"L'Asphyxie - Raqqa, chronique d'une apocalypse" est un livre coécrit par
Hussam Hammoud et
Céline Martelet (qui n'est malheureusement pas nommée sur la fiche Babelio, ce que je trouve très injuste). Tous deux ont recueilli les témoignages des Raqqaouis, qui racontent leur quotidien dramatique après la libération du dictateur Assad. La ville tombe alors sous le joug de Daech dès 2013 pour devenir bien malgré elle "capitale du califat". Après des années d'horreur, elle devra subir les bombardements aveugles de la Coalition internationale, qui détruiront le peu qui restait, pour être enfin libérée.
La grande force de ce livre est de redonner la voix aux Syriens, plus précisément aux habitants de Raqqa, souvent confondus avec leurs bourreaux, jusque dans leur exil. En retrouvant la liberté de témoigner, ils sortent enfin de l'oppression muette à laquelle les condamnait Daech.
A travers leurs témoignages, on découvre aussi ce que fut Raqqa avant d'être ce tas de ruines que tout le monde a en tête. Elle a été une jolie ville "romantique" et sereine, remplie d'échoppes, pourvue de trois cinémas, de théâtres, d'universités et de librairies, habitée par des intellectuels, des musiciens et des gens qui trouvaient qu'il y faisait vraiment bon vivre.
Il n'en reste rien.
Certains vivent avec l'espoir d'une reconstruction, d'autres expriment la difficulté de l'exil, voire leur désespoir. Ainsi, Ammar dit : "Ils ont détruit ce que j'aimais par dessus tout, l'amitié et la simplicité. Ils ont détruit l'âme de Raqqa. Ils ont effacé de mon esprit la beauté. Ils nous ont détruit de l'intérieur".
Leurs mots sont livrés sans analyse, comme une matière première non trafiquée, avec une simple préface, une courte biographique des témoins et une chronologie rapide. Peut-on apprécier cet essai sans autre outil ? Oui, je trouve, car les voix des témoins sont puissantes à dire la terreur que faisait régner Daech, la confiscation inhumaine de tout ce qui faisait leur bonheur de vivre passé. Elles rejoignent tous les récits de déshumanisation à l'oeuvre dans les totalitarismes, boucle désespérante et déchirante.
J'aurais juste apprécié une organisation du livre un peu plus claire, avec les noms des témoins écrits au début et non à la fin du témoignage, un récapitulatif plus précis sur des faits comme le Printemps arabe ou le règne de Bachar al-Assad.
Ecouter le podcast passionnant de
Céline Martelet "La cage: une Française dans le djihad", peut prolonger cette lecture pour ceux qui veulent approfondir le sujet.
Ce livre change bien des perceptions. Il force l'admiration devant le courage et la dignité dont ont fait preuve les Raqqaouis. Mention spéciale aux deux journalistes, Hussam Hammond, lui-même détenu et torturé par l'Etat islamique, et
Céline Martelet, qui ont collecté toutes ces voix afin que le terrorisme, mieux compris, soit combattu avec plus de force. Remettre l'humain au premier plan est une amorce de solution.
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lecteurs Pocket 2024.