Étonnant pouvoir de la relecture... Mue à l'origine (il y a bien longtemps de ça) par l'élan propre à la dégustation d'un mets exquis, j'abordai cette prime lecture du
Faust de
Goethe, qui plus est, traduit par
Gérard de Nerval, comme une merveille de caviar servie sur un lit de foie gras.
Le palais peu forgé, faute d'âge ou de fondements, d'épaisseur ou de référents, il m'avait fallu constater que, de saveurs indicibles, peu à peu, mon caviar sur foie gras c'était transmuté en rillettes premier prix de hard discount.
Je mâchai sans grand plaisir ces syllabes au corps gras de vers aux musiques intraductables (non, « intraductansibles » serait plus correct). Je restai donc, des années durant, sur cette relative indigestion.
Tout à coup, l'autre jour, sans motif ni pourquoi,
le nez dans la bibliothèque, aux voisinages des
Giono des
Gogol et autres
Golding, mo
n oeil sans trop savoir, s'est arrêté sur
Faust. Ah, non ! Pas celui-là ! … et pourquoi pas ?
Effectivement, c'eut été bêtise que de ne point retenter l'expérience de vendre mon âme à
Goethe. Et bien m'en a pris car, même si j'ai retrouvé certaines indigestes bouchées, notamment tout le passage dans la cave de Leipzig ou les fêtes avec les sorcières (Walpurgisnachtstraum), la dimension philosophique et allégorique m'a mieux impressionnée qu'à la première lecture à froid.
Que nous dit
Goethe dans
Faust et
Faust sur
Goethe ? J'y vois tout d'abord une allégorie de l'Homme en quête de sens à donner à sa vie.
Faust n'a plus guère de foi et du haut de sa science se heurte à des écueils insurmontables.
Il voit couler sa vie au fond d'un noir terrier et se dit que bientôt la mort viendra le cueillir sans qu'il ait pu jouir de quoi que ce soit dans l'existence. D'où sa secrète invocation du diable, ou plus exactement, avec l'aval de Dieu, pourquoi le diable s'essaie à le soudoyer.
Ainsi donc, selon
Goethe, c'est le désespoir qui crée l'appel aux forces du mal et non comme on pourrait le penser de prime abord, l'envie, même si c'est bien l'envie de connaître toujours plus qui pousse Henri
Faust à pactiser avec Méphistophélès.
Ce faisant, l'auteur insiste beaucoup sur la falsification des mots ou des apparence. Son
Faust était dans le faux avec sa science, il le sera également dans ses jouissances.
Goethe développe aussi la notion d'utopie de la pureté, au travers de Marguerite notamment. Selon lui, ce que l'on pense être pur chez l'humain provient surtout du fait qu'on a une connaissance imparfaite des différentes facettes de cet humain.
Quel autre message nous délivre l'auteur ? Un pessimisme hors norme pour l'époque, à savoir que, quelle que soit votre quête, elle sera vaine. Lorsque
Faust obtient les pleins pouvoir des mains de Satan, celui-ci s'adonne à la fête, il s'y ennuie très vite, puis il se donne à l'amour, qui bientôt flétrit, entraînant au passage la chute d'une fille honnête.
Le voyage ne semble guère mieux lui réussir tout comme les richesses. Quelle est donc la voie du salut pour
Goethe ? Je ne l'ai pas trouvée dans cette lecture, la vie y semble nécessairement vouée à être subie avec son cortège de souffrances et d'insatisfactions.
Mais au cours du temps, depuis son apparition dans le théâtre élisabéthain,
Faust a aussi pris une dimension de " récit mythique " un peu d'ailleurs comme l'autre grande parabole de
Goethe, L'Apprenti Sorcier. Sommes-nous tous des docteurs
Faust prêts à vendre notre âme au diable pour jouir de menus privilèges ? sommes-nous tous des apprentis sorciers qui jouons avec le feu de l'existence ?
On comprend que
Johann Wolfgang von Goethe ait eu une influence décisive sur la littérature allemande au tournent du XXème siècle, je pense notamment à
Thomas Mann, avec la " tentation du diable " transformée en " tentation de la maladie " dans
La Montagne Magique.
Pour conclure, une lecture que je trouve riche philosophiquement parlant mais pas spécialement roborative sur le plan stylistique ou littéraire, ce qui n'est, évidemment que mon avis, un pauvre diable lui-aussi, c'est-à-dire, pas grand-chose.