Les autres romans de l'auteur, comme
Practical Magic (
Les ensorceleuses/ Affaires de meurtre en famille, dont on a tiré un film certes charmant mais peu en rapport) font la part belle à la magie, aux secrets portés par des générations de femmes, aux liens bizarres qui se tissent entre les gens et leurs histoires. Comme on peut l'imaginer, cette Reine des glaces est plutôt affaire de contes de fées, très loin des histoires pour veillées à la bougie d'Andersen, cela dit. Il faut chercher du côté des contes de Grimm, de leurs histoires cruelles d'os et de créatures tapies dans l'ombre, où les voeux inconséquents reviennent vous mordre le bras. Parce qu'elle a bêtement souhaité la disparition de sa mère un soir de gel, une fillette se retrouve orpheline. Adulte maussade au coeur gelé, elle souhaite se voir frappée par la foudre sur la route de Floride et son voeu est rapidement exaucé. Sur son chemin, des chats assassins et des taupes innocentes, un Dragon (l'homme qui a survécu deux fois à la foudre), un bâtisseur aux mains fondues dans l'or, un amoureux éconduit et un amant à la peau de feu qu'elle ne peut toucher que plongée dans une eau glacée. Lazarus Jones, irrésistible et insondable comme ne fantasme de romance doit l'être. Un tissu habile de contes et de métaphores qui tiennent lieu de magie. Récit magique donc, qui s'épargne toute référence aux charmes et aux incantations. Parce que la magie, sans doute, n'est qu'une façon de voir les choses et de faire sens, un peu. Parce que les histoires n'existent que dans la façon dont on les dit.
Ce court roman passe en revue trente ans de la vie d'une femme qu'on ne peut pas aimer. Qui ne s'aime pas elle-même et n'a pas envie de faire semblant. Qui détruit méthodiquement toutes les relations qu'elle pourrait construire. Au fil de ce discours intérieur s'égrènent de petites maximes désabusées, de celles qu'on trouve lumineuses sur l'instant pour oublier la page suivante. À l'instar des contes, la finalité importe moins que le cheminement, les pièges déjoués en route, les alliés improbables. Les morts au combat. Dans le conte d'Andersen dont on a dit qu'il était un leurre, une petite fille affronte le Grand Nord et sa terrible reine pour retirer l'éclat de miroir qui gèle le coeur de son ami Kay ; dans le roman d'Hoffmann, la fillette est le vivant remord qui taraude et rêve de glace, qu'on ne cesse d'expier, d'expier, d'expier. On note d'ailleurs que l'un des premiers gestes de l'enfant à la mort de sa mère est de couper ses cheveux qu'elle abandonne aux chauves-souris. le dosage entre le délicat et le pathétique (dans tous les sens du terme) est un périlleux mélange – l'auteur n'évite d'ailleurs pas tous les clichés. À vouloir faire lyrique ou signifiant, les scènes de sexe ne sont pas toujours adroites. Certaines images sont éculées ou transparentes (mort & papillons), certains moments de l'histoire si bêtement tristes qu'ils soient (si, si, tristes, même pour mon propre coeur de glace) semblent un peu forcés, notamment perce qu'ils interviennent au moment où l'espèce de merveilleux de point de vue cède le pas au romanesque. Et parfois, le littéraire se prend les pieds dans le psychanalytique de façon peu aérienne.
Mais c'est un joli livre. Assez doux, vaguement amer, sauvé du totalement déprimant par la froideur même de sa narratrice. Un peu naïf, jusque dans sa conclusion en forme de « tout revient à sa juste place ». Oscillant du poétique premier degré au factuel pur. Entre deux tons.