Quand éclata la crise financière de 2007, les revenus de la plupart des Américains stagnaient depuis plus de trente ans. La flambée du crédit ne faisait que dissimuler le fait que la majorité de la population s'appauvrissait. Une nouvelle économie politique américaine était alors en train d'émerger, dans laquelle la part de la population en prison serait plus grande que dans n'importe quel autre pays, où le chômage permanent toucherait un très grand nombre de personnes, où une large part de la force de travail serait précarisée et où nombreux seraient ceux qui substisteraient grâce à l'économie clandestine du trafic de drogue et du travail du sexe - une économie de plantation postmoderne où la servitude se rencontrerait à tous les coins de rue.
Selon certains historiens, les inégalités en Amérique au début du XXIè siècle sont plus importantes que dans l'économie fondée sur l'esclavage de la Rome impériale du IIè siècle. On trouve bien sûr des différences entre elles, l'Amérique contemporaine étant probablement moins stable que la Rome impériale. Il est difficile d'imaginer que la richesse volatile et théorique de quelques-uns puisse être soutenue par une force de travail décimée dans une économie rongée de l'intérieur. On finira peut-être par découvrir que c'est la baisse des profits de l'esclavage par la dette qui constitue le problème insurmontable du capitalisme américain.
Les êtres humains sont des animaux qui se sont équipés de symboles. Les symboles sont des outils utiles parce qu'ils les aident à s'en sortir dans un monde qu'ils ne comprennent pas ; mais les êtres humains ont une tendance invétérée à penser et à agir comme si le monde qu'ils ont tiré de ces symboles existait réellement. Ils aiment à penser que leur esprit est bâti sur le modèle du cosmos. Une bonne partie de la philosophie et de la religion n'est guère plus qu'une rationalisation de ce concept.
Pour penser que les êtres humains sont des amoureux de la liberté, il faut être prêt à considérer quasiment toute l’histoire humaine comme une erreur. (...) Néanmoins, s’il est indéniable que les libéraux ont tord de penser que tout le monde aime la liberté, il n’en est pas moins difficile de nier que, sans cette illusion, il y aurait encore moins de liberté dans le monde. Le charme du mode de vie libéral tient à ce qu’il permet à la plupart des gens de renoncer à leur liberté sans même qu’il s’en rendent compte. En laissant la majorité du genre humain s’imaginer qu’ils sont des poissons volants bien qu’ils passent leur vie sous les vagues, la civilisation libérale s’appuie sur des rêves.