Très belle synthèse où la notion kurde s'aborde comme une identité, une revendication de "kurdité", dont la construction est motivée par un territoire (les montagnes), des langues (kurmandji, sorani), une religion (sunnisme), une origine plus ou moins mythique (les Mèdes), une existence politique (la zone conflictuelle entre l'Iran et la Turquie), une figure historique (Saladin), un nombre d'individus (25 à 35 millions), etc.
La formation de principautés plus ou moins autonomes de l'Empire ottoman et de l'Iran mène à des prises d'initiative audacieuses au début du XXème siècle (génocide des arméniens et des Assyro-chaldéens avec les Ottomans).
Ce sont les trois accords de 1916, 1920 et 1923 (Sykes-Picot, Sèvres et Lausanne) qui évoquent diplomatiquement la notion d'une indépendance kurde, comme une résolution des conflits économiques (administration du pétrole par les Britanniques) et politiques (construction de l'État turc, stabilité iranienne) et qui mènent finalement à une décision de la SDN en 1925 de placer le Kurdistan irakien sous l'ensemble piloté par les Britanniques (préférant garder le contrôle d'une zone à proximité de leurs intérêts économiques) - déboutant la demande turque (de son intégration pour éviter la formation d'une zone turbulente à ses frontières.
Ensuite, le Kurdistan (autour d'Erbil et de Souleimaniye) fait l'objet d'une instrumentalisation par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie, les Russes, etc. selon que l'on veut affaiblir Bagdad et Téhéran ou renforcer Istanbul. Pour régler la question simplement, Saddam, recyclant les stocks fournis à l'occasion de la guerre Iran-Irak et malheureusement laissés sans usage, gaze les populations.
C'est finalement à nouveau la réponse diplomatique qui donne un second élan à la réalité d'une zone indépendante du Kurdistan. Après une provocation kurde, l'armée irakienne remonte et provoque un exode kurde (se souvenant du traitement bagdadi quelques années plus tôt) : la Résolution 699 de l'Onu interdit le survol de la zone au-dessus du 36ème parallèle, sécurise la région et décrète la région autonome d'un pouvoir central dénommé fédéral. Bagdad proteste en suspendant la rémunération des fonctionnaires et imposant un embargo : le Kurdistan irakien doit s'administrer. C'était en 1992. C'est ainsi qu'il naît, de fait, ou, du moins, prend une réalité plus consistante. La Turquie accepte d'en acheter le pétrole pour générer des revenus. Mais on s'en dispute la répartition interne - et c'est la guerre civile jusqu'en 1997.
Depuis, la lutte contre Daesh a de nouveau resserré l'existence de l'indépendance du Kurdistan, surtout depuis qu'
Obama est intervenu pour en repousser l'approche d'Erbil. Les Émirats, l'Iran et la Turquie investissent dans la zone, en particulier pour le tourisme. Dans une perspective d'ouverture, on promeut la diversité linguistique et religieuse, la littérature et la communication. Si tout va bien, la zone est en voie de pérennisation.
Reste cette impression que tout n'est bien qu'identité puisque c'est le fait d'associer un mot à une grande complexité géographique, historique, politique, culturelle, religieuse, etc. qui mène à l'unicité de l'ensemble social. Reste à ce mot à trouver sa place dans des histoires plus larges pour assurer la sérénité de ceux qui prétendent en relever.