Ce qui reste au fond de ma rétine, c'est ce cadre de fenêtre épais et noir qui se détache avec grâce sur le fond jaune orangina.
La fenêtre. Fenestra. Ouverture et passage.
Motif central de cette nouvelle graphique. le point de vue, celui de l'artiste, celui du lecteur, celui du narrateur. Que voyons nous ? Ce que l'artiste nous laisse voir. Cela relève de son choix. le spectacle, le rai de lumière dans lequel il place l'action n'est-il pas la petite monnaie du butin énorme qu'il nous dissimule ? Car l'artiste est le passeur, le magicien qui fait advenir l'histoire à travers la fenêtre d'Alberti.
L'artiste nous permet de voir ce que nous ignorions autrement. L'imagination est un animal sauvage et affamé. Elle permet de nous hisser au-dessus de notre condition. Vision élevée et panoramique. Pouvoir chamanique qui emporte l'homme, lui fait don de "double-vue". Jouer à voir ce qui est hors de notre portée. Focalisation zéro.
Voir. Observer. Scruter. A tout prix. Aigle et chat, créatures à la vue perçante. Part du chasseur, l'animal en nous.
J'y vois, lecteur de 2020, une mise en cause de ce sens. N'en demandons-nous pas trop à la vision ? Sursollicitée constamment ? J'écris ces lignes, les yeux rougis du feu des écrans, dans un brouillard douloureux. Séries, lectures, téléphone, ordinateur. Méduses qui nous pétrifient, nous immobilisent.
Vois, vois, vois.
Le son n'est d'ailleurs pas absent mais suggéré. Subtil. Les griffes du chat qui résonnent sur le ruban du trottoir, le vent qui file dans les plumes de l'aigle et les fait vibrer d'un chant soyeux. A nous d'entendre.
Chaleur ressentie sur la peau sensible de cet enfant vigie : "Je sens de la chaleur."
Cet ouvrage est une méditation graphique. Un espace pictural où se plonger, pour y chercher le plaisir et la mort. L'ambivalence. La forêt des symboles doubles et équivoques : lumière et chat noir. Vol plané et piqué. Regard aveugle. Illumination. Bastet et aigle de Zeus. Fenêtre maçonnique.
Puis bien sûr le trait de
Moebius où tout est verticalité et ligne ascendante, hérissé de perce-ciels. Un décor architectural magistral comme
Moebius savait les faire : canyon urbain, New-york aztèque, folie néo-babylonienne, Vienne post-moderne dans une ambiance générale post-apocalyptique.
Un grand plaisir visuel.