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EAN : 9782204063050
207 pages
Le Cerf (01/09/1999)
5/5   1 notes
Résumé :
Comment l'expérience de la responsabilité a-t-elle été thématisée ? La première modernité nous en a légué deux modèles. Le premier, lié à l'affirmation de l'autonomie subjective, l'interprète comme " faculté de commencer ". Le second, centré sur la figure de l'autre, la comprend comme " disposition à répondre ". A ces deux modèles, la seconde modernité a ajouté la tentation irresponsabilisante portée par la posture objectivante des sciences humaines et par le regard... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un petit ouvrage (200 pages) bien dense qui demande bien de la concentration mais apporte une lumière fantastique.

Pourquoi parle-t-on partout de nos jours de responsabilité ? Il faut refaire l'histoire du sens que ce mot suggère.

Du temps de Boèce, les thèses stoïcienne sur leur libre arbitre prévalent. le libre
arbitre est une volonté intérieure soumise à un ordre transcendant. La volonté est une spontanéité interne. Elle ne garantit pas l'autodétermination. Boèce introduit alors la raison. Elle permet de se distancier du déterminisme. le libre arbitre est alors le libre mouvement de la raison. La volonté est donc liée à la raison. Boèce participe ainsi à construire la subjectivité de la personne. Des difficultés se posent cependant. Si la volonté est liée à la raison, que devient la liberté ? Puisque la raison dicte notre comportement, la liberté serait-elle soumise à la raison?

Les interrogations nombreuses, en particulier au XIIe siècle, comme on peut le voir chez Anselme de Cantorbury au sujet du consentement – c'est-à-dire de savoir si l'individu est consentant, s'il agit sciemment, ou, au contraire, s'il agit par ignorance – ont peut-être opéré le rapprochement de la liberté de la volonté. Chez Jean Duns Scot, liberté, volonté et subjectivation sont très nettement associées, au contraire de Boèce qui lui donc plaçait la liberté dans la raison.
La question interroge au XIIIe siècle : Siger de Brabant place toujours la liberté dans la raison, Pierre de Jean Olivier la place résolument dans la volonté et Thomas Daquin, dans une posture intermédiaire, place certes à la liberté dans la volonté mais situe la volonté sous la raison.
Volonté et libertés sont donc liés, mais il reste encore à envisager le cas d'une volonté impuissante - ce que fera Jean Duns Scot. Il associe la volonté à l'espace pluriel possible. Ce faisant il transpose à l'homme la distinction de la tradition théologique « entre potentia Dei absoluta ( ce que Dieu aurait pu faire et/on pourrait encore faire) et la potentia Dei ordinata (ce qu'il a effectivement fait) ». Pouvoir, c'est en effet avoir la capacité mais aussi à avoir la possibilité. Les buts de la volonté humaine se déclinent désormais comme autant de mondes possibles que ne freinent que des obstacles extérieurs et la nature interne. le sujet moderne peut naître maintenant.

On note que c'est aussi au Moyen Âge que s'inverse la notion de sujet tandis que le droit accorde plus d'importance aux « droits subjectifs, pensés comme « pouvoir faire » ». L'ordre social organisé par Dieu est maintenant institué par l'homme. Chez Erasme encore, « cohabitent à la fois la valorisation de l'idéal d'autonomie subjective, et, en même temps, l'affirmation selon laquelle la liberté ne trouve sa pleine réalisation que dans l'obéissance à Dieu ». Par la suite, chez Pufendorf, chez Grotius, chez Suarez, l'influence divine s'effacera devant la capacité d'institution humaine, éventuellement opposée à la causalité animale. L'idée de la souveraineté s'impose quand le sujet collectif est « doté des attributs de la subjectivité ».

La dissociation entre raison pratique et raison théorique mène à dissocier devoir et savoir. Pierre Bayle favorise la moralité devant la foi et focalise le comportement humain sur la conscience individuelle : le devoir ne s'inspire pas d'un ordre transcendant mais de motifs internes. Ces motifs ne sauraient être donnés par la raison : David Hume retire la volonté de l'ordre du vrai et du faux pour la placer dans celui du blâmable et du louable - mais Kant insinue le savoir objectif dans ce dernier - et, séparés, le savoir et le devoir, les raisons pratiques et théoriques se retrouvent liées par la moralité. Savoir engage la responsabilité. L'étude des conditions d'une promesse valide se fait chez Pufendorf selon les modalités : suis-je responsable de l'ordre des choses engagés par ma promesse si j'ai fait croire à sa réalisation sans partager le savoir, obtenu en contraignant le vouloir, prétendu un ordre des choses échappant à mon pouvoir et à mon devoir, le cas échéant cadré par la légalité ? Responsabilité et grammaire des modalités redéfinissent l'anthropologie.

La responsabilité de l'individu, qui s'envisage en Grèce, du point de vue de sa capacité à faire le mal puisque le bien, d'inspiration divine, lui échappe, se « déculpabilise » progressivement pour perdre tout lien avec la morale : chez Descartes, l'homme est tout autant responsable de faire le mal que le bien dont ces options ne sont qu'une extension de sa liberté. La responsabilité est devenue une « capacité de faire ». S'ouvre la nécessité de classer les êtres doués de cette responsabilité : les études sur la folie, les mineurs, l'innocence émergence à cet instant - de même que le rôle de l'individu responsable au sein de la cité, le citoyen. La responsabilité en ce qu'elle attribue des mérites ou des crimes à l'individu, participe à la formation de l'unité de la personne, là où l'individu romain est au carrefour d'une histoire, d'une langue, d'une famille, etc. La personne est mise en situation d'oeuvrer à s'attribuer des mérites : la responsabilité l'engage à se perfectionner. Ainsi Groethuysen met-il la notion d'effort au centre de sa philosophie. On n'est donc plus seulement responsable d'un acte qui s'est produit, mais de plus en plus d'un procès, d'un enchaînements d'actions qui, pour avoir commencé, n'a pas de fin. La responsabilité s'analyse selon l'intention, la faculté de commencer. Par ses actes, l'homme maintenant fait l'histoire.

Mais la faculté de commencer ne doit pas être comprise comme l'intronisation du sujet, le triomphe de la subjectivité et de l'individualisme. Au contraire cette faculté de commencer n'a de valeur que si elle est prise en compte par autrui. C'est-à-dire que la responsabilité comme faculté de commencer ouvre la possibilité de l'intersubjectivité. Cela est mis en évidence par l'étude du passage du serment à la promesse, et de la promesse au contrat. Tandis que le serment est l'effectuation d'une réalité extérieure transcendante et engage une autorité divine, incontestable, la promesse au contraire engage la reconnaissance par autrui de sa performativité des paroles prononcées au nom du locuteur : Je ne peux l'accorder que si j'accorde à autrui la même capacité que moi-même d'engager sa liberté. C'est précisément et toujours au Moyen Âge que les études sur la performativité au travers de la grâce et de la transsubstantiation trouvent leur naissance. L'interprétation responsabilisante modifie donc la nature même du lien social par l'ascription à autrui et à soi-même des qualités d' « agent moral, sujet de ses actes, susceptible d'en répondre ». C'est le règne du « je ».

Pourtant, il est erroné de prétendre que la première modernité, instituant le sujet autonome, aurait été suivie d'une seconde modernité, caractérisée par l'intersubjectivité, puisque la réciprocité est inhérente à l'évolution de la notion de responsabilité. La seconde modernité devrait plutôt se définir comme l'approfondissement de la réciprocité d'individus immergés dans des milieux où ils se reconnaissent vers des sujets dissociés de toute extériorité et se reconnaissants comme consciences pures. Quoi qu'il en soit, c'est bien la réciprocité qui engage la reconnaissance mutuelle des droits.

Naît l'idée de la communauté et du contrat social, de la légalité, et, avec elle, la scission entre les motivations intérieures et les activités extérieures. L'être se dédouble. Je puis me comporter ainsi mais n'en penser pas moins : la réciprocité porte aussi sur l'engagement. La question du mensonge, de la félonie, de la tromperie, dont le lexique comme le thème, est si riche au Moyen, se mêle de celle de la sincérité chez les théoriciens de la civilité comme Érasme. Chez Platon, la duplicité est une marque de supériorité intellectuelle puisque pour mentir, je dois connaître d'abord la vérité. Chez Augustin, le mensonge n'est pas un péché bien grave : Dieu ne peut être trompé et l'homme est corrompu par essence. Au temps de la civilité, l'hypocrisie en société peut élever le bien-être social. La laïcisation du serment en promesse révélant la capacité de sujets à s'engager réciproquement l'un envers l'autre fait de la loyauté, comme chez Locke, et de la confiance réciproque la base de la constitution sociale. La littérature française des XVII et XVIIIème siècles thématise la duplicité, la sincérité, le mensonge. C'est que la modernité contient en elle-même, encore implicitement, un principe méthodologique de validation morale : le décentrement. Celui-ci se perçoit aussi bien dans l'émotion par le traitement qui est fait de la pitié, définie comme projection de soi dans les malheurs de l'autre, que dans les idées généralisées à partir de la Renaissance selon lesquelles l'homme ne s'accomplit moralement qu'en société parce qu'il fait de l'autre la norme de la moralité : « la responsabilité renvoie donc ici à une dispositions à répondre ». Cette disposition à répondre à l'autre ne se conçoit que par l'effet de la réciprocité à en faire une disposition à répondre de l'autre - sans quoi, si mon jugement ne tenait pas compte de l'autre comme je prends soin de moins, mes arguments ne seraient recevables ou pas compris. le décentrement souligne cette dualité, cette intersubjectivité de la responsabilité de la seconde modernité comme disposition à répondre.

Or si la responsabilité de la première modernité, pensée comme faculté de commencer, avait trouvé, par l'opposition entre le for intérieur et les activités extérieures une expression positive dans le droit, lieu d'organisation des activités extérieures au point d'engager un changement. le décentrement, inscrit dans la responsabilité de la deuxième modernité pensée comme disposition à répondre, s'épanche au contraire dans l'appel, la plainte, l'émotion, et se clôt, par la réponse requise dans le domaine fermé et intérieur de la morale. C'est le rapport au « tu ». de fait, cette seconde responsabilité se juridiciarise beaucoup moins aisément ; elle échappe au droit positif. Comment alors systématiser dans la communauté la notion que la seconde responsabilité, non moins intersubjective que la première, honore, la solidarité ?

Il faut reprendre le processus général de l'interprétation responsabilisante qui passe par la constitution du droit après l'affaiblissement des interprétations concurrentes transcendantes (péché originel, Providence,...) puis le décentrement plaçant donc la responsabilité dans la disposition à répondre et la solidarité. Ici naissent des institutions et des domaines du savoir qui entendent prendre en compte le rapport à l'autre : les sciences humaines.

Celles-ci ont un effet d'objectivation par l'établissement de standards explicatifs schématiques de l'activité humaine. Naît la responsabilité sous le mode « il ». Par la thérapie et les statistiques, les sciences humaine, à commencer par la psychologie et la sociologie, irresponsabilisent le sujet : c'est pas moi, c'est mon traumatisme; c'est pas moi, c'est le standard de mon milieu social. Sont alors mis en place au sein de l'organisation sociale des mesures redistributives qui tiennent compte de ces données sociologiques : la solidarité de la seconde modernité influence à son tour l'organisation sociale - non par le droit comme l'initiative libre de la première modernité, mais par l'économie. Transcendées dans la science économique, les statistiques s'imposent alors à la société et retire au sujet de sa responsabilité : on différencie juridiquement la responsabilité qui appelle un jugement civil et la culpabilité qui appelle un jugement pénal. La faute n'est plus une peine à subir isolément mais une dette à payer aux autres. le système assuranciel organise les transferts d'argent et contribuent à pacifier, à civiliser la société.

En contrepartie, l'économie s'impose à la vie vécue, y compris au politique : ce qui échappe à mon action individuelle pour raison économique échappe de même au groupe social. Ce qui n'est pas économiquement viable est rejeté. C'est la liberté qui en prend un coup tandis que le retrait de la responsabilité individuelle, noyée dans le système distributif assuranciel, mène à une prise de conscience et une revendication accrue de sa performativité - en vain. D'où les insistances sur la responsabilité aujourd'hui et l'exigence très forte de « trouver les responsables ». Précisément, il n'y en a pas, puisque c'est la société qui fonctionne tout entière sur le partage des responsabilité, la vie libre se change en destin, le pouvoir s'aménise devant le savoir et le devoir. le vouloir, lui, reste hypothétique - on veut d'autant plus qu'on peut d'autant moins. Voilà pourquoi aujourd'hui, tout le monde exige des responsables.

Il manque une deuxième conclusion, prospective, à cet ouvrage, qui expliquerait que le système redistributif doit anticiper son propre fonctionnement autotélique en se neutralisant lui-même : une redistribution par principe, indépendamment de la catégorie sociale (chômeur, invalide, tuteur, actif, etc), opérerait la solidarité sans enfermer l'économie sur elle-même et libérerait les consciences du « tu dois » vers le « je peux ». Cela s'appellerait le revenu social primaire redistribué de façon inconditionnelle : une allocation universelle.

Restera alors à la société à inventer une nouvelle responsabilité : celle d'un individu qui aurait à sa charge l'usage d'un bien conféré par la société. Ce qu'il en fera, relativement à sa volonté personnelle et à la considération des autres : voilà une nouvelle thématisation de la responsabilité - que l'on pourrait ranger sous le mode du « nous ».

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Citations et extraits (64) Voir plus Ajouter une citation
Les certitudes moral s’estompant, l’individu est renvoyé davantage à lui-même dans ses choix éthiques. […] Cette montée des modélisations subjectivantes peut notamment se lire dans l’accentuation de la pression à la réalisation de soi, épanouissement, réussite… Le prix à payer à cela est encore une fois une surresponsabilisation, mais dans un contexte marqué d’autre part par la restriction des possibles. L’échec se trouve alors inscrit au cœur de cette aporie entre un surinvestissement de soi et un environnement limitant les chances.
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Comme le souligne M. Villey, "le leitmotiv du régime romain de réparation des dommages n'est pas la faute, mais la défense 'une juste épartition entre les biens répartis entre les familles, d'un juste équilibre". L'obligation naît in re, c'est-à-dire objectivement. C'est d'ailleurs, à suivre M. Villey, à cette conception du droit qu'il faut référer l'étymologie de la responsabilité. Ce terme trouve son origine dans le mot latin respondere, qui lui-même est associé à une institution, centrale dans le droit romain archaïque (mais à laquelle de nombreux auteurs modernes comme Hobbes, Grotius, Pufendorf ou Vattel font encore référence), le sponsio. "Le sponsor est un débiteur... qui s'engage à quelque prestation... Le responsor était spécialement la caution ; en un second échange de paroles, il s'est obligé à répondre de la dette principale d'autrui". Celui qui répond, c'est celui qui est prêt à "se tenir garant du cours des événements à venir", et cela, Villey y insiste, indépendamment de toute question de faute subjective. On retrouve bien là un principe d'engagement - et d'engagement par la parole - mais dans un contexte où l'essentiel n'est en rien la réparation d'un dommage qui serait le résultat d'une faute, mais bien la question d'une juste répartition des biens, en particulier lorsque celle-ci se trouve menacée ou perturbée... Cet engagement, insiste Villey, est générateur 'obligations et, pourrions-nous ajouter, il se construit clairement "pour autrui". Celui qui est responsable en ce sens est avant out celui sur qui pèsent des obligations et qui, pour cette raison, est susceptible d'être appelé en justice.
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Si l’autonomisation du vouloir permettait de comprendre en quoi l’acteur pouvait agir mal tout en connaissant le bien, encore restait-il à réfléchir maintenant sur l’hypothèse d’une volonté impuissante, c’est-à-dire les situations où l’acteur à la fois connaît et veut le bien, mais agit néanmoins contre lui.
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L’homme en vient donc progressivement à se caractériser par cette capacité d’institution, cette capacité morale liée à l’autonomie au moins relative de sa volonté, et la question se pose alors, politiquement, de concilier ses puissances individuelles avec la puissances collective. Une question qui ne cessera de hanter la modernité, avec en toile de fond le modèle du Léviathan.
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L’approfondissement de l’écart entre motivations intérieures et activités extériorisées que prépare le christianisme, la séparation entre la morale et le droit qui en est, comme le montre Koselleck, une conséquence, ainsi que la laïcisation de l’évaluation des mobiles intérieurs liée elle-même à la reconstruction des rapports sociaux sous l’angle des engagements mutuels, telles furent les conditions pour que la question de la sincérité devienne, avec la modernité, la question morale par excellence et pour qu’elle devienne la valeur autour de laquelle s’articule la critique morale des comportements sociaux.
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