Détour par un petit format de grande qualité, aux éditions Ides et Calendes, pour découvrir une artiste discrète, Geneviève Asse, née à Vannes en 1923, vivant son art à l'écart des polémiques et des débats ; Enfance passée dans les lumières du golfe du Morbihan, dont sa peinture restitue aussi la magie ("La côte sauvage", 1962 ; « Rhuys II, 1989). Formée à l'Ecole des arts décoratifs pendant la guerre puis nouant déjà de premières amitiés littéraires et artistiques avec Samuel Beckett, les frères Van Velde, Nicolas de Staël, Olivier Debré ou Poliakoff, elle commence à exposer à la fin des années quarante, années difficiles. Peu ou pas de figures, des boîtes, des murs, le dénuement d'espaces intérieurs (« Murs gris, 1946 ; « l'atelier », 1948 ; « Les boîtes bleues », 1948). Une limpidité de touche qui n'est pas sans évoquer la fresque murale quattrocentiste.
Le texte de Lydia Harambourg, illustré de superbes reproductions, organise une mise en perspective très savante entre l'oeuvre de l'artiste et sa biographie, où se joue, dans la diversité créatrice des expériences de cette dernière, la tension secrète qui l'a menée, de ses premières natures mortes d'après-guerre, à de plus invisibles structures soumises aux lignes, aux plans ou à la couleur, le blanc puis le bleu essentiellement, vers 1980. Une montée de la lumière. Geneviève Asse peint « Passage du bleu » en 1977, mais « Quadrille », une huile sur toile de 2009 (illustration de couverture), offre en première impression au lecteur, la synthèse d'une telle évolution. Comme si la vérité physique des objets ordinaires, ainsi que le suggère Lydia Harambourg, lui avait indiqué le lieu d'espaces où se puisse lire l'infini.
Geneviève Asse a par ailleurs exercé son talent - outre dans le textile - dans le vitrail (12 vitraux pour la cathédrale de Saint Dié, 1988) et le besoin de transparence recherché dans sa peinture (lire « Un été avec Geneviève Asse », Silvia Baron Supervielle, 1996) a aussi trouvé, chez elle, un terrain de prédilection dans le livre et l'estampe. Elle a gravé au burin, à la pointe sèche, réalisé aquatintes et lithographies pour Pierre Lecuire, Silvia Baron Supervielle, André Frénaud, André du Bouchet, Yves Bonnefoy, mais aussi pour Beckett, Charles Juliet. Son œuvre peint, comme son oeuvre gravé, qui semble « hors du temps et détaché des contingences », s'inscrit dans le refus des effets et de toute ostentation. La dame à l'air particulièrement sereine, photographiée en 2012 dans son atelier de la rue Ricaut (p. 78), non loin de ses pinceaux trempés de bleu (p. 114). Même son regard est bleu.
« Dans le raffinement subtil des bleus, des gris et des blancs sur lequel le ton se concentre, Geneviève Asse montre qu'elle suit la voie infaillible de la grande tradition de l'humilité picturale dont les maîtres sont Chardin et Corot, rejoints par Morandi. Avec eux, elle partage une légitimité du sublime, et une calme poésie. » (p. 45).
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De nature indéfinissable, engendrant sa propre réalité, le bleu est pluriel. Il traverse l'histoire des civilisations, associé à certains mythes, de l'Egypte à Byzance qui invente le mot azur, ignoré de la Grèce, désespérant Novalis et Hölderlin, chanté par Baudelaire et Mallarmé, le bleu emblématique du vitrail gothique a pris son essor dès la fin du Moyen-âge lorsqu'il se substitue à l'or de Byzance pour symboliser la Jérusalem céleste, et identifier la virginité de la Vierge Marie par son manteau bleu. Couleur déclarée "noble et belle, et plus parfaite qu'aucune autre" par le théoricien Cennino Cennini, le bleu est choisi par Fra Angelico et Giotto pour célébrer le monde divin. C'est le bleu céleste, "Douce couleur de saphir oriental" qui éblouit Dante, lorsqu'il remonte des Enfers. Il traverse toute la peinture française de Poussin à Matisse. Il subjugue Miro. (p. 64)