Le roman lumineux est l'oeuvre posthume de l'écrivain uruguayen
Mario Levrero, de son vrai nom Mario Varlotta Levrero (1942-2004). C'est un pavé de 567 pages avec deux parties bien distinctes. La qualité de la langue espagnole déployée est excellente, précise, avec une apparente simplicité qui va faciliter la lecture, mais en réalité assez complexe en profondeur. En 2016, ce livre a été sélectionné en sixième position en Espagne comme faisant partie des meilleurs romans en espagnol des dernières 25 années.
La première partie du livre (60% env) est un « Journal de la bourse » où le protagoniste (et alter ego évident de l'écrivain) gagne une bourse Guggenheim qui lui fournit de l'argent pendant 1 an afin de terminer un roman commencé en 1984, c'est
le roman lumineux. C'est un journal très détaillé qui donne le jour et l'heure, pour nous décrire le quotidien de cet homme farfelu, le protagoniste : ses manies, sa santé, ses angoisses, ses rêves, ses repas, etc.
En fait, cette bourse Guggenheim va lui permettre rapidement d'améliorer son confort matériel.
Sa routine et ses addictions sont impressionnantes, car il s'agit d'un personnage totalement excentrique : hypochondriaque, maniaque, agoraphobique, dépressif sous traitement, lecteur compulsif de polars qu'il collectionne, grand lecteur par ailleurs, animant des ateliers d'écriture chez lui, interprétant ses rêves, "addict" à Internet (manipulant l'Informatique, jouant aux jeux jusqu'à tomber en trance, voyeur de porno), et aussi c'est un personnage très comique par moments avec un ton si naturel, si libertin, qui mène son monologue intérieur par moments furieusement comique, parfois pathétique et qui donne au lecteur une impression de voyeurisme permanent.
Tant de manies et d'anomalies ont inverti complètement son cycle de sommeil avec quelqu'un qui se couche vers 8 heures du matin et se réveille vers 6 heures du soir; difficile de mener une vie « normale » avec ces horaires.
Malgré toutes ces tares, le protagoniste jouit d'une excellente relation avec les femmes; à cette étape de sa vie ce sont surtout des relations de dépendance car il ne peut sortir seul dans la rue, il faut qu'il soit accompagné en cas de crise de panique. Les femmes du récit sont nombreuses et la relation agonisante avec celle qu'il appelle Chl aggrave sa dépression.
La deuxième partie du livre (100 pages env) est
le roman lumineux de 1984, lequel roman n'a pas avancé d'un iota pendant cette année. En fait, ce roman lumineux parle de plusieurs moments lumineux de son passé, mal expliqués par la logique cartésienne et auxquels il voudrait trouver un contexte plus littéraire.
Ce n'est pas que
Mario Levrero veuille se payer la tête du lecteur en lui livrant ce produit hybride, mais le lecteur reste hypnotisé avec l'abondance de sujets traités, avec l'importance de la littérature dans le récit, avec l'humour parfois désopilant de Levrero.
Cet auteur est considéré comme faisant partie des écrivains « bizarres » d'Uruguay, c'est à dire des auteurs inclassables par leur style littéraire dans une mouvance typiquement uruguayenne.
Cette lecture me rappelle aussi le livre de l'espagnol
Juan José Millás , La vida a ratos, de 2019 (non encore traduit en français).
C'est aussi un journal, tenu pendant 3 ans par un alter ego de l'écrivain; autre personnage excentrique ayant des points communs avec Levrero. Mais pour moi ce sont deux personnalités assez différentes, Levrero ayant une personnalité plus marquée, avec plus de pathos et plus de sincérité dans ses digressions.
Lien :
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