Rien, c'est déjà beaucoup
Avec
Il était une fois le zéro,
Antoine Houlou-Garcia poursuit son oeuvre de vulgarisation des concepts et des idées liés aux mathématiques. Cet ingénieur statisticien et chercheur en sciences sociales s'attelle au milieu des années 2010 à répondre à la question de savoir si le monde est […] mathématique, invoquant pour ce faire plusieurs champs de la pensée, que soient la psychologie ou la philosophie. Il enchaîne avec quelques ouvrages ludiques, en particulier à destination des jeunes, tout en développant une chaîne de vidéos sur les réseaux sociaux, Arithm'Antique, qui témoigne de l'intérêt que porte l'auteur à la fois à l'histoire et aux mathématiques. Dans l'une de ces vidéos, il évoque « l'invention oubliée du zéro par les Grecs », où, en moins de 6 minutes, il cite à la fois
Aristote,
Boèce, Euclide et Jamblique. Sans doute s'est-il inspiré de cette expérience pour préparer ce livre, qui élargit son propos aux autres civilisations que les grecs anciens pour investiguer sur les origines du zéro.
Le début
On peut considérer les chiffres de deux façons distinctes, en fonction de leur usage, qu'il soit positionnel ou arithmétique. En écrivant avec ce que nous avons coutume d'appeler les chiffres arabes, leur caractère positionnel et utile, et permet de numéroter les unités, dizaines, etc. Écrire un zéro en deuxième ou en troisième position dans ce cadre signifie l'absence de l'un ou l'autre de ces rangs : dans 203, on multiplie 0 par 10 pour établir l'absence de dizaine dans ce nombre. Or, toutes les numérations ne sont pas positionnelles, telle celle utilisée par les Romains, qui utilisaient des lettres pour exprimer leur façon de symboliser les nombres, et chez lesquels le zéro n'a pas d'utilité. En arithmétique, par contre, le 0 est utilisé pour effectuer des calculs, mais pas depuis aussi longtemps que les autres chiffres. Il a mis longtemps à s'imposer dans la pensée mathématique, et l'idée même de son existence a provoqué de nombreux remous, et de nombreuses peurs.
Analyse
On apprend beaucoup de choses en lisant
Il était une fois le zéro. Par exemple, que la forme du zéro que nous utilisons provient d'omicron, la première lettre du mot oudên, ou plus rigoureusement οὐδέν, qui signifie aucun, rien. C'est bien ce qui a effrayé plus d'un des scientifiques de l'Antiquité ou du Moyen Âge, et les a empêchés d'imaginer le zéro, car se représenter le vide, le néant, conduit à des réflexions métaphysiques pas piquées des hannetons, qu'
Antoine Houlou-Garcia parvient très bien à nous transmettre. Ceux qui ne le savaient pas se rendent compte, en lisant l'ouvrage, que la date de Noël n'a pas toujours été une évidence. Ainsi dans la Rome Antique, le 25 décembre était la fête du Soleil invaincu, ou Sol invictus, qui correspond à la date du solstice d'hiver selon le calendrier julien. Or, aucun texte ne mentionne cette date concernant la naissance de Jésus, qui a été fixée arbitrairement au cours des siècles suivants. Ainsi le livre contient-il une série de fun facts, comme dirait l'autre.
C'est à l'image du ton et de la forme d'
Il était une fois le zéro, où
Antoine Houlou-Garcia s'amuse avec le lecteur. Ainsi lui arrive-t-il de glisser un spoiler alert, en l'occurrence sous la forme d'un paragraphe intitulé « Voilà ce qui va se passer », une réplique célèbre de la série le visiteur du futur. le livre est d'ailleurs quasiment construit comme une enquête, assumée par l'auteur qui s'amuse presque à susciter le suspense chez le lecteur. Presque tous les chapitres se terminent par un petit résumé ou par une invitation à suivre en forme de rapide introduction sur les éléments qui seront abordés dans la partie suivante. En plus de l'humour, la pédagogie est de mise, l'ouvrage n'étant pas destiné à un public de scientifiques chevronnés. Cela n'empêche pas la rigueur, à la fois dans les théories mathématiques, brièvement présentées, et dans la recherche historique, très documentée. La liste des notes, et le nombre de références qui y sont citées, en atteste d'ailleurs largement.
La rigueur avec laquelle
Il était une fois le zéro a été conçu se constate aussi dans les illustrations avec lesquelles
Antoine Houlou Garcia ponctue ses arguments. Ainsi peut-on croiser au détour des pages des reproductions précieuses, telles ce papyrus grec datant d'environ 100 après J.C. représentant des tables lunaires, ou cette représentation de divisions en galère, issue d'un manuscrit datant du XVIe siècle, l'Opus Arithmetica D. Honorati veneti monachj coenobij S. Lauretij. Au fil de la lecture, on perçoit combien l'auteur est attaché à la pluridisciplinarité, n'hésitant pas à citer à la fois
Oedipe roi, de
Sophocle, et bien sûr le mathématicien arabe Al-Khwārizmī. Nous avons un aperçu de la fameuse suite de Fibonacci, tout comme un petit passage consacré au non moins fameux chat de
Schrödinger. Tout cela témoigne d'une curiosité et d'un appétit d'apprendre à toute épreuve, en mettant en avant l'épistémologie des mathématiques, qui mérite d'être enseignée et diffusée.
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