Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ? Chez
Gabriel Henry, rien n'est moins sûr !
Les masses critiques de Babelio ont ceci de beau qu'elles permettent de voir des maisons d'édition qu'on ne connaissait pas jusqu'alors croiser notre chemin de lecteur.rice. J'ai donc eu le plaisir de découvrir les éditions du Panseur à travers leur dernière publication en date (la seizième de leur catalogue)
Blackout de
Gabriel Henry.
Ulysse a perdu la mémoire. de l'accident qui l'a rendu étranger à lui-même, il garde un bandage à la tête et un autre au bras droit. Sa compagne Ariunaa l'emmène dans son village natal, reculé dans les steppes mongoles, pour une raison qu'il ne comprend pas. Mais il se laisse porter, pas le choix, et, homme sans passé ni réel futur, il s'ancre dans le présent des jours qui s'amalgament au lieu de s'écouler.
Dès les premières phrases du roman, j'ai été séduit par la langue poétique de
Gabriel Henry et je me suis laissé happer par cet étrange objet littéraire. Dans le village de Mongolie dans lequel Ulysse tente de panser les blessures de sa mémoire, il ne se passe (presque) rien de notable. Pourtant, le texte m'a happé par sa force hypnotique, quasi méditative, grâce à une langue savoureuse et des images d'une rare beauté.
"On dit que la nuit tombe. Mais ici, elle monte, elle s'élève du sol, c'est la terre qui l'exhale après l'avoir retenue des heures durant. La nuit se répand comme une crue sombre qui avale couleurs, formes et textures ; qui recouvre peu à peu le visible le fait disparaître, tandis que le ciel est caressé par d'ultimes radiations, de plus en plus ténues. Voilà comment le monde peut s'effacer."
Blackout est une odyssée contemplative, le voyage d'Ulysse est intériorisé au plus profond d'une passivité qui ressemblerait presque à une méditation. L'anxiété et l'impatience qui rongent le personnage principal restent cependant palpable, mais elles semblent prendre un visage moins violent tant qu'elles sont déconnectées du mode de vie occidental.
"Il pose la main sur le dessus de son crâne. Comme il aimerait l'ouvrir ! Se pencher dessus, y faire de la lumière, quand bien même il n'y trouverait qu'un gouffre vertigineux. Tout est là, sous quelques centimètres à peine de peau et d'os, l'audit disque dur déconnant ! Il suffirait de continuer à répéter ces mêmes mots, 'tour est là', de les ressasser au point qu'ils se frottent les uns contre les autres, silex en puissance qu'ils sont, prêts à embraser l'essence d'une question qui tourne autour de lui : qu'est-ce que je fous là ?"
La question de ce qui l'a amené ici et dans cet état taraude Ulysse jusqu'à l'obsession. Ariunaa sait mais garde le secret sous son air grave. Quand il saura enfin, il le regrettera instantanément. Et nous, lecteur.rices, prendront conscience que ce n'est pas là que se trouve le coeur du roman. Plus que la destination, c'est l'errance qui compte.
Une très, très jolie découverte de cette rentrée littéraire !
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