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3,71

sur 610 notes
J'avais adoré ‘la petite femelle' et ‘la serpe', deux de ses ‘anciens' écrits aussi, la perspective de me relancer dans la lecture d'un pavé de 730 pages de Philippe Jaenada ne me faisait ressentir aucune appréhension.
Au contraire, j'avais hâte de retrouver sa plume et son style unique qui avaient su m'emporter dans ses récits où l'histoire qu'il nous narre (des faits divers réels souvent sordides) et son quotidien d'auteur-enquêteur s'entremêlent pour donner un résultat singulier, à la fois patiné de curiosité parfois malsaine et de travail d'investigation hyper-pointu et enthousiasmant, une plongée spatio-temporelle au plus proche de l'événement conté.

Le titre, déjà, ‘au printemps des monstres' (on en comprendra la référence en cours de lecture) c'est une promesse aventureuse et morbide, lumineuse et sombre à la fois, celle de naviguer, mais en apnée, dans un marigot sous oxygéné.

Et la photo de couv', énigmatique et vintage ! Qui est cette femme qui nous entrouvre une porte sur cette époque révolue mais génératrice de tant d'affaires souvent glauques mais ô combien attirantes ?!

La promesse d'un ailleurs, d'un autrefois
Je plonge.

Il va être question du 27 mai 1964 et de la découverte du pauvre cadavre d'un petit garçon de 11 ans en short à petits carreaux, au pied d'un chêne au coeur d'une grande forêt à quelques lieues de Paris : Luc Taron ! Question surtout de la sordide théâtralisation de cette découverte et de la difficile enquête qui a suivi pour débusquer celui qui sera considéré comme l'assassin, Lucien Léger.
Ça donne envie, non ?

Jaenada, comme dans ses précédents ouvrages, détaille de façon quasi chirurgicale de médecin légiste l'ensemble des innombrables données qu'il a collectées au cours de son enquête minutieuse à savoir, les archives de la police, de la justice, les différents journaux de l'époque, les émissions de radio comme de télé et les ouvrages précédents consacrés à cette affaire. Il se rend aussi sur place pour se confronter à la topographie des lieux ou visualiser la végétation, évaluer les éventuels délais nécessaires à certains déplacements et surtout pour se laisser envahir par l'atmosphère particulière des endroits cités dans ses documents. Il nous emmène et nous emporte dans cette affaire d'enlèvement funeste comme si nous enquêtions avec lui. On décortique les pièces du dossier, on déchiffre les minutes, on débusque les incohérences, on écoute les intervenants comme si nous étions chargés de mener les investigations. Et l'avalanche de détails ne nuit pas. On savoure, on s'en délecte !

On a droit à quelques digressions aussi, comment la petite fille d'un de ses amis a fait la connaissance de Jésus (!), quelques infos sur la jeunesse de Patrick Modiano et même la nécessité imminente que l'auteur ressent de…se couper les ongles des orteils, son opération d'un kyste… !

On va découvrir qui est accusé d'avoir assassiné le bambin (Lucien Léger donc) et d'avoir créé de toutes pièces le cynique personnage de ‘l'étrangleur' qui va terroriser la France un certain temps en inondant le pays d'aveux circonstanciés hyper détaillés et morbides. On va ensuite assister à son singulier procès où il va réussir à échapper à la peine capitale encore en vigueur à cette époque mais pour prendre perpète (réellement) !

Seulement, nous n'en sommes encore que vers la page 250 (sur 730 je le rappelle, un tout petit plus du tiers) et là (hélas) nous allons nous embourber dans les délires hystériques et paranoïaques du prisonnier qui purge sa peine en relançant, en permanence et par écrit, des variations sur le même thème du ‘je suis innocent et je couvre un ami qui est…, non je ne peux pas le dire'

Et là, j'avoue avoir eu furieusement envie de refermer cet ouvrage, l'auteur déviant (dérivant) et aiguillant son enquête vers ces trop nombreux nouveaux personnages (pour certains fictifs) …en manquant de me perdre, malheureusement.

Trop c'est trop !! Consistant, d'accord, étouffe chrétien, je passe mon tour.

Dommage, je vais en rester là (las) me suis-je dit, après avoir apprécié et englouti la première partie du livre (et donc l'histoire principale que, trop jeune, j'ignorais totalement),  j'abandonne ces méandres trop tortueux qu'emprunte la narration pour voguer vers un autre livre moins…indigeste !!

Dommage !! Dommage !! Et même (3 fois) Dommage !

Mais finalement, je me découvre pugnace et je m'accroche, espérant que ce ventre mou un peu trop alimenté allait déboucher sur des chapitres plus essentiels, plus digestes et de nouveau capables de me recaptiver. Et ce qui va m'intriguer alors, c'est que nous n'en sommes qu'à la page 284/731, donc pas encore à la moitié et pourtant, le principal protagoniste, celui qui a été condamné pour assassinat, est mort en solitaire et enterré en toute discrétion après plus de 40 ans de captivité  ! Qu'est-ce qui va donc faire la moelle du reste du livre ?

La contre-enquête !
Jaenada enfile sa parfaite combinaison de fin limier dégourdi pour démontrer que les différentes enquêtes menées ‘à l'époque' l'ont été sur du vent, sur des allégations insensées et facilement démontables. Et nous repartons (comme en 14) en 64  mais pour tout dynamiter ! Objectif : démontrer que nous sommes face à une erreur judiciaire et que Léger ne peut pas être le criminel !
Et il y a matière à douter quand l'auteur détricote la version officielle à la lumière de sa conviction nouvelle, Léger n'est l'auteur QUE des lettres de revendication mais PAS du meurtre !

Mais pour défendre Léger, il faut du lourd (facile) et l'auteur, comme à son habitude, va donner de sa personne pour étayer sa thèse n'hésitant pas à mettre en cause le mode de défense établi par Maurice Garçon, éminent ténor du barreau  d'alors.
On rejoue toute la pièce, brigadier, levé de rideau !

Enfin, en dernière partie, l'auteur fait la part belle à Solange, la femme du condamné (à tort ?) en dressant un portrait exhaustif de celle à qui son mari vouait une attention sans limite (et qui, finalement, semble réciproque si l'on en croit la très dense correspondance qu'ils échangent). Un portrait naturaliste d'une triste banalité en fait qui balaie son enfance comme la période couverte par l'affaire Taron et sa fin, tragique et mystérieuse.

Un livre, un marathon (ou j'ai déploré quelques longueurs), un plaidoyer, une plaidoirie, un détricotage en règle de ce que nous pouvons considérer, au minimum, comme une enquête bâclée qui a conduit à une erreur judiciaire dont le condamné s'est quand même montré, pour le moins, complice.

Beau travail (de trois années, je crois), belle lecture que j'aurais préfèrée légèrement plus concise. Sans doute en sera-t-il de même de cette chronique !!
 
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Luc Taron, 11 ans, est retrouvé mort au petit matin du 27 mai 1968.
Les premiers soupçons se portent sur les parents, mais très vite, un homme revendique le crime: il est l'étrangleur de l'enfant.

Par ces lettres, L'Étrangleur va mener police et journalistes en bateau, les ridiculiser, écrire des courriers fous, revendiquer d'autres meurtres, fanfaronner.

Au bout de cinq semaines de cirque, trop gourmand de notoriété, il se fait prendre. Il se jette littéralement dans la gueule du loup policier.

L'Étrangleur deviendra le plus vieux détenu de France, pour un crime… qu'il ne peut pas avoir commis.
Menteur, manipulateur, pion, arnaqueur, paumé, doux dingue, niais, détraqué. Mais pas tueur.

Comment en est-il arrivé là? Comment la justice a-t-elle pu se tromper à ce point?

C'est tout l'intérêt de ce récit absolument édifiant, où tout est décortiqué, analysé, mis en parallèle ou en contradiction, pour comprendre un système juridique où finalement « la justice n'est qu'une loterie » (j'ai envie d'ajouter, surtout pour les petits de ce monde).

L'univers qui entoure Lucien Léger, puisque c'est son nom, n'est fait que de monstres de tout acabits.

Lucien Léger devient très vite un agneau dans la bergerie de cette faune monstrueuse.

Une petite lumière, faible et vacillante, dans ce décor sinistre (mais fabuleux du Paris des années 60): Solange, la femme de Lucien.
La dernière partie est un sublime hommage à la résistance des femmes de rien de cette époque.

Vous êtes nombreuses à m'avoir conseillé de lire Philippe Jaenada. (J'étais de bonne volonté : j'ai acheté “La petite femelle” en poche) J'ai enfin fait sa connaissance, lu ses parenthèses, éclaté de rire (à plusieurs reprises) souri (très souvent) lors de ses incursions dans le récit.

Voilà. J'ai adoré! Merci pour vos conseils avisés!

Le pavé en ralentira plus d'un.e. Vous aurez tort. C'est un coup de génie sur la complexité de notre justice ce bouquin. Une enquête d'écrivain à coupe la chique!
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Comme tout le monde (enfin comme tout le monde de ma génération (j'avais treize ans en 1964, ça avait fait du bruit à l'époque (j'avais même acheté un numéro de détective))) je croyais tout savoir de l'affaire de l'Etrangleur (un certain Lucien léger (qui s'était lui même nommé "l'Etrangleur") avait enlevé un petit garçon de onze ans (pas très éloigné de mon âge à l'époque (je n'y avais pas pensé à l'époque)), avait demandé une rançon (qui n'avait pas été versée) et avait étranglé sa victime; arrêté quelques temps après, il avait avoué et avait été condamné à la prison à perpétuité (tout le monde pensait qu'il avait eu de la chance de sauver sa tête (et que c'était injuste(à l'époque presque tout le monde était pour la peine de mort)).
Ce préambule était un essai d'utilisation des parenthèses à la Jaenada; ce n'est pas très facile, il faut compter les parenthèses pour ne pas en perdre le compte; enfin j'aime bien ça chez Jaenada; moi j'abuse plutôt du point-virgule.
Par la suite, j'avais appris lors de sa libération conditionnelle que Léger détenait le record de la plus longue peine de prison effectuée au vingt-et-unième siècle (quarante et un ans quand même; bien fait!) puis qu'il était mort trois ans après sa libération.
C'est dans cet état d'esprit que j'ai entamé la lecture du livre de Jaenada, dont je suis un fidèle lecteur.
Et au bout de sept cent cinquante pages, où l'intérêt ne s'émousse jamais, je ne sais plus trop quoi penser. Car Jaenada, qui nous a déjà démontré l'innocence d'Henry Girard (alias Georges Arnaud, auteur, entre autres du "Salaire de la Peur" dans "La Serpe", et prendre le parti de Pauline Buisson dans "La petite femelle" (sans oublier "Sulak", mais celui-là je ne l'ai pas lu, au terme d'une enquête monumentale, conclut à l'innocence de Lucien Léger. Enfin, innocence partielle.
Selon Jaenada, Léger serait revenu sur ses aveux dès sa première présentation au juge d'instruction, et raconté une histoire extravagante selon laquelle il aurait endossé le crime pour rendre service aux vrais coupables, ses camarades dans un réseau d'espionnage pro-soviétique, dont Yves Taron, le père de la victime, aurait été également membre. Taron aurait détourné une somme d'argent appartenant au réseau, et les amis de Léger auraient enlevé son fils pour en obtenir restitution; ils n'auraient jamais eu l'intention de tuer Luc, qui serait décédé accidentellement. Dès lors Léger ne serait coupable que d'obstruction à justice et au pire de complicité après le fait.
Jaenada démontre que les aveux de Léger sont un tissu d'invraisemblances et ne peuvent correspondre à la réalité; il n'en reste pas moins, et Jaenada est le premier à le dire, que la version donnée par Léger exposée ci-dessus est elle aussi parfaitement invraisemblable.
Quoiqu'il en soit, la justice en resta aux aveux de Léger; selon Jaenada, ce dernier fut fort mal défendu, d'abord par Me Maurice Garçon, qui abandonna sa défense pour des motifs mal élucidés, puis par Me Albert Naud, qui persista à plaider la folie.
Dans son enquête, que je n'essaierai même pas de résumer, Jaenada met au jour beaucoup de choses troublantes; il apparait à peu près certain que Léger n'était pas "l'Etrangleur" (d'ailleurs l'autopsie prouve que Luc n'a pas été étranglé), mais qu'il fréquentait un milieu interlope d'individus douteux, (parmi lesquels en effet Yves Taron, le propre père de la victime, mais aussi celui de l'écrivain Patrick Modiano) qui, bien loin d'être les espions soviétiques qu'ils avaient prétendu être pour duper Léger, étaient au contraire proches de l'OAS ou anciens collaborateurs, étaient de très authentiques escrocs récidivistes, et que l'histoire de la somme détournée par Taron pourrait être vraie.
Si l'on suit Jaenada, Léger est en réalité la deuxième victime de l'affaire.
Ne m'accusez pas d'avoir spoilé en écrivant tout ceci. D'abord, comme je l'ai dit plus haut, je suis bien loin d'avoir résumé l'affaire et la démonstration de Jaenada. Et même si c'était le cas, le livre mériterait toujours la lecture, à cause de ses bonheurs (oui, même les parenthèses), du récit entrecoupé d'épisodes, souvent savoureux, de la vie de l'auteur (pour les familiers de l'auteur, je précise que son épouse, Anne-Catherine, est beaucoup mieux traitée que d'habitude; on en est heureux pour elle, et elle commençait peut-être à se lasser).
Il y a aussi, et peut-être surtout, l'histoire déchirante de Solange, l'épouse de Lucien Léger, qui est la troisième victime de l'affaire; il est impossible de la lire sans en avoir le coeur serré. Elle m'a fait penser à ces vers d'Eluard que l'on connait (enfin, les gens d'un certain âge) parce que Pompidou les avait cité au sujet de l'affaire Gabrielle Russier (bien qu'Eluard parle en réalité de tout autre chose:
"Comprenne qui voudra,
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé,
La victime raisonnable,
À la robe déchirée,
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés"

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Fait divers.

Luc Taron, jeune garçon de onze ans, a été enlevé un soir du printemps 1964.
Un homme s'accuse du meurtre en se surnommant "l'étrangleur". Il s'agit de Lucien Léger, jeune homme sans histoire. Il passera quarante et un an en prison. Mais est-il vraiment coupable ? Philippe Jaenada mène l'enquête.

J'avais beaucoup entendu parler de ce livre et il m'intriguait. Je l'ai enfin lu et je l'ai bien aimé. Jaenada mène son enquête en trois parties: le déroulé des faits, des recherches sur les autres acteurs de l'affaire, et enfin, se concentre sur Solange l'épouse de Lucien. L'auteur a fait un travail de fourmi. Il a recherché jusqu'au plus petit point de détail pour étayer ses hypothèses. L'enquête est ainsi intéressante à suivre.

Nous partons de Julien Léger qui semble être le coupable idéal, mais peu à peu le doute s'installe. En effet, l'entourage de Luc Taron semble cacher de nombreux secrets. En premier lieu son père qui est très loin d'être un honnête citoyen. Les recherches de Jaenada sont impressionnantes et détaillées. On découvre des facettes insoupçonnées des protagonistes de l'affaire. Par exemple, de veuve éplorée Suzanne Brulé devient séductrice. La dernière partie se concentre sur Solange, femme de Lucien, et sa descente aux enfers. Abandonnée par tous, elle meurt dans la misère et l'indifférence.

Toutefois, j'ai trouvé que cette enquête avait des défauts. En effet, je trouve que l'auteur est allé beaucoup trop loin dans ses recherches et parfois se concentre sur des points qui n'apportent rien à son enquête. de plus, il abuse parfois des citations qui peuvent faire des pages entières. Certains passages étaient ainsi ennuyeux à lire. le livre aurait gagné a avoir trois-cents pages de moins.

Au final, une belle découverte même si ce livre était parfois trop long et accordait trop d'importance à des détails peu utiles.
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Pour la rentrée littéraire 2021 un énorme pavé fait sensation : le dernier-né de la plume de Philippe Jaenada. Sur presque 750 pages il revient sur un fait divers de 1964, l'enlèvement à Paris un soir de printemps du petit Luc Taron, 11 ans. L'enfant est retrouvé mort le lendemain dans un bois en banlieue sud. Rapidement un homme se manifeste dans les médias pour revendiquer le crime. Arrêté au bout de quelques jours il va avouer puis nier être le coupable. Pourtant il passera 44 ans en prison. Un record.

Philippe Jaenada découpe son récit en trois parties. Ce n'est pas un roman mais une véritable enquête journalistique et policière. La première partie est centrée sur le meurtre lui-même : le déroulé tel que les français l'ont vécu en 1964, l'histoire des parents de Luc, l'enquête menée à l'époque, la vie du présumé coupable Lucien Léger jusqu'à sa mort en 2008. Alors que l'on pourrait presque croire que l'histoire est jouée, l'auteur renverse les certitudes avec la deuxième partie. 50 ans après les faits il reprend les éléments de l'enquête, les centaines de pages de documents, les photos, va sur les lieux qui ont parsemé la vie des différents protagonistes, pose des questions, interpelle, confronte les faits, les écrits, les récits, sème le doute dans l'esprit du lecteur. Enfin la troisième partie fait place à Solange, l'épouse de Lucien Léger, une personnalité complexe qui a longtemps mené une vie de misère affective et financière. A la fin des 749 pages il n'y a pas une vérité mais une somme de mensonges en tous genres, de tous bords, et un fiasco judiciaire.

Pourquoi choisir ce fait ? Parce qu'il est survenu la veille de la naissance de l'auteur, parce qu'il vient d'apprendre qu'il a une tumeur au cerveau. Parce qu'il a croisé un avocat un jour. Parce que Philippe Jaenada ne se satisfait pas de ce qui paraît trop clair comme de l'eau de roche.

Cette enquête qui fait revivre un fait divers que pratiquement toute la France à oublier depuis très longtemps, c'est aussi une étude sociologique. Avec force détails l'auteur resitue les événements dans leur époque par mille petites touches (ce dont parlaient les radios, les journaux, les infos, faits divers, météo, musique, sorties cinéma ou littéraire, des détails du quotidien des français, des faits de société, de l'actualité nationale et internationale.). Une époque sans internet, sans téléphones portables, sans police scientifique. Philippe Jaenada y mêle ses propres réflexions au fil de l'écriture, réflexion sur l'enquête, sur sa vie. le sérieux sur sujet est allégé par un humour parfois très noir qui est aussi un peu d'oxygène. le texte est dense, l'impression très resserrée.

Si la première et la troisième partie sont plus centrées sur les acteurs directs et sur la description d'une époque, entre sortie de la guerre et avènement des Trente Glorieuses, la partie centrale interpelle sur le système judiciaire et sa fiabilité, sur les médias, sur le jugement des êtres humains. Dans cette deuxième partie intitulée « les monstres », Jaenada démontre méticuleusement les multiples erreurs et absurdités de cette histoire. Refaisant le chemin du tueur ou plutôt de celui qui s'était auto-accusé du meurtre, épluchant tous les documents sous tous les formats (papier, audio, vidéo, témoignages d'époque et à posteriori) il met en évidence ceux qui pour l'auteur sont les vrais monstres, ceux à qui le crime profite tout comme ceux qui abandonnent le présumé coupable dès lors que ce qu'il dit ou bien la tournure de l'affaire ne vont plus dans leur sens (l'avocat ténor du barreau, le juge, la presse papier, télé et radio).

Si l'histoire et surtout l'approche sont intéressantes, la lecture est difficile. Il y a beaucoup de disgressions, de détails pas forcément utiles sur les protagonistes directs et encore plus sur les indirects. Quant aux passages sur la vie de l'auteur, ses réflexions livrées comme si elles étaient brutes, nature, sans filtre, ne se justifient pas toujours et lassent par moments.

Reste un miroir sociologique d'une époque, et la démonstration des méandres de l'âme humaine. Pas toujours beau à voir. Mais l'être humain cessera-t-il un jour de hurler avec les loups ?
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En fin de livre, une citation d'Oscar Wilde : "La vérité est rarement pure et jamais simple". Une longue enquête de 750 pages autour d'un fait divers de 1964. Au début, tout est clair et on se demande comment l'auteur peut consacrer autant de pages à ce fait divers, mais peu à peu, le coupable idéal perd son statut et les proches du garçon retrouvé mort dans le bois apparaissent sous un jour différent : un marécage de sombres personnages : escrocs, profiteurs de guerre, faux résistant, femme entretenue...Une galerie digne d'un roman de Simenon..."ceux qui agissent et ceux qui observent, les cachotteries partout, les bassesses et infamies occultées, maquillées qui cernent l'infamie claire et bien visible du meurtre". Trois ans d'enquête et de quête de la vérité, une plongée dans les dossiers, des découvertes, un livre sombre mais réussi !
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Philippe Jaenada reprend l'enquête à propos de l'enlèvement et le meurtre de Luc Taron, jeune garçon de 11 ans qui a disparu un soir du mois de mai 1964.
Le condamné, Lucien Léger, a atteint un triste record : s'il a échappé à la peine de mort, il a passé 41 ans de sa vie en prison, épuisant en vain tous les recours possibles.
Mais est-il l'assassin ? Un an après son arrestation et de multiples aveux circonstanciés, il clame son innocence et incrimine une autre personne qu'il ne veut pas nommer. Il invoque la loyauté. Ses circonvolutions autour de SA vérité ne feront que convaincre les magistrats, la presse et l'opinion publique de sa culpabilité.
Philippe Jaenada présente son enquête en trois parties.
Dans la première, il reprend les éléments publics et factuels de l'affaire, déroulant le chemin qui a conduit à l'incarcération à perpétuité de Lucien Léger et celui de ses nombreuses demandes de révision, jusqu'à son décès, 4 ans après sa sortie de prison.
Dans la deuxième partie, il développe des arguments qui remettent en cause la thèse officielle et ouvre de nombreuses perspectives en rapport avec les parties prenantes à cette affaire : le supposé coupable, donc, les parents de la victime, les proches des uns et des autres, les magistrats et autres avocats, etc.
Dans la troisième, il dresse un portrait tendre et ému de la seule personne qui suscite sa compassion dans cette affaire, trouvant ici encore des arguments favorables à sa thèse de l'innocence de Lucien Léger.
Ce qui fait le sel de cette enquête est la méthode de Philippe Jaenada et son style narratif.
Il fait des recherches très poussées, passe des heures aux archives judiciaires, épluche la presse de l'époque et s'entoure de partenaires telle Wats.
Et il le raconte ! Il prend le métro pour aller à Vincennes, il loue une voiture pour visiter le lieu de vie des différents personnages, il explique le chemin de sa pensée. Ainsi, il bâtit un argumentaire solide et convaincant qui défend en détail sa thèse de l'innocence. En effet, si parfois les infimes descriptions de ses recherches semblent futiles, la digression a toujours un sens et ramène le lecteur de façon inexorable vers la construction du propos : Lucien Léger est très très probablement innocent du crime pour lequel il a été condamné.
C'est l'occasion de revisiter le Paris des années 1960, de prendre le pouls de la vie quotidienne de cette époque, de contextualiser sur le plan politique et culturel les différents temps de l'affaire Lucien Léger.
La vie de chacune des personnes qui apparaissent est passée au crible, le crayon affûté de l'auteur leur donne corps et pensées, leur apportant une humanité sans pareil, pour le meilleur comme pour le pire.
J'ai audio-lu ces plus de 700 pages (912 pour la version poche à paraître en août prochain) et j'ai vécu une expérience incroyable. J'étais au coin du feu, écoutant le déroulé de cette affaire sur le ton de la conversation, comprenant petit à petit que l'auteur posait une brique à la fois des fondations et de la charpente de son propos.
C'était ma première lecture de cet auteur, je me régale d'avance des autres livres qu'il me reste à découvrir.
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À la faveur de longues stations en bord de plage, je m'attaquai « Au printemps des monstres » que m'avait offert un ami. Ça tombait bien, je n'avais jamais lu Philippe Jaenada. Il y aura dans cette chronique aussi peu de suspense que dans son livre : il est arrivé que mon attention s'effrite, que je sois distraite par le clapotis de l'eau, l'écume blanchissante, la silhouette avantageuse du maître-nageur ou le cri moqueur d'un goéland. En bref, je me suis emmerdée.
Je ne suis pas de celles qui sortent d'un film soviétique de quatre heures en décrétant que c'était génial, en traitant d'ignares les copines qui ont eu l'honnêteté de s'ennuyer. Pas snob donc.
L'entreprise titanesque de Jaenada force le respect et l'admiration : la reconstitution minutieuse d'un fait divers. Mais pour moi, ça relève plus de l'exercice de style, de l'archivage ou du pari. Je ne suis pas amatrice de puzzle à 10000 pièces et quand je regarde un dessin de « Où est Charlie ? » je n'ai pas envie de connaître la vie de chacun des personnages qui le composent.
Je ne suis fan ni de ses apartés ricaneurs ni de ses digressions personnelles qui décrédibilisent son propos.
L'histoire du meurtre du petit Luc n'en demeure pas moins édifiante. La nature a horreur du vide, tout comme l'opinion qui s'empresse de condamner le premier venu pour dormir tranquille. Lynchage médiatique, système judiciaire défaillant, présomption d'innocence mise à mal… Une tragédie qui préfigure l'affaire du petit Grégory et invite, comme le rappelle l'auteur, « à se méfier des apparences ».
Je comprends que la méthode Jaenada fascine, d'autant que les « cold case » font recette. Mais je ne peux rien contre la brutalité des faits : ce pavé m'est tombé des mains. Plouf.
Bilan : 🌹🔪
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Voilà un roman bien particulier. Je ne connaissais pas cet auteur et je dois dire que j'ai beaucoup aimé. Il a une façon de nous raconter son histoire comme si on était en face à face en train de boire un café au bistrot du coin: il intervient beaucoup pour livrer ses pensées, souvent de façon ironique ce qui est très drôle. Ça créé aussi un décalage important, une mise à distance importante avec ce dont il est en train de parler. Juste un exemple: il est en train de décrire (plus ou moins) le meurtre du jeune garçon, et au bout d'un moment, je me suis mise à rire... ce qui est plutôt troublant, vous en conviendrez. C'est comme ça tout au long du bouquin.
Attention, on ne rigole pas toujours dans ce long roman. Je dirais même qu'on est plongé dans le plus que glauque, et le malsain. Entre les anciens collabos qui se font passer pour des gentils, le père qui ne semble pas plus ému que ça de la mort de son fils, un homme qui se fait passer pour le tueur (mais c'est pas lui), une femme complètement shootée aux médicaments, et j'en passe, on nage vraiment au milieu d'une nasse de crabes tout au long des 750 pages.
Ce que j'ai le plus aimé dans ce livre, c'est la façon dont Jaenada démontre, très consciencieusement, que la justice n'est pas infaillible (voire un peu flemmarde parfois) et que l'erreur est toujours possible et peut avoir des conséquences dramatiques pour eux qui en sont victimes. Cela m'a fait un peu pensé à l'excellent film (qui malheureusement ne passe pas souvent à la télé [contrairement à d'autres nettement moins bons et qui passent très souvent] et que je recommande vivement) La vie privée de David Gale.
Bref, on l'aura compris, en dépit d'une lecture pas toujours aisée, ce livre m'a laissée une très bonne impression.
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COUP DE COEUR

Le 26 mai 1964, Luc Taron, onze ans, s'enfuit de chez lui. le lendemain on retrouve son corps dans le bois de Verrières près de Palaiseau. Rapidement un homme qui se fait appeler "l'Etrangleur" inonde de lettres délirantes la presse, la police et les parents pendant quarante jours. Il nargue la police, harcèle le père et donne des détails sur la mort de l'enfant qu'il revendique clairement. L'Étrangleur se dénomme lui même " la graine qui pousse au printemps des monstres" dans un de ses 56 messages. Cette affaire fait la une de ma presse pendant des semaines et captive l'opinion publique.

Arrêté le 4 juillet, il avoue avant de se retracter un an plus tard. C'est Lucien Léger, infirmier psychiatrique, un individu sans histoires jusqu'à son arrestation, il sera condamné en 1966 à la réclusion à perpétuité, "sans preuve, sans témoin, sans mobile" et incarcéré quarante et un ans sans cesser de clamer son innocence.

Après avoir détaillé l'affaire dans une première partie dénommée "Le fou", Philippe Jaenada s'emploie dans une deuxième partie dénommée "Les monstres" à démontrer que tous les protagonistes qui ont côtoyé Léger dans son camp ou dans l'autre se sont comporté comme des monstres, à l'exception de sa femme. Il va démontrer que rien n'est simple dans cette histoire, qu'il faut se méfier des apparences "Rien dans cette histoire, rien ni personne n'est ce qu'on croit, ce qu'on a cru. Tout - vraiment tout - est en réalité trouble et complexe. Et moche. Et la seule chose à peu près sûre, c'est que Lucien Léger n'a pas tué Luc Taron." Il souligne des détails écartés, des erreurs, des omissions, des contradictions et soulève des quantités de questions qui restent sans réponse avec la seule quasi-certitude que Léger a été condamné à tort et que son premier avocat Maurice Garçon a vraiment failli.

Dans la troisième partie sobrement intitulée "Solange" il retrace le destin de la femme de Léger dont la photo illustre la couverture du roman " heureusement, il y a Solange." Une fin de roman qui, au travers des nombreuses lettres qu'elle a adressées à son mari, brosse un portrait loin de celui de la malade mentale présentée par les médias extraordinaire.

Cette construction en trois parties avec des chapitres introduits par quelques extraits de presse judicieusement choisis est très intéressante, la dernière partie est superbe et m'a fait éprouver beaucoup d'empathie pour Solange.

On ne peut que saluer le travail de titan accompli par Philippe Jaenada qui s'est plongé dans des milliers de pages d'archives, qui s'est rendu sur les lieux, s'est imprégné des atmosphères allant jusqu'à loger dans la pièce où Léger a rédigé ses lettres, à se rendre sur les lieux de l'enfance de Solange dans le Beaujolais.

Un roman passionnant où l'ombre de Modiano veille, l'auteur a réussi à me captiver de sorte que mon intérêt n'a que très rarement faibli malgré l'impressionnant nombre de pages. Peu de passages m'ont semblé trop longs, trop détaillés ou redondants et quand cela a été le cas les célèbres digressions de Jaenada ont relancé mon intérêt !

Il développe l'histoire de multiples personnages tous plus incroyables les uns que les autres, une détective, des enquêteurs, avocats, le père de la victime, un homme que Léger accuse... Autour de Léger il dépeint un monde de menteurs, tricheurs "Des menteurs, tous détraqués, plus ou moins abîmés". Même si certains détails nous éloignent du sujet principal, le meurtre de Luc Taron, certaines histoires sont souvent savoureuses et certaines vies justifieraient à elles seules un roman entier.

Le style inimitable de Philippe Jaenada est un vrai régal, il parsème son récit de réflexions personnelles et d'anecdotes sur sa santé, ses problèmes de tabagisme, sa famille, multipliant les parenthèses et les parenthèses dans les parenthèses introduisant humour et ironie dans cette histoire dramatique.

Un roman magistral !


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