Si d'aventure vous prenait l'envie, le temps d'une lecture, de poser votre sac sur un pont de bois, d'embarquer à la voile, de vous hisser jusqu'à la plus haute vergue, et de vous sentir porté par les alizés jusqu'au cap Horn et jusqu'à Frisco, "la vergue" est le livre qu'il vous faudra glisser dans votre vareuse.
"La vergue", paru en 1936, est un roman.
C'est un roman habilement juxtaposé à une peinture à l'huile sur laquelle le trois-mâts "Magellan" est pris dans la tempête, brisé par la tourmente.
C'est un excellent roman qui a été récompensé, en 1938, par le prix des Vikings, et couronné par l'Académie Française.
Le livre est dédié aux disparus du Magellan.
"La vergue" est d'abord l'histoire d'un enfant de treize ans, Pierre Garnier, qui après s'être enfui de l'orphelinat, est devenu, Pierre Kuster, le mousse de chambre du capitaine, commandant le "Magellan".
Le récit s'ouvre sur un drame, celui d'une vergue qui, en vue de Mooréa, vient à manquer sous les pieds de huit marins dont le seul à en survivre est le jeune mousse.
Et ce même récit se referme sur une terrible tragédie ...
Le livre est écrit de manière sobre, pourtant l'émotion y est dominante.
Les premières pages du récit sont un peu heurtées, l'attention a du mal à se fixer mais, très vite, le lecteur est emporté par des vents qui vont le mener du Havre jusqu'au bout de la terre, jusqu'au bout de tous les secrets de l'équipage du "Magellan".
"La vergue" est un roman plein de tendresse, de tristesse et d'espoir.
C'est un roman sombre mais qui n'est pas désespérant.
Bernard Frank, dans un avertissement placé en début de l'ouvrage, écrit que celui-ci "est né dans la tempête, trente ans auparavant, et s'est développé peu à peu parmi les ressacs de la vie et parmi ses houles".
Et la question se pose, qui revient lancinante tout au long de la lecture, de savoir quelle est la part autobiographique de ce magnifique récit ?
Bernard Frank, s'y dévoile, sûrement un peu, peut-être beaucoup, avec "la vergue", il nous offre un roman inoubliable par lequel il se hisse parmi les plus grands écrivains du genre ...
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Que le lecteur pardonne un si long silence.
L'enfant, devenu homme, n'a pu rien déformer, ni oublier ...
L'auteur, lui, s'excuse d'arriver si tard alors que se carguent les dernières voiles et que, du fond du port, s'élève un dernier chant ... Adieu d'un égaré de l'infini ...
Qu'est-ce donc que l'oiseau Biligou ?
Il se pencha vers moi et hochant la tête :
- Un oiseau qui n'est pas d'ici, pas de la terre, ni de la mer, et qui n'a qu'un seul oeil, et qu'un très long bec au bout d'un long cou.
- Ce n'était pas cela, en effet, mais l'autre, où donc est-il ?
- Là où les bateaux doivent périr. Il vaut mieux jamais le rencontrer ...
Le vieux parlait ... Il disait la loi des espaces, la force inégalée du vent qui tantôt effleure et tantôt emporte les voiles, le secret mouvant des profondeurs où gît la source de toute espèce et qu'habite un peuple mystérieux fait de génies bons ou mauvais, amis des vaisseaux ou leurs adversaires ...
J'écoutais donc passionnément mon compagnon, me parler de la mer et du ciel, émaillant son enseignement de lointaines légendes dont quelques-unes avaient acquis force de loi, les autres, plus nombreuses, se contentant du respect qu'ont les longs-courriers pour les anciennes choses, selon qu'elles meublent plus ou moins leur univers ...
Quart en haut ! ... Quart en bas ! ...
Entends-tu sonner le glas ?
Encore un peu de misère
Et le beau temps reviendra ...