Au tomber de la nuit

2 ans apres Les reves d'Olav Fosse publie ce livre, troisieme volet de l'histoire d'Asle et d'Alida, l'histoire de leur amour, l'histoire de leurs vicissitudes.

Dans ce volet Asle et Alida ne sont plus. Morts tous les deux. le seul etre vivant est Ales, la fille d'Alida, elle meme, Ales, vieille deja. Mais bien que morts Asle et Alida sont tres presents. A travers Ales. A travers son essai, tardif, de savoir, de comprendre la vie de sa mere, en une sorte de reve eveille ou le reveur et le reve (accent aigu) s'entremelent, ou on ne sait plus qui est le reveur et qui est le reve, ou finit la question et ou commence la reponse.

Fosse nous offre une narration onirique, de par l'histoire racontee et de par la facon dont il la raconte, la musicalite de sa structure rythmique, de ses repetitions, de ses silences, de sa ponctuation, de ses intervales, de son ordonnance, de son synchronisme, de ses contrepoints. C'est une metaphonie a la cadence hypnotique, dans la succession des faits comme dans le rythme des mots.

La vieille Ales voit sa mere deambuler devant elle. Reve-t-elle? La frontiere entre l'onirique et l'eveil, entre le reel et l'irreel s'estompe, s'efface et c'est Alida qui s'etonne se voir sa fille si vieille. Les souvenirs d'Ales et ceux d'Alida s'entremelent pour nous raconter la suite de l'histoire commencee dans les livres precedents. Alida a erre longtemps dans Bjorgvin avec son bebe, Sigvald, cherchant Asle, jusqu'a ce qu'elle soit recueillie par Asleik, un pecheur de son village natal qui la reconnait, lui annonce la pendaison d'Asle et la ramene chez lui. Ils vivront ensemble et ils auront deux autres filles, dont Ales. Mais en fait Alida vit toujours avec Asle. Il est dans l'air qu'elle respire, dans le ciel qu'elle regarde, dans la terre qu'elle foule. Il accompagne tous ses gestes. Il l'a accompagnee quand en fin de vie elle entre d'un pas resolu dans les eaux du fjord. Elle s'est noyee. S'est-elle suicidee? A-t-elle rejoint Asle dans ces eaux?

La prose envoutante, hypnotique, de Fosse, broie la chronologie, brouille les ages de l'existence, petrit en les metissant la vie et la mort, le bien et le mal, et cree, devant nos yeux ebahis, un nouveau couple a l'amour mythique.

Ce livre est pour moi le livre d'un grand poete. Comme toute la trilogie.

Jon Fosse écrit comme s'il nous contait une histoire sans s'interrompre. Un roman comme un fil continu. Aucun point. Une vieille femme, Ales, se plonge dans le passé qui devient présent par intermittences. Nous voilà immergés, dans l'eau des origines, de l'avant naissance au moment de se souvenir. Écriture du temps, des temps qui se mêlent. A la recherche du temps d'avant : une quête de soi tout en douceur, tout en silence. Au tomber de la nuit s'écoute de la première à la dernière ligne. On suit Ales à qui l'on s'attache vite jusqu'au bout.

Beau petit livre qui vous emporte sur les ailes d'une langue musicale simple et répétitive, un peu comme la musique de Steve Reich ou de John Cage. On remonte le temps du souvenir et des générations dans l'intimité d'une conscience prête à s'éteindre comme la flamme d'une chandelle, doucement, en glissant le long d'un fil temporel fait d'événements et de paysages élémentaires. le texte semble expiré d'un seul souffle et on le lit sans s'arrêter.