinement la référence faite à
David Lynch en 4e de couverture. On peut juste regretter la raréfaction des repères dans les rêves tordus du jeune objecteur, parenthèses oniriques qui s'accumulent comme autant de digressions au milieu desquelles garder le fil finit par requérir quelque effort d'attention. Carraba réussit quand même une chute à l'image de son ouvrage, en forme de gros point d'interrogation. Qu'avons-nous vécu là ?
Le style de Carabba est remarquable : donné à la 1re personne, le texte nous livre l'intimité du narrateur avec une grande vérité ; par ailleurs, les dialogues sonnent très juste.
Françoise Liffran nous restitue cet OVNI dans un français impeccable, parfaitement adapté. Assurément, ces
mauvais signes méritent donc l'attention. Une voix de plus à suivre dans le roman noir italien (et encore un auteur en Ca... qui vient rejoindre la prestigieuse cohorte des Camilleri,
Carlotto,
Carofiglio, Caccuci, Cappellani, (Di) Cara...).