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sur 773 notes
Moins connu que ses autres chefs d'oeuvres, le roman « les travailleurs de la mer » est celui que je préfère dans l'immense production de Victor Hugo.
Brisé par la mort de sa fille Léopoldine, emportée par le mascaret à Villequier en septembre 1843, l'écrivain est marqué à tout jamais par la menace incarnée par la mer et ses aléas.
Exilé à Guernesey sous le second empire, l'opposant à l'empire est fasciné par le spectacle toujours renouvelé de l'océan, de ses furies annonciatrices de drames.
En 1866, il rédige son oeuvre en étant quasi certain qu'il ne reverra pas sa patrie, mais en espérant malgré tout que ses pages contribueront à la chute du régime.
Et il imagine cette parabole où la France, symbolisée par « La Durande », épave échouée par un criminel, est sauvée (partiellement) par un obscur marin, Gilliatt, qui triomphe des pièges tendus par la faune et la flore, par amour pour la gracieuse mais inconstante Déruchette.
« J'ai voulu glorifier le travail, la volonté, le dévouement, tout ce qui fait l'homme grand. J'ai voulu montrer que le plus implacable des abîmes, c'est le coeur, et que ce qui échappe à la mer n'échappe pas à la femme. J'ai voulu indiquer que, lorsqu'il s'agit d'être aimé, TOUT FAIRE est vaincu par NE RIEN FAIRE, Gilliat par Ebenezer. J'ai voulu prouver que vouloir et comprendre suffisent, même à l'atome, pour triompher du plus formidable des despotes, l'infini. »
L'atome vainqueur de l'infini …David abattant Goliath … Hugo triomphant de Badinguet … le grand Victor nous offre de mémorables pages maritimes et rédige un redoutable pamphlet anti impérial.
Gilliatt, le marin, rejoint ainsi Jean Valjean, Gavroche et Cosette dans notre panthéon littéraire.
Le tout dans une langue superbe, rythmée et musicale, qui imbibe le lecteur plongé dans les embruns, la brume et le froid des iles anglo-normandes.
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Ma première fois sur babelio, était embrumée de doute. J'avais choisi un livre sur le deuil, deux personnes compatissantes ont bien voulu apprécier, et -non, ne riez pas- j‘avais remarqué avec finesse et naïveté l'option : commenter, alors j'avais commenté moi-même, longuement.
C'est maintenant ma 300· fois : entre temps, j'ai pris confiance en moi, je suis entourée d'amies et de quelques amis aussi, cette 300· fois, voici un chef d'oeuvre, peut-être le plus beau livre jamais écrit: Les travailleurs de la mer.
Roman complet, à la fois philosophique ( qu'est-ce qu'être immigré, ?), parfois avec l'ironie de celui qui connaît le malheur( la mort de sa fille, l'abandon de ses fils) descriptif, documenté, savant, réflexion sur la mer et les marins, parfois avec référence biblique : « Ces yeux voyaient Gilliatt. Giliatt reconnut la pieuvre. », nous tenant la main pour une aventure au départ sans issue, et, surtout, avec de longues tirades lyriques faites de petites phrases hachées, ou s'allongeant comme une vague vaporeuse.

Voici le roman du vide.

Le roman de la solitude, du non-être.

Les hommes, les animaux comme les choses sont définis non pas avec leurs qualités, mais selon leurs manques. Gilliatt en pleine mer, n'a rien, ni pain, ni eau, ni outils, ni toit. Il aborde un écueil sans rien « une nudité dans une solitude », il a froid, « isolé, abandonné, miné, affaibli, oublié ». le vide, c'est aussi le vide des coeurs de certains, la mer déserte, sans un souffle, sans un flot, sans un bruit, « trahison dans l'infini », celui de l'air, pourtant rempli de vie, du gouffre de la nuit »où s'accomplissent en pleine sécurité les crimes de l'irresponsable »
La mer apparemment incendiée ne cache « aucun pétillement, aucune ardeur, aucune pourpre, aucun bruit, c'est un feu glacé ». le vent n'est rien, « immense canaille de l'ombre », on ne voit pas les marées de l'air.
Au vide de la mer et du vent, de l'ouragan, du brouillard , tout ce qui dans la nature se déchaine, s'arque boute, se fend et décompose, correspond l'horreur du vide des maisons abandonnées, sans vitres, sans fenêtres, sans châssis, maisons hantées abhorrées par les habitants de Guernesey ; entre l'hypocrisie de la mer, qui attend tranquillement son heure pour se soulever correspond l'hypocrisie des hommes, et aussi, entre la beauté du printemps, les papillons se posant sur les roses correspond la bonté de Gilliat « grand esprit trouble, grand coeur sauvage ». Gilliatt, je t'aime.

Comble de la non- existence, la pieuvre, le vide de la pieuvre qui s'accroche et se liquéfie, qui adhère et aspire, avec cette longue énumération de ce qu'elle n'est pas , ce qui la rend encore plus redoutable.

Si seulement une page de toute la littérature devait être lue, ce serait la définition du non-être de ce redoutable monstre : la pieuvre.
« La pieuvre n'a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d'ailerons tranchants, pas d'ailerons onglés, pas d'épines, pas d'épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents .La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée… Comment ? Par le vide ».
Mon édition avait inclus les estampes/ dessins de Victor Hugo, sublimes elles aussi.
LC thématique avril 2022: la nature dans tous ses états
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Soyons clairs : l'histoire de la littérature se contrefout royalement de l'avis qu'un clampin dans mon genre peut émettre concernant Victor Hugo. Avant même d'ouvrir ce livre, j'avais d'ailleurs pris le parti de ne rédiger ici aucun billet à son sujet. À quoi bon en effet rajouter une glose bien inutile sur un écrivain aussi connu, célébré, analysé, etc ?
En outre, n'ayant pas ouvert Hugo depuis mes années lycée, je dois aussi avouer que je m'attendais à une lecture laborieuse, requérant effort et bonne volonté. En un mot, ce que cette lecture m'avait autrefois demandé en tant qu'élève. Je ne sais pas exactement où se situe le problème : y a-t-il un âge nécessaire pour apprécier une plume comme celle de Victor Hugo ? Les programmes et les méthodes scolaires sont-ils à revoir, ou bien est-ce tout simplement la frénésie épuisante de la société techno-consumériste qui nous détourne de ces géants par son culte de la facilité ? Un peu des deux premiers, sans doute, et beaucoup du troisième assurément, mais bref.

Ce roman m'a tout simplement époustouflé. Je l'ai dévoré plus vite que n'importe lequel de ces page-turner fades et bien calibrés dont on gave méthodiquement le lecteur pour le distraire des questions importantes. Une histoire d'une simplicité biblique, autour de laquelle un monde entier gravite, avec des personnages dont les parcours s'entremêlent entre ombre et lumière, le portrait vivant de toute une petite société, le tableau fouillé jusqu'à l'obsession de la puissance des éléments, et des pages que le lecteur ne pourra plus jamais oublier.
Oui, c'est énorme, c'est grandiose, c'est excessif, invraisemblable et parfois halluciné. Oui, la Nature est personnifiée et la Fatalité guide le récit. Et oui, en effet, c'est tout le contraire du dépouillement et du minimalisme. Mais quelle claque !!
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Parfois, il suffit d'une critique, d'une citation pour nous mener vers un roman auquel on n'avait pas prêté attention jusqu'alors. C'est le beau billet d'Afriqueah accompagné d'une citation qui m'ont donné envie de découvrir « Les travailleurs de la mer ». Merci Francine, quel beau moment de lecture grâce à toi !

Pour cette lecture, j'ai voulu une édition qui contenait les gravures dessinées de la main de l'auteur.
Les éditions Omnibus proposent un superbe travail éditorial en enrichissant « Les travailleurs de le mer » d'une préface de Claude Aziza, suivie de « L'Archipel de la Manche », un texte de l'auteur qui permet de une première plongée dans l'atmosphère des îles anglo-normandes du XIXeme siècle.
Les dernières pages nous offrent de magnifiques poèmes marins, ainsi qu'un dictionnaire permettant de faire plus ample connaissance avec Victor Hugo alors en exil sur l'île anglo-normande de Guernesey au moment où il écrivit cette oeuvre magistrale.

A la fois roman d'aventures et récit épique, « Les Travailleurs de la mer » paraît d'autant plus authentique que l'auteur a créé ce drame en s'appuyant sur la vie quotidienne et les moeurs des insulaires de Guernesey.
Mais l'auteur ajoute à son récit une touche de fantastique en évoquant le mythe du kraken. Il choisit toutefois de garder des proportions plus rationnelles afin de rendre le récit plus réaliste et plus crédible. Ce passage de l'histoire a pour effet de créer une tension dramatique exceptionnelle, imprimant dans les yeux du lecteur l'angoisse et même l'horreur.

« Dans les écueils de pleine mer, là où l'eau étale et cache toutes ses splendeurs, dans les creux de rochers non visités, dans les caves inconnues où abondent les végétations, les crustacés et les coquillages, sous les profonds portails de l'océan, le nageur qui s'y hasarde, entraîné par la beauté du lieu, court le risque d'une rencontre. Si vous faites cette rencontre, ne soyez pas curieux, évadez-vous. On entre ébloui, on sort terrifié.
Voici ce que c'est que cette rencontre, toujours possible dans les roches du large. »

*
L'océan constitue le cadre romantique pour cette tragédie amoureuse.
« Les Travailleurs de la mer » raconte l'histoire de Gilliatt, un pêcheur solitaire, qui, pour sauver le moteur de la Durande, bateau à vapeur échoué au large de Guernesey, n'hésite pas à risquer le peu qu'il possède, y compris sa vie, afin de gagner la main de la femme qu'il aime, Déruchette, la nièce du propriétaire du bateau.

« Un oiseau qui a la forme d'une fille, quoi de plus exquis ! Figurez-vous que vous l'avez chez vous. Ce sera Déruchette. le délicieux être ! On serait tenté de lui dire : Bonjour, mademoiselle la bergeronnette. On ne voit pas les ailes, mais on entend le gazouillement. Par instants, elle chante. »

Récit d'une lutte à mort contre l'océan et les monstres marins qui peuplent ses profondeurs insondables, contre les éléments, contre soi-même également, le roman de Victor Hugo est la quête tragique d'un homme. Elle prend des allures de songes, effaçant les limites entre la réalité le rêve et le cauchemar.
L'homme apparait faible, insignifiant, et son combat voué à l'échec face aux éléments en furie.

« Les Douvres, élevant au-dessus des flots la Durande morte, avaient un air de triomphe. On eût dit deux bras monstrueux sortant du gouffre et montrant aux tempêtes ce cadavre de navire. C'était quelque chose comme l'assassin qui se vante.
L'horreur sacrée de l'heure s'y ajoutait. le point du jour a une grandeur mystérieuse qui se compose d'un reste de rêve et d'un commencement de pensée. À ce moment trouble, un peu de spectre flotte encore. L'espèce d'immense H majuscule formée par les deux Douvres ayant la Durande pour trait d'union, apparaissait à l'horizon dans on ne sait quelle majesté crépusculaire. »

La fin, poignante, est d'une beauté singulière !

*
Victor Hugo, en véritable orfèvre des mots, cisèle son texte, lui donnant un rythme musical mouvant dans un mystérieux décor aux teintes clair-obscur. L'auteur confère à l'océan un visage impénétrable et étrange qui distille autant de fascination que d'angoisse.

« C'est la haute mer. L'eau y est très profonde. Un écueil absolument isolé comme le rocher Douvres attire et abrite les bêtes qui ont besoin de l'éloignement des hommes. C'est une sorte de vaste madrépore sous-marin. C'est un labyrinthe noyé. Il y a là, à une profondeur où les plongeurs atteignent difficilement, des antres, des caves, des repaires, des entrecroisements de rues ténébreuses. Les espèces monstrueuses y pullulent. On s'entre-dévore. Les crabes mangent les poissons, et sont eux-mêmes mangés. Des formes épouvantables, faites pour n'être pas vues par l'oeil humain, errent dans cette obscurité, vivantes. de vagues linéaments de gueules, d'antennes, de tentacules, de nageoires, d'ailerons, de mâchoires ouvertes, d'écailles, de griffes, de pinces, y flottent, y tremblent, y grossissent, s'y décomposent et s'y effacent dans la transparence sinistre. D'effroyables essaims nageants rôdent, faisant ce qu'ils ont à faire. C'est une ruche d'hydres.
L'horrible est là, idéal. »

Ainsi, les îles Anglo-Normandes deviennent un lieu magique, damné, habité par des forces obscures et surnaturelles. L'océan qui les enserre m'est apparu dans toute sa beauté, dans toute sa violence, secret, majestueux, capricieux et insondable.

« D'ordinaire la mer cache ses coups. Elle reste volontiers obscure. Cette ombre incommensurable garde tout pour elle. Il est très rare que le mystère renonce au secret. Certes, il y a du monstre dans la catastrophe, mais en quantité inconnue. La mer est patente et secrète ; elle se dérobe, elle ne tient pas à divulguer ses actions. Elle fait un naufrage, et le recouvre ; l'engloutissement est sa pudeur. La vague est hypocrite ; elle tue, vole, recèle, ignore et sourit. Elle rugit, puis moutonne. »

La magnifique prose de l'auteur, par ses couleurs, ses odeurs, ses bruits, ses nombreuses métaphores, renforce cette impression d'être face à un océan aux multiples contrastes, tantôt beau, doux, lumineux, accueillant et salvateur, tantôt hostile, démoniaque et assassin.
En effet, Victor Hugo sait à merveille capter tous les visages de l'océan de sorte que j'ai contemplé son immensité et sa puissance, j'ai écouté le tumulte de ses vagues, j'ai respiré l'air iodé de ses embruns.
Mon coeur s'est serré devant sa colère, sa violence disproportionnée.

*
Certains passages sont des morceaux d'anthologie. Ils sont si beaux que je me suis surprise à les relire.
Les magnifiques illustrations de l'écrivain permettent au lecteur s'immerger avec plus de délice dans l'atmosphère sombre, malaisante, inquiétante et lyrique du roman.

Néanmoins, à d'autres moments, un peu comme la houle, mon attention s'est relâchée.
En effet, Victor Hugo insère dans son intrigue des passages descriptifs ou explicatifs relatifs aux progrès de la navigation, aux bateaux à vapeur nouvellement inventés, au sauvetage de la Durande, … Ces longues digressions, parfois philosophiques, sont intéressantes car elles permettent d'intégrer le roman dans L Histoire des hommes, des lieux, des progrès techniques. Elles jouent également un rôle dans le récit, mais, et ce n'est qu'un avis très personnel, les trop nombreux détails et le vocabulaire trop pointu alourdissent l'intrigue et cassent le rythme du récit.

*
Et puis, que serait « Les travailleurs de la mer » sans son magnifique héros ?
Gilliatt est un homme étrange, sauvage et solitaire, soupçonné d'être sorcier. Je me suis attaché à cet homme bon, doux et courageux. Son coeur est immense.

"Gilliatt était une espèce de Job de l'océan.
Mais un Job luttant, un Job combattant et faisant front aux fléaux, un Job conquérant, et si de tels mots n'étaient pas trop grands pour un pauvre matelot pêcheur de crabes et de langoustes, un Job Prométhée."

*
Pour conclure, malgré quelques lenteurs dans le récit, « Les travailleurs de la mer » est un roman captivant, plein de suspense.
Le rendu final crée un beau tableau des îles anglo-normandes du XIXème siècle.
J'ai aimé me plonger dans ce monde étrange, surnaturel où l'océan apparaît comme une métaphore de la destinée humaine.
Un magnifique roman, à lire ou relire.
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Encore sous le choc et l'envoutement de la phrase qui clôt ce roman épique, dans laquelle tout ce dernier est contenu.

Après la Religion et la lutte des hommes contre la superstition dans Notre Dame de Paris, après la Loi et la lutte contre l'injustice dans Les misérables, voici la Nature et la lutte contre les éléments dans ces Travailleurs de la mer. Des travailleurs multiples, tant humains pêcheurs et négociants qui la traversent qu'animaux marins qui la peuplent, roches granitiques qui la délimitent et vents et tempêtes qui la révèlent dans sa splendide férocité.

Tout ce grand bruit du monde contenu dans un récit noir, violent et âpre, scandé de ces sentences hugoliennes qui le font paraître murmuré par un dieu pensant, derrière lequel plane l'ombre du grand Victor exilé à Guernesey et habité par la nature sauvage de l'île.

Il n'y a qu'Hugo pour imaginer le défi relevé par Gilliatt contre les flots, que lui pour camper autant de puissance et de pureté dans un personnage intègre, taiseux avec les hommes mais dialoguant muettement avec chaque élément, il n'y a qu'Hugo aussi pour dire avec autant de force le coeur et le flot qui se brisent, le vil et le sublime de l'homme, l'hostilité et l'hospitalité de la Nature.

Encore une merveille éternelle que ce roman, que je me réjouis d'avoir enfin découvert.
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Il semblerait que les derniers mots de Goethe aient été : «Mehr Licht! Mehr Licht!» («Plus de lumière! Plus de lumière!»). Ceux -toujours selon la légende- de Victor Hugo : «C'est ici le combat du jour et de la nuit… Je vois de la lumière noire!»
Vraie ou pas, cette proclamation in articulo mortis siérait en tout cas merveilleusement au génie fougueux, inexpugnable jusqu'au bout, d'un des écrivains et intellectuels les plus éloquents de la littérature française, toutes époques confondues, l'un des plus populaires et admirés aussi, pour ses combats, ses idées progressistes et ses prises de position politiques courageuses.
«La nuit est-elle sereine ? C'est un fond d'ombre (...) Présences constatées dans l'Ignoré ; défis effrayants d'aller toucher à ces clartés. Ce sont des jalons de création dans l'absolu ; ce sont des marques de distance là où il n'y a plus de distance ; c'est on ne sait quel numérotage impossible, et réel pourtant, de l'étiage des profondeurs. Un point microscopique qui brille, puis un autre, puis un autre, puis un autre ; c'est l'imperceptible, c'est l'énorme. Cette lumière est un foyer, ce foyer est une étoile, cette étoile est un soleil, ce soleil est un univers, cet univers n'est rien. Tout nombre est zéro devant l'infini.»
Victor Immortel, inscrit définitivement dans le patrimoine bibliogénétique de milliards de lecteurs par le monde, tant et si bien que bon nombre d'entre eux (moi y compris !) ont fini par oublier de le lire pour de vrai..! Quasimodo et Esmeralda, Valjean et Cosette : personnages intemporels, tellement proches, n'est-ce pas, si incarnés, si naturellement familiers..

Le roman clôturerait, selon les mots de son auteur, un cycle romanesque dédié «aux trois luttes de l'homme» contre le Chaos et la Fatalité (l'«Ananké» des Grecs) : contre les dogmes auxquels son besoin de croire le conduit («Notre Dame de Paris») ; contre les lois auxquelles son besoin de vivre en société l'assujettit («Les Misérables») ; contre les choses enfin, qui l'entourent et auxquelles il doit se mesurer pour vivre -«de là la charrue et le navire»- («Les Travailleurs de la Mer»).
Victor Hercule : force de la nature associée à la grâce inspiratrice, béni par les Muses. Maciste contre les ténèbres. Actif invétéré s'adonnant en même temps, volontiers, aux rêveries, à l'idéal romantique et aux contemplations des mystères.
Le pêcheur Gilliat, engagé par amour dans un sauvetage impossible en mer, est son double parfait : «Gilliat était l'homme du songe. de là ses audaces».
Tout aussi monumental est ici Victor Encyclopédique, non seulement par l'étendue de son érudition en général, mais surtout en ce qui concerne plus particulièrement les connaissances techniques et un vocabulaire précis et fourni en matière de phénomènes maritimes, marées et vents du globe, cartographie et histoire de la navigation, outillages divers et machines à vapeur... Déployant à l'occasion un tel foisonnement lexical que la barque du lecteur, surchargée et chavirant, risque par moment dangereusement le naufrage:
«Gilliat avait dans ce hangar de granit tout l'informe bric-à-brac de la tempête mis en ordre. Il y avait le coin de écouets et le coin de écoutes, les boulines n'étaient point mêlées avec les drisses, les bigots étaient rangés selon les quantités de trous ; les emboudinures, soigneusement détachées des organeaux des ancres brisées étaient roulées en écheveaux ; les moques qui n'ont point de rouet étaient séparées des moufles ; les cabillots, les margouillets, les pataras, les gabarons, les joutereaux, les calebas, les galoches, les pantoires, les oreilles d'âne, les racages, les boutehors...occupaient des compartiments différents (...) ... » (!!)
Puis il y a Victor Fleur-Bleue aussi, dont on pardonnera au passage le romantisme immodéré de sa jeunesse, en définitive inchangé, et auquel, malgré la maturité littéraire, les épreuves douloureuses de la vie et le fonds de roulement de maîtresses régulièrement abondé au long des années, l'écrivain ne semble toujours pas prêt à renoncer :
«- Vous êtes belle dans cette obscurité sacrée de la nuit. Ce jardin a été cultivé par vous, et dans ses parfums il y a quelque chose de votre haleine. Mademoiselle, les rencontres des âmes ne dépendent pas d'elles. Ce n'est pas de notre faute. (...) On ne peut s'empêcher. Il y a des volontés mystérieuses qui sont au-dessus de nous. le premier des temples, c'est le coeur. Avoir votre âme dans ma maison, c'est à ce paradis terrestre que j'aspire, y consentez-vous ?»
Mais surtout, épique et lyrique comme jamais peut-être dans ses autres grands romans, osant sans retenue l'emphase et toutes sortes d'excès verbaux - parfois jusqu'au paroxysme, Victor est impressionnant en Hiérophante, invitant, à force d'adjectifs, d'exclamations tonitruantes, d'antithèses extravagantes, d'énumérations interminables, à une initiation éleusinienne, mimant sur de longs paragraphes le rythme entêtant des rites propitiatoires aux transes, destinés à pouvoir effleurer l'apesanteur du supranaturel :
«Il y a de vastes évolutions d'astres, la famille stellaire, la famille planétaire, le pollen zodiacal, le Quid divinum des courants, des effluves, des polarisations et des attractions ; il y a l'embrassement et l'antagonisme, un magnifique flux et reflux d'antithèse universelle, l'impondérable en liberté au milieu des centres (...) l'atome errant, le germe épars, des courbes de fécondation, des distances qui ressemblent à des rêves, des circulations vertigineuses, des enfoncements de mondes dans l'incalculable, (...) des souffles de sphères en fuite, des roues qu'on sent tourner ; le savant conjecture, l'ignorant consent et tremble ; cela est et se dérobe (...) Partout l'incompréhensible, nulle part l'inintelligible.(...) Immanence formidable. L'inexprimable entente des forces se manifeste par le maintien de toute cette obscurité en équilibre. L'univers pend ; rien ne tombe.»
Spéculation magistrale autour des mystères du monde, de leur dimension insondable, supranaturelle, que Victor Batelier rendra intelligible par l'intermédiaire d'une allégorie maritime savamment orchestrée, «Les Travailleurs de la Mer» aurait pu tout aussi bien s'appeler « Pour qui travaille la mer ?». Illustration du combat entre lumière et ténèbres, entre vie et mort, entre passion et renoncement, au travers d'un parcours initiatique aux accents de tragédie antique, d'un modeste pêcheur au large de Guernesey, il aurait pu également se voir titrer : « le Jeune Homme et la Mer».
L'homme; les éléments; le transcendant: forces en tension, source d'angoisse ou de ravissement dans Les Travailleurs de la Mer. Au premier, «dans le prodigieux flot de ce déluge de vie universelle», la seule issue envisageable consisterait à chercher à tout prix une «éternité possible dans l'opiniâtreté insubmersible du moi».
Car Victor Protée enfin, croit malgré tout à la transformation de l'homme. Témoin privilégié du «déplacement incessant et démesuré de l'univers », de la matière primordiale (prôtogonos) dont les formes apparentes du monde ne sont que des réceptacles provisoires de la puissance de celle-ci, l'homme se doit de participer «à ce mouvement de translation», « sa destinée » n'étant dès lors que «la quantité d'oscillation» qu'il aura subi. Navigare et vivere.. ! «Vivons, soit», nous dit-il. « Mais tâchons que la mort nous soit progrès. Aspirons aux mondes moins ténébreux. Suivons la conscience que nous y mène».
Poètes ! Astronomes ! S'il vous plaît, au moins une étoile «Victor Hugo», une vraie...!
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J'étais fâchée avec Victor Hugo. D'abord, parce que, comme les lycéens de l'an passé, je me suis prise une très mauvaise note au bac de français sur un de ses textes ( alors que je pensais avoir bien réussi ). Je sais … ce n'est pas la faute de ce cher Victor mais voilà, le lycéen est rancunier.
Ensuite, parce que quand j'ai voulu lui pardonner, je me suis frottée aux Contemplations et me suis rendue compte que je n'avais pas les outils pour apprécier pleinement ce recueil. Certains de ses poèmes sont très personnels ou bien très inspirés de la situation politique de l'époque et lorsqu'on ne maîtrise pas tout ça, on se sent exclu, des allusions nous échappent et j'avais donc l'impression que Victor Hugo me claquait la porte au nez.
J'ai alors essayé de lire Les Travailleurs de la mer mais j'ai fait l'erreur de commencer par L'Archipel de la Manche, sorte de chapitre préliminaire au roman présentant le cadre géographique du roman : les îles anglo-normandes, leur population, leur géographie, leur faune et flore, leurs us et coutumes. Je ne m'attendais pas à un tel déballage de connaissances avec un côté catalogue et des allures d'étude botanique et sociologique. Résultat : j'ai abandonné.

Et voilà que Claudialucia lance une lecture commune. Et comme je suis du genre têtue, je me suis inscrite. Cette fois, je n'ai pas commis la même erreur et j'ai commencé directement ma lecture par le roman me réservant le chapitre tant redouté pour la fin. Et j'ai ainsi enfin pu découvrir non seulement l'auteur mais également un grand roman dont je suis ressortie épuisée et bouleversée mais enchantée.

La suite sur le blog : http://cherrylivres.blogspot.fr/2014/09/les-travailleurs-de-la-mer-victor-hugo.html
Lien : http://cherrylivres.blogspot..
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Après pas mal d'années, j'ai enfin pris la décision de sortir ce livre de ma pile à lire, notamment grâce au Pumpkin autumn challenge (en effet, cela me permettait de remplir une catégorie, tout en lisant un livre qui traînait dans mes étagères !)

L'histoire, je ne l'ai pas bien comprise, de prime abord. Nous suivons Gilliat, un pêcheur éperdu de Déruchette, qui se décide à réparer le navire marchand La Durance afin de conquérir le coeur de celle qu'il aime, puisque la récompense est de pouvoir l'épouser.

Au fil de ses digressions, l'auteur nous amène en fin de compte sur un portrait de la nature et ce roman est un hymne à la mer. Malheureusement, les longues descriptions m'ont ennuyée et ne m'ont pas permis d'apprécier pleinement la plume de l'auteur (pourtant, cela m'avait parut moins long avec Les Misérables, qui est bien plus épais).

En revanche, je reconnais les qualités indéniables de ce livre, mais je n'ai simplement pas accroché. Ce n'est pas ce qui me fera arrêter de lire Hugo, bien que je sois dérangée par le racisme que j'ai perçu dans cet ouvrage (avec l'utilisation, à plusieurs reprises, du N word). On va sans doute me répliquer que c'était une autre époque, mais d'autres avaient dit des choses plus progressistes avant lui. Mais je m'aventure dans un autre débat...

D'ailleurs, en parlant d'aventure, ce roman en est un, mais il avait le défaut d'être trop long pour moi - du moins, à ce moment-là.
Lien : http://anais-lemillefeuilles..
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Tant que Napoléon III sera au pouvoir, Victor Hugo s'obstinera à rester en exil. Ce livre est un remerciement et un hommage à la beauté des îles Anglo-Normandes qui l'ont reçu. Dans ce livre, nous sommes à Guernesey pendant la Restauration. Gilliatt est un bon marin, mais avec une mauvaise réputation, car il habite une maison "visitée" par les esprits. Sauvant Sir Landays et gagnant son respect par son habileté ainsi que la considération de mess Lethierry, dont il est amoureux de la nièce, Déruchette.
L'objectif de Gilliatt, ayant une coque, est de récupérer le moteur du steamer de mess Lethierry, échoué sur les dangereux « rochers de Douvres », balayés par la mer, la marée et le vent, afin de continuer la mission du vieux Lethierry, et surtout pour gagner le coeur de Déruchette.
La lutte de Gilliatt contre les éléments pour arracher la machine de la Durance perchée dans les écueils des Douvres dure 200 pages ! Il doit protéger son bateau d'aller drosser sur les écueils ; sur place, il doit faire son « Mac Gyver », car ses outils ne sont pas suffisants. Il doit en plus utiliser les éléments de l'épave qui fonctionnent encore pour extraire la machine de son caisson. Heureusement, le cabestan est fonctionnel. Il doit aussi fabriquer sur place un palan-grue pour soulever la machine. Mais il doit surtout compter avec une lutte contre les éléments hostiles : vent, marée, tempête, houle !
.
Je me suis posé la question : qui sont les Travailleurs de la Mer ?
Sont-ce seulement les pêcheurs etGilliatt ? À mon avis, il y a aussi les éléments qui sculptent admirablement les rochers, à égalité, parfois avec les meilleurs artistes de la Renaissance. Je comprends les émerveillements de Victor Hugo, qui, par le truchement de Gilliatt quand il découvre la grotte puis la crypte sous-marine. La Nature nous réserve de belles surprises !
.
Pour ce qui est de la forme, Hugo fait toujours beaucoup d'envolées lyriques, sur les marins, ou sur la volonté, ou les ténèbres, le vent ou la pieuvre. Ces passages forcent mon admiration.
.
Exilé en Belgique puis à Guernesey à la suite du pamphlet « Napoléon le Petit » écrit en 1852 contre Napoléon III, Victor Hugo est toujours en colère contre ce dernier, en 1866, quand il publie Les travailleurs de la Mer. Chaque mesquinerie dévoilée dans le livre semble se faire en référence à lui.
.
La construction du drame est similaire à celle de Notre Dame de Paris ou de Les Misérables.
Nous avons le « Héros » :
Bug Jargal, Quasimodo, Jean Valjean et Gilliatt sont des personnes généreuses qui aident les autres. La société ne les récompense pas car les apparences sont contre eux.
Il y a la Jeune Fille :
Cosette et Déruchette sont l'innocente Léopoldine Hugo morte noyée en 1843.
Et nous avons le « Méchant » :
Thénardier dans « Les Misérables » ;
et Hugo règle encore ses comptes avec le catholicisme : le révérend Jacquemin Hérode est un peu le Claude Frollo de « Notre-Dame ».
Nous avons aussi la « construction » due au progrès, construction capitale pour Victor Hugo :
Notre-Dame, Paris et l'avènement de la République dans « Les Misérables », et la formidable machine à vapeur dans « Les Travailleurs de la Mer ».

La lutte de Gillliatt contre la mer sur les rochers des Douvres est magnifique ! Un superbe passage !
.
Au passage, les belles îles Anglo-Normandes sont d'abord Normandes, mais non conquises par Philippe Auguste qui avait, paraît-il peur de la mer, ces îles sont surtout très Anglaises, bien que près de la France. Là-bas, les gens parlent anglais, mais certaines personnes parlent encore le vieux « Normand » !
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Ce roman est centré sur le personnage de Gilliat. Gilliat est homme de songes, de rêveries, voyant de la nature. Être de solitude, il n'a pas les mots pour dire ses idées, mais il les perçoit.
Ce matelot de Guernesey, rend beaucoup de services à la population. Mais il est mal vu. On le prend pour un sorcier, il est « Gilliat le malin. » Il n'est pas seulement matelot, il a de multiples dons.

Mess Lethierrry possède un bateau à vapeur ; la Durande. Elle assure la liaison avec Saint-malo. Les matelots de l'île en sont jaloux il ne l'aime pas, car elle représente le progrès, qui pour eux n'est pas naturel. La Durande fait naufrage et Mess lethierry déclare que celui qui ira la sauver épousera sa nièce Deruchette.

Gilliat est déjà très épris de Deruchette. Il l'aime en secret. Il n'hésite à partir seul, affronter les éléments déchainés de la mer, du vent.
L'épuisement de ses forces n'épuise pas sa volonté. Ni la faim, ni la soif, ni le froid, ni la solitude, ni la tempête, ni la pieuvre, n'auront raison de sa volonté.
Que lui apportera ce combat acharné ?

Ce roman est écrit à la manière d'un conte épique. Roman d'aventures, mais surtout roman sur la nature. Les descriptions de l'archipel de la Manche sont riches et majestueuses. La mer, le vent, le ciel, la nuit, y sont décrits comme des personnages. Ils ont leur propre volonté, ils oeuvrent ensemble et l'homme parait bien petit face à eux.

Gilliat est ébloui devant la grotte sous-marine. Il est philosophe face au spectacle qui s'offre à lui... les oiseaux sont ses amis…Il ne fait plus qu'un avec cette nature, parfois complice, parfois hostile.

« Les Travailleurs de la mer » n'est pas simple à lire, mais il est riche en descriptions. On y parle philosophie, mystère de l'univers. J'ai beaucoup aimé le personnage de Gilliat, riche de son ignorance et de sa volonté.

« Il avait pour combustible l'épave, l'eau pour moteur, le vent pour souffleur, une pierre pour enclume, pour art son instinct, pour puissance sa volonté. » ; c'est un artisan,un dompteur.

« Gilliat était l'homme du songe. de là ses audaces, de là aussi ses timidités. Il avait ses idées à lui. » ; Il ne se préoccupe pas de l'opinion des autres, il mène sa propre barque.

Il a un coeur simple et généreux. Il est différent et personne ne l'apprécie. Il fait plus partie de ce qui l'entoure, d'un tout, que des hommes.

Même si parfois on se sent découragé devant les nombreuses descriptions, des passages parfois difficiles à comprendre, ce livre est passionnant.

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