AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Le procès du prix GoncourtVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Règlement de comptes devant les juges.

En 1947, Sacha Guitry et René Benjamin, tous deux membres de l'académie Goncourt, font cavaliers seuls et attribuent un prix dissident « Jules de Goncourt » à Kleber Haedens, alors que le prix officiel est décerné le même jour à Jean-Louis Curtis.
Cet acte de rébellion aux conventions qui régissent l'académie, créée par testament par Edmond de Goncourt, donne lieu à un procès dont l'assignation, les plaidoiries des avocats, les conclusions du procureur et le jugement sont reproduits in extenso, sans appareil critique, dans cet ouvrage publié en avril 1948.

Le procès qui s'est ouvert le 31 janvier 1948, est l'aboutissement, l'acmé, d'une guerre de plusieurs années au sein même de l'Académie. Lucien Descaves, président de l'Académie Goncourt, le seul encore vivant à avoir connu Edmond de Goncourt, et persuadé à ce titre de détenir la parole d'évangile, était opposé à l'élection de Sacha Guitry comme membre de l'Académie et, celui-ci une fois nommé, a continué à lui vouer une inimitié carabinée. Sans doute rêvait-il aussi de l'évincer de l'académie.
La discrétion, soi-disant de bon aloi, de cette dernière, quand Guitry était en butte aux difficultés de l'épuration, aurait pu être qualifiée de lâchage. En tout cas, le peu d'empressement qu'elle a montré à l'accueillir de nouveau dans ses rangs, une fois qu'il a été blanchi, ne pouvait que laisser Guitry amer.
Mais il y avait guéguerre déjà avant, avec toutes les sournoiseries et les coups tordus que l'occupation allemande avait favorisés : les académiciens dispersés aux quatre coins de France ne pouvant échanger que par courrier, et jamais en même temps, s'écrivaient certes, mais ne disaient pas forcément les mêmes choses à chacun de leurs confrères. Aujourd'hui, on parlerait d'un sac de crabes.

Pour se défendre, Sacha Guitry et René Benjamin attaquent : ils affirment que l'élection en tant que membre de l'Académie, en décembre 1943, d'André Billy, est irrégulière et que, partant, la nomination qui a suivi, de Lucien Descaves comme président de la même académie est invalide. En conséquence, Lucien Descaves n'a pas qualité à les assigner et sa demande doit être déclarée nulle, irrecevable.

Me Garçon représente M. Lucien Descaves, demandeur, (et l'Académie en arrière-plan), Me Delzons et Me Chresteil défendent les intérêts de Sacha Guitry, Me Jean-Dars intervient pour René Benjamin et Me Charpentier pour l'éditeur Robert Laffont, tous appelés au procès par M. Descaves.

Robert Laffont a en effet «surfé » sur la vague de la dissidence en ajoutant au livre de Kleber Haedens un bandeau « Goncourt de Sacha Guitry et René Benjamin », histoire d'attirer l'attention du chaland, qui a répondu présent massivement. Ce qui a beaucoup contrarié, bien sûr, les tenants du vrai Goncourt, qui réclament des dommages et intérêts à hauteur « au plus » de 5 millions.
L'avocat de Robert Laffont, le bâtonnier Charpentier, est le plus offensif, dans ces débats. Comme si le fait de menacer la bourse agaçait davantage que l'atteinte à la réputation de la prestigieuse académie.



Tout est très écrit, les plaideurs devaient avoir un peu de mal à se détacher de leurs copies. Mais à lire, quel régal ! Les périodes et les envolées, les amabilités trop appuyées pour être complètement honnêtes, les rosseries à fleuret moucheté, les insinuations subtiles et perfides, tout cela dans une langue classique qui respecte totalement la syntaxe et la conjugaison (ces imparfaits du subjonctif qui arrivent tout naturellement, et qui régalent d'un plaisir oublié !) : les ténors du palais de justice du siècle dernier écrivaient au moins aussi bien qu'ils parlaient. Peut-être d'ailleurs ne parlaient-ils si bien que parce qu'ils savaient écrire.

Mais, ainsi que le dit Me Chresteil, « pourquoi faut-il que, pour satisfaire des rancunes, parce qu'on cède à une envie vraiment misérable, ou parce qu'on veut contenter des ambitions trop impatientes, en libérant un siège à l'Académie, pourquoi faut-il qu'on ait donné au public, qu'on ait donné à la presse, qu'on ait donné au Tribunal le scandale de ce procès (...) ? »
Au rayon « faits et gestes de l'académie Goncourt », ce recueil sans doute oublié du public, confirme que les menées et les délibérations des académiciens suscitaient déjà les polémiques il y a trois quarts de siècle. Les détracteurs d'aujourd'hui en feraient leur miel...
Commenter  J’apprécie          294

Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
L'assignation (suite)

Attendu que la préméditation de se livrer à pareil éclat avait été annoncé dans la Presse dès le 6 décembre, sans qu’une nouvelle aussi surprenante ait été prise par les membres de l’Académie des Goncourt pour autre chose qu’une fausse nouvelle ; qu’il fallut pourtant se rendre à l’évidence et constater avec indignation que deux membres de l’Académie des Goncourt, dont l’un s’était déjà livré précédemment à des attaques publiques et injurieuses, avaient voulu par des manœuvres dissidentes tenter de déconsidérer la compagnie dont ils avaient l’honneur de faire partie.
Attendu que cette nouvelle fut abondamment exploitée dans la Presse.
Attendu que Laffont, éditeur, n’hésita pas, de mauvaise foi et dans un désir de lucre, à envelopper l’ouvrage de M. Haedens avec une bande rouge portant apparemment les mots « Prix Goncourt ».
Attendu qu’une publicité autrement abondante a été insérée dans tous les journaux pour prolonger et aggraver l’équivoque, et que, chaque jour, le livre de M. Haedens est annoncé et vendu comme ayant obtenu un « Prix Goncourt ».
Attendu que ni M. Sacha Guitry ni M. René Benjamin n’ont protesté contre cette usurpation éhontée, montrant par là qu’ils l’approuvent sinon l’encouragent et qu’ils s’en font solidairement les complices.
Attendu que l’ouvrage de M. Haedens, tiré à un grand nombre d’exemplaires, a été abondamment distribué aux libraires et figure, à tous les étalages, créant une impardonnable confusion.
Attendu que de pareils agissements causent à l’Académie le plus grave préjudice, qu’ils ont pour effet d’égarer l’opinion, de jeter le discrédit sur la Société Littéraire créée en exécution des volontés d’Edmond de Goncourt, de tromper les lecteurs désireux de lire l’ouvrage véritablement couronné et d’ameuter injurieusement l’opinion.
Attendu qu’en outre, la simple probité exige que l’Académie des Goncourt assurer au véritable bénéficiaire la paisible jouissance du prix que lui a valu son talent.
Attendu que ces faits ne sauraient être trop sévèrement appréciés, qu’il en résulte un dommage moral dont il est dû réparation et qui doit être fixé à la somme de cinq millions.
Attendu que la publicité faite autour de la fausse attribution d’un prix Goncourt exige qu’une publicité équivalente en atténue l’effet ; que les insertions du jugement à venir doivent en conséquence être ordonnées dans cinquante journaux et périodiques, pour compléter la réparation du préjudice causé dans les termes de l’article 1036 du Code de Procédure Civile.
Attendu qu’au terme de l’article 1382 du Code Civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.
Attendu qu’il y a intérêt et urgence pour la Société Littéraire des Goncourt à mettre fin à ce préjudice.

Par ces motifs,
...
Commenter  J’apprécie          70
(extrait de l’ordonnance de classement du 8 août 1947 qui met fin à l’instruction poursuivie contre Sacha Guitry. Cette ordonnance est longuement citée par le substitut du procureur, lors de l’audience du 7 février 1948)

Sacha Guitry – qui ne le sait ? - est à la fois auteur et acteur. C’est un truisme. C’est aussi peut-être une clef.
(...)
Pas une seule conférence, pas un seul article fâcheux à relever pendant toute l’occupation ; son activité d’écrivain est, en définitive, à l’abri des critiques ; elle pourrait être presque un modèle pour certaines carrières qui ont continué.
Il reste l’acteur, et c’est différent.
Tout a été dit depuis Diderot sur le comédien qui vit son rôle. Mais il y a celui qui joue sa vie.
Sacha Guitry est possédé par le don de se mettre en scène. Il a vu dans sa famille des personnages et dans ses aventures des sujets. Ses destinées matrimoniales se sont nouées ou dénouées devant le public. Il a modelé sur lui-même Pasteur, Napoléon, une série de rois de France. Il n’est pas un auteur qui joue ses pièces ; il est un acteur qui écrit ses rôles.
Au vrai, il est une vedette, c’est-à-dire un acteur permanent à la ville comme à la scène. Il n’est chez lui que dans le décor ; et n’est naturel qu’en jouant. D’où une aisance supérieure, sommet du talent. Un roi de l’attitude et un prince du geste, eût dit Rostand, ce connaisseur. D’où son besoin comme d’oxygène du public ; et hors de scène de l’adulation et des faveurs du monde et de ses puissants. Il n’a eu de vie qu’exhibée.
C’est ce qui explique et mesure ses relations avec l’occupant.
Juin 1940 le conduit à Dax. L’ennemi arrive, s’installe ; suspension des hostilités, il faut s’organiser. Paris est sans théâtres et sans Sacha Guitry. Il y part sur l’instant pour combler du même coup ce double vide aussi impensable pour lui que, croit-il vraiment, pour Paris.

(et ça continue sur trois pages, sur le même ton cinglant : une ordonnance qui, je l’espère, fait partie des manuels de l’école de la magistrature !)
Commenter  J’apprécie          80
Vous avez été certainement frappés, Messieurs, des égards avec lesquels on malmène M. Sacha Guitry. Pour lui adresser les pires injures, on a recours à ces périphrases dont on a le secret dans les Académies, fussent-elles Goncourt. Par exemple, pour rappeler que M. Sacha Guitry a été à Drancy, ce qui pourrait s’exprimer en termes concrets (vous voulez dire « il pleut », dites « il pleut »), on dira : « Ce qui est arrivé-après-la-libération-à-M. Sacha Guitry », et ce langage est tellement contagieux qu’à la dernière audience il avait gagné M. l’avocat de la République lui-même.
(...)
Ce procès, Messieurs, - après deux audiences vous l’avez certainement compris, - c’est une querelle d’hommes de lettres. Une haine irréductible, une de ces haines comme il s’en rencontre dans les milieux littéraires, oppose M. Lucien Descaves et M. Sacha Guitry. Leur querelle fait penser à cette vieille histoire du savetier anticlérical à qui son client demandait : « Tout ce qu’il y a de plus solide », et qui lui répondait : « il n’y a qu’une chose inusable, c’est la haine du prêtre. » Nous savons maintenant qu’il y a une matière plus inusable encore, c’est la haine d’écrivain.

(Plaidoirie de Me Charpentier, avocat de l’éditeur Robert Laffont de Kleber Haedens)
Commenter  J’apprécie          120
L’assignation.

Plaise au Tribunal,

Attendue que par testament olographe, du 16 novembre 1884 suivi de quatre codicilles des 5 novembre 1887, 6 juillet 1890, 7 mai 1892 et 22 mai 1893, Edmond de Goncourt a désigné Alphonse Daudet et Léon Hennique pour exécuteurs testamentaires, à charge pour eux de constituer dans l’année de son décès, à perpétuité, une Société Littéraire composée de dix membres.
Attendu qu’il affecta, pour la constitution de cette Société, tant le produit de la vente de ses biens et objets immobiliers que les sommes à provenir de ses droits d’auteur.
Attendu que l’activité de l’association fondée parc actes des 6 juillet 1897 et 7 avril 1900 fut retardée par une contestation des héritiers et que la volonté du testateur ne fut exécutée que le 24 janvier 1902 par le dépôt des statuts à la Préfecture de Police.
Attendu que, par décret en date du 19 janvier 1903, la Société Littéraire des Goncourt connue sous le nom d’Académie Goncourt fut déclarée d’utilité publique.
Attendu que, conformément à la pensée qui fut la sienne tout le temps de sa vie d’homme de lettres et celle de son frère, Edmond Goncourt exprima la volonté formelle que la nouvelle Académie attribuât chaque année un prix destiné à consacrer un ouvrage littéraire.
Attendu que ce prix fut attribué pour la première fois, après l’Assemblée générale du 21 décembre 1903, et que, depuis, une nouvelle attribution a été faite chaque année à une œuvre d’imagination publiée dans l’année et paraissant, à l’Académie, avoir le plus de mérite.
Attendu que ce prix, conformément au désir du testateur, porte le nom de « Prix des Goncourt », formule habituellement réduite par le public à celle de « Prix Goncourt » ; que son attribution fait l’objet de vives compétitions et confère à l’œuvre couronnée une réputation enviée.
Attendu que l’Assemblée Générale, pour l’année 1947, fut convoquée pour le 8 décembre, que le prix devait être décerné au cours de la réunion, les votes par correspondance étant admis.
Attendu que MM. Sacha Guitry et René Benjamin s’abstinrent de se présenter et qu’ils ne firent parvenir aucun bulletin de vote.
Attendu que l’Assemblée régulièrement constituée, délibéra, passa aux votes et décerna au troisième tour le prix des Goncourt à l’œuvre de M. Jean-Louis Curtis, intitulée « Les Forêts de la Nuit ».
Attendu que, cependant, les membres de l’Académie Goncourt n’apprirent pas sans surprise qu’au moment où leur secrétaire communiquait le résultat du vote à la Presse, les deux dissidents s’étaient réunis à déjeuner chez M. Sacha Guitry et, qu’après déjeuner, ils avaient fait savoir à la Presse qu’à l’unanimité de leurs deux voix, ils avaient attribué le « Prix Jules Goncourt » à M. Kléber Haedens, auteur du roman « Salut au Kentucky ».
Commenter  J’apprécie          30
Sacha Guitry, à la fin du mois d’août 1944, a été arrêté à son domicile, par des individus qui ne tenaient leur pouvoir que d’eux-mêmes et, comment dirai-je ?... de leurs mitraillettes. Il fut conduit au Dépôt, du Dépôt au Vélodrome d’Hiver, du Vélodrome d’Hiver à Drancy. Il rencontra là de grands universitaires, de grands magistrats, de grands savants... Il y resta jusqu’au 15 octobre 1944. Et, pour l’en sortir, il fallut une démarche de ses avocats qui demandèrent et obtinrent du Parquet qu’il fût inculpé : c’était le seul moyen qu’on eût alors de sortir de Drancy.
Inculpé, déféré à M. Angéras, juge d’instruction, il suffit d’une séance d’interrogatoire pour qu’il apparût, à l’évidence, que, non seulement la détention de Sacha Guitry ne se justifiait pas, mais pas davantage son inculpation ; et, quelques jours après, il était remis en liberté provisoire.

(Plaidoirie de Me Chresteil)
Commenter  J’apprécie          91

Videos de Maurice Garçon (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Maurice Garçon
En librairie le 16 septembre 2022 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251453385/journal-1912-1939.
Maurice Garçon (1889-1967) fut l'un des plus grands avocats de son temps. de 1912 à sa mort, il a consigné les événements, petits et grands, dont il était le témoin ou l'acteur.
Il vient de prêter serment quand il commence ce journal, loin d'imaginer qu'il va devenir monumental. Il s'agit, dit-il, de « simples notes » au fil de la plume, jamais retouchées. Petites scènes, portraits, encore un peu scolaires. Et bien vite, il trouve son style, celui d'un exceptionnel observateur.
Les premiers temps sont rudes, bouleversés par la Grande Guerre. Réformé, il souffre d'être considéré comme un planqué mais, devant les conseils de guerre, il apprend le métier.
Et quand il ne travaille pas, il décrit l'atmosphère qui s'alourdit. Jusqu'à l'armistice qu'il « couvre » comme un reporter. Il en a l'oeil et se débrouille pour être partout où il se passe quelque chose, comme plus tard, au Bourget, à l'arrivée de Charles Lindbergh.
Familier des estaminets du Quartier latin, il rencontre des artistes, des auteurs qu'il se fera une spécialité de défendre. Et les clients affluent, l'obligeant parfois à négliger son journal.
Entre plaidoiries de routine et intérêts de Coco Chanel, il parvient à courir les premières et, plus inattendu, à satisfaire sa curiosité pour le paranormal.
Les scandales des années 1930 lui donnent matière à réflexion, penché sur un dossier proche de l'affaire Stavisky. Son mépris de la corruption des confrères députés, présidents du Conseil passés et futurs, s'épanche, sans parler de ses colères à l'encontre des magistrats.
Maurice Garçon mord mais n'est pas lui-même à l'abri des préjugés racistes et antisémites. Il ouvre les yeux à Berlin, peu après la Nuit de Cristal, alors qu'il va représenter la famille du diplomate assassiné par Herschel Grynszpan. La guerre, à nouveau, sera bientôt là.
+ Lire la suite
autres livres classés : AvocatsVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (1) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3667 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *}